L'affaire turque est sérieuse et toute explication prend le risque du contrepied tant est imprévisible le Sultan Erdogan. Devons-nous chercher à le comprendre ? C'est l'ambition de ce billet qui fera date dans les annales diplomatiques du Quai d'Orsay si d'aventure il y pénétrait un jour. Fin de l'entame humoristique.
En tant qu'Européen, on peut détester Erdogan pour la bordée d'insultes avec laquelle il décore toute adresse à l'Europe occidentale, nous faisant la leçon mal apprise à tout mauvais escient et particulièrement pour nous, Français, dans ses diatribes contre la colonisation. Il est inutile de lui renvoyer en pleine figure la colonisation impitoyable de la nation arabe par les Ottomans, cela renchérit son hubris d'être comparé aux grands ancêtres. Mais puisque l'affaire qui nous occupe ce soir est d'origine syrienne, il faut rappeler trois choses :
D'abord, la liquidation de l'Empire ottoman après la Grande Guerre a fait renaître l'irrédentisme kurde par toute la montagne depuis Elazig en Turquie jusqu'à Bakhtaran en Iran. Sous le mandat de la SDN, les Français privilégièrent les Kurdes qui nous en sont reconnaissants encore aujourd'hui, même si le projet anglo-français d'un Kurdistan indépendant a foiré sous la pression de Kemal Ataturk. Premier mauvais point.
A l'époque du mandat syrien, la France avait un intérêt particulier pour le sandjak turc d'Alexandrette, aujourd'hui Iskenderun, au point de le rattacher à la Syrie. Puis, sous la pression insistante des Turcs qui procédèrent au nettoyage ethnique du territoire, le Front populaire échangea cette république-croupion contre la neutralité turque pendant la guerre qui s'annonçait avec l'Allemagne. Deuxième mauvais point.
Pendant la présente guerre de Syrie, les puissances occidentales sur zone ont utilisé l'infanterie kurde pour réduire les troupes de l'Organisation Etat islamique, lui apportant couverture aérienne et préparations d'artillerie. Or les Kurdes syriens poursuivent un projet d'établissement d'un Etat autonome dans le nord de la Syrie sur le modèle du Kurdistan irakien d'Erbil établi sur la frontière turque. Ces Kurdes, quoiqu'ils en disent, sont affiliés au PKK qui créé beaucoup de soucis à Ankara. Troisième mauvais point.
La stratégie d'Erdogan est très simple : outre la nécessité d'abolir le régime alaouite sanglant de la famille Assad, elle consiste à éparpiller les Kurdes le plus loin possible de la frontière turque afin qu'ils ne s'ancrent pas au sol, et à créer une zone tampon qu'il entend remplir de trois millions de réfugiés syriens présentement sur son sol. Reste à résoudre la question des autres nationalités de migrants qu'il a en surnombre ! Mais compte-tenu de l'intention répétée et prouvée du régime de Damas de reconquérir la poche d'Idlib à n'importe quel prix en vies civiles, Erdogan anticipe une rupture de la digue frontalière laissant entrer un ou deux millions de Syriens supplémentaires. Ce qui dans l'état actuel de l'économie turque est carrément intenable tant pour le régime AKP que pour l'Etat lui-même. On peut ainsi comprendre qu'Erdogan manœuvre aujourd'hui pour décompresser ses camps de réfugiés en poussant sur la frontière de l'Union européenne quinze mille réfugiés de toutes nationalités pour tester la résistance du "mur". Et à dire vrai, ce ne sont pas les cinq cents millions d'aide humanitaire qui vont améliorer sa situation intérieure précaire.
Les causes et conséquences de la guerre civile syrienne sont bien expliquées dans la Wikipedia (clic). Idlib fut une des premières villes à basculer dans l'insurrection au début du printemps syrien quand il était permis de croire que la pression de la rue chasserait la famille prédatrice de Damas, comme à Tunis ou au Caire. A ce motif, les Assad vouent une haine tenace envers les populations du nord-ouest, qu'ils bombardent en aveugle, rasant écoles, dispensaires, marchés sans distinction. Le pire est que les Russes n'en font pas moins, mais si l'on se souvient de la reconquête de Grozny (Tchétchénie) on ne s'étonne de rien.
