Roman de gare estival - chapitre 7
C'est parti pour Amsterdam, la porte de la Scandinavie. L'armement de l'Amazon étant réalisé, il sied maintenant de faire le vrai voyage.
Le meurtre des deux copines de vacances de l'été dernier continuait à affecter les relations d'Alf et Med avec les filles qu'ils rencontraient. Mais d'avoir appris qu'elles étaient régulièrement mariées, juste en fugue, leur laissait croire qu'ils avaient fait un pas hors de l'épure "soleil, sexe et mer" en entrant dans des complications imprévisibles, ce qui les dédouanait au fond de leur sentiment diffus de culpabilité.
Trois jours avaient passé. Le camping international était plein. Beaucoup d'Anglais venus par le ferry de Newcastle, et le reste de toutes provenances. Alf avait une liste de curiosités incontournables, le Rijksmuseum d'abord, une croisière dînatoire en bateau-mouche pour laquelle il serait mieux d'être accompagnés et surtout, le Musée maritime. On pouvait aussi louer un vélo. C'est la crosiière qui fit décoller le voyage. Il ne fallut pas grand effort pour convaincre deux françaises qui partageaient une Amstel avec nos deux brigands d'abandonner les sandwiches poulet-mayo-salade du kiosque pour un vrai repas assis, boisson à volonté, avec la ville qui défile derrière la glace. Mais c'est au Rijksmuseum le lendemain qu'on forma le "pack". Alf fit très fort devant une copie des Joueurs de cartes d'Hendrick van der Burch - Med le savait savant sur le siècle d'or hollandais mais quand même - la prise était de 1660 :
Le chapeau du joueur est en castor du Canada ; le motif des carreaux de sol est chinois ; le pichet en faïence de Delft imite la porcelaine de Canton ; le tapis est turc ; la carte marine invite à rêver ; le jeune serviteur d'importation aux boucles dorées en livrée chamarrée regarde le jeu, surpris par qualque chose. La fillette repose son chien sur un coussin en brocart de soie italienne à l'insu de sa mère qui bluffe. Les fenêtres nous séparent de l'ailleurs qui est partout présent dans la pièce. Fin de l'exposé sur la mondialisation occidentale. Mais c'est avec Wermeer que vous vous éclatâtes ! Alf avait la manière d'éveiller l'intérêt du nyctalope, celui qui entre dans la pénombre d'un tableau, et chaque pièce à deviner s'avérait intéressante. Que faisait dans La liseuse le gros cupidon dans son cadre sous le repentir découvert en 2017 ? il l'a remis dans La dame debout. Pourquoi cette obsession ? Qui se reflète dans le carreau de la liseuse ? le mari ? De qui est-donc la lettre ? Alf avait des réponses qu'il apportait avec une conviction telle qu'il était cru sans rire. Les filles n'avaient pas fait l'école du Louvre, mais de la bonne bourgeoisie lorraine elles rapportaient l'attention et le bagage. Il y avait donc un échange et cela était prometteur pour la semaine de vacances annoncée. Et voici, sans plus attendre, la minute à boire pour chasser le spleen batave (avec la traduction en dialecte) :
Your rainstorm creates spots
On my pearlwhite mood
My hands are on your hips
But my mind is at the door
They say it becomes a habit
I tried
But no matter how it turns
My house protecs no more
It rains harder than i can take
Harder than i can drink
It rains harder than the ground can take
Harder than i can
Your rainstorms are the clouds
On my heavenly blue mood
My hands are on your hips
But my mind is at the door
Your eyes remain grey
Denying every color
It's like there's no one living there
Like there's nothing going on
It rains harder than i can take
Harder than i can drink
It rains harder than the ground can take
Harder than i can
Your rainstorms are too dark
For my heavenly blue mood
Cause's my head is in the clouds
And my hand is at the door
Harder than i can take
Harder than i can drink
It's raining harder than the ground can take
Harder than i can
It's raining harder than i can take
Harder than i can drink
It's raining harder than the ground can take
Harder than i can
Depuis l'ouverture du grand pont sans doute, le ferry si commode d'Amsterdam à Göteborg n'existait plus. Vous feriez donc une plage de la Frise pour le coup d'œil exceptionnel puis gagneriez Copenhague. On n'évite pas Copenhague s'il y a de la place pour quatre à l'auberge de jeunesse. Il y en avait ! Et un parking aussi à proximité. Depuis l'épisode du Rijksmuseum, le niveau du voyage s'était rehaussé, ce qui faisait marrer Alf quand il voyait Med distrait de ses obsessions de pitécanthrope : se nourrir pour se reproduire. Evidemment, on ne pouvait secouer ces dames comme des cagoles après qu'elles aient insisté au point-presse pour prendre un guide culturel de la ville plutôt que "Bars & Lounges". Mais Alf l'avait feuilleté rapidement pour retenir le nom de deux ou trois rues loin du désert de la soif. C'est ainsi que savamment guidée, l'équipe parvint à l'entrée du Wessels Kro, bar historique mais tendance et pas trop touristique, quoique ! Du poisson en smørrebrød, du porc grillé-persillé-patate, le plat national dit-on ; escargots à la canelle (c'est un petit gâteau pégueux) et des pintes de bière, eurent raison de l