Il est deux questions en suspens : les milices djihadistes et les chrétiens d'Orient. Ce sont deux prétextes brandis par les soutiens français de Bachar el-Assad. Les milices sont indéniablement les supplétifs (pas toujours obéissants) de l'armée turque qui évite d'engager son infanterie portée dans la zone des combats. Ankara s'en servira jusqu'à leur extinction. Les chrétiens de Syrie sont otages du pouvoir alaouite qui instrumentalise leurs chefs et s'en sert pour ses campagnes de propagande. A dire vrai, ne restent autour de la famille que les alaouites, les chiites libanais et les chrétiens orientaux. La libération de ces derniers doit être à l'ordre du jour des puissances occidentales plutôt que de les laisser utiliser par les idiots utiles du pouvoir damascène.
Une morale de la fable : à faire la guerre, autant la faire à fond et la gagner. La chorégraphie occidentale depuis le début de l'affaire syrienne pêche en muscle et détermination. Le choix aurait pu être au départ de ne se mêler de rien, même avec la proclamation du nouveau califat ! Les monarchies arabes, riches à ne plus savoir quoi inventer comme investissement chez elles, auraient réglé le problème, entre elles d'abord et sur le terrain ensuite. Le foyer d'infection islamiste pouvait être contrôlé en France au départ et au retour des djihadistes en décrétant l'état d'exception... et en pourchassant les prédicateurs, les Frères et tous les factieux qui nous avaient déclaré la guerre. On n'y reviendra pas.
L'autre choix était ouvert après la seconde attaque chimique. Obama et les Communes britanniques portent une lourde responsabilité dans leur refus de réagir comme annoncé, ce qui donna au régime la libre pratique de toutes les exactions. On pouvait détruire le régime dans son palais et toutes ses infrastructures militaires. Bien sûr il fallait derrière occuper le terrain pour bloquer l'appel d'air, et sans doute écraser Raqqa, la capitale déclarée de l'OEI, comme jadis Dresde, avant de répéter la mesure sur Mossoul. C'était une guerre. Savons-nous encore la faire ? Nos états-majors et les armées y sont prêts mais qu'en est-il de nos politiques ? Alors il est assez facile de débiner Erdogan qui s'expose au balcon, engage des moyens, tape sur les concentrations de troupes et descend des Sukhoi syriens au nez et à la barbe des Russes dont on nous dit ici tant de bien ! Avant de le vouer aux gémonies, regardons la situation très critique dans laquelle sa position géographique l'a placé, tenons bon sur les frontières grecque et bulgare, et fermons notre gueule !
En tant qu'Européen, on peut détester Erdogan pour la bordée d'insultes avec laquelle il décore toute adresse à l'Europe occidentale, nous faisant la leçon mal apprise à tout mauvais escient et particulièrement pour nous, Français, dans ses diatribes contre la colonisation. Il est inutile de lui renvoyer en pleine figure la colonisation impitoyable de la nation arabe par les Ottomans, cela renchérit son hubris d'être comparé aux grands ancêtres. Mais puisque l'affaire qui nous occupe ce soir est d'origine syrienne, il faut rappeler trois choses :
D'abord, la liquidation de l'Empire ottoman après la Grande Guerre a fait renaître l'irrédentisme kurde par toute la montagne depuis Elazig en Turquie jusqu'à Bakhtaran en Iran. Sous le mandat de la SDN, les Français privilégièrent les Kurdes qui nous en sont reconnaissants encore aujourd'hui, même si le projet anglo-français d'un Kurdistan indépendant a foiré sous la pression de Kemal Ataturk. Premier mauvais point.
A l'époque du mandat syrien, la France avait un intérêt particulier pour le sandjak turc d'Alexandrette, aujourd'hui Iskenderun, au point de le rattacher à la Syrie. Puis, sous la pression insistante des Turcs qui procédèrent au nettoyage ethnique du territoire, le Front populaire échangea cette république-croupion contre la neutralité turque pendant la guerre qui s'annonçait avec l'Allemagne. Deuxième mauvais point.
Pendant la présente guerre de Syrie, les puissances occidentales sur zone ont utilisé l'infanterie kurde pour réduire les troupes de l'Organisation Etat islamique, lui apportant couverture aérienne et préparations d'artillerie. Or les Kurdes syriens poursuivent un projet d'établissement d'un Etat autonome dans le nord de la Syrie sur le modèle du Kurdistan irakien d'Erbil établi sur la frontière turque. Ces Kurdes, quoiqu'ils en disent, sont affiliés au PKK qui créé beaucoup de soucis à Ankara. Troisième mauvais point.
La stratégie d'Erdogan est très simple : outre la nécessité d'abolir le régime alaouite sanglant de la famille Assad, elle consiste à éparpiller les Kurdes le plus loin possible de la frontière turque afin qu'ils ne s'ancrent pas au sol, et à créer une zone tampon qu'il entend remplir de trois millions de réfugiés syriens présentement sur son sol. Reste à résoudre la question des autres nationalités de migrants qu'il a en surnombre ! Mais compte-tenu de l'intention répétée et prouvée du régime de Damas de reconquérir la poche d'Idlib à n'importe quel prix en vies civiles, Erdogan anticipe une rupture de la digue frontalière laissant entrer un ou deux millions de Syriens supplémentaires. Ce qui dans l'état actuel de l'économie turque est carrément intenable tant pour le régime AKP que pour l'Etat lui-même. On peut ainsi comprendre qu'Erdogan manœuvre aujourd'hui pour décompresser ses camps de réfugiés en poussant sur la frontière de l'Union européenne quinze mille réfugiés de toutes nationalités pour tester la résistance du "mur". Et à dire vrai, ce ne sont pas les cinq cents millions d'aide humanitaire qui vont améliorer sa situation intérieure précaire.
Les causes et conséquences de la guerre civile syrienne sont bien expliquées dans la Wikipedia (clic). Idlib fut une des premières villes à basculer dans l'insurrection au début du printemps syrien quand il était permis de croire que la pression de la rue chasserait la famille prédatrice de Damas, comme à Tunis ou au Caire. A ce motif, les Assad vouent une haine tenace envers les populations du nord-ouest, qu'ils bombardent en aveugle, rasant écoles, dispensaires, marchés sans distinction. Le pire est que les Russes n'en font pas moins, mais si l'on se souvient de la reconquête de Grozny (Tchétchénie) on ne s'étonne de rien.
Il est deux questions en suspens : les milices djihadistes et les chrétiens d'Orient. Ce sont deux prétextes brandis par les soutiens français de Bachar el-Assad. Les milices sont indéniablement les supplétifs (pas toujours obéissants) de l'armée turque qui évite d'engager son infanterie portée dans la zone des combats. Ankara s'en servira jusqu'à leur extinction. Les chrétiens de Syrie sont otages du pouvoir alaouite qui instrumentalise leurs chefs et s'en sert pour ses campagnes de propagande. A dire vrai, ne restent autour de la famille que les alaouites, les chiites libanais et les chrétiens orientaux. La libération de ces derniers doit être à l'ordre du jour des puissances occidentales plutôt que de les laisser utiliser par les idiots utiles du pouvoir damascène.
Une morale de la fable : à faire la guerre, autant la faire à fond et la gagner. La chorégraphie occidentale depuis le début de l'affaire syrienne pêche en muscle et détermination. Le choix aurait pu être au départ de ne se mêler de rien, même avec la proclamation du nouveau califat ! Les monarchies arabes, riches à ne plus savoir quoi inventer comme investissement chez elles, auraient réglé le problème, entre elles d'abord et sur le terrain ensuite. Le foyer d'infection islamiste pouvait être contrôlé en France au départ et au retour des djihadistes en décrétant l'état d'exception... et en pourchassant les prédicateurs, les Frères et tous les factieux qui nous avaient déclaré la guerre. On n'y reviendra pas.
L'autre choix était ouvert après la seconde attaque chimique. Obama et les Communes britanniques portent une lourde responsabilité dans leur refus de réagir comme annoncé, ce qui donna au régime la libre pratique de toutes les exactions. On pouvait détruire le régime dans son palais et toutes ses infrastructures militaires. Bien sûr il fallait derrière occuper le terrain pour bloquer l'appel d'air, et sans doute écraser Raqqa, la capitale déclarée de l'OEI, comme jadis Dresde, avant de répéter la mesure sur Mossoul. C'était une guerre. Savons-nous encore la faire ? Nos états-majors et les armées y sont prêts mais qu'en est-il de nos politiques ? Alors il est assez facile de débiner Erdogan qui s'expose au balcon, engage des moyens, tape sur les concentrations de troupes et descend des Sukhoi syriens au nez et à la barbe des Russes dont on nous dit ici tant de bien ! Avant de le vouer aux gémonies, regardons la situation très critique dans laquelle sa position géographique l'a placé, tenons bon sur les frontières grecque et bulgare, et fermons notre gueule !
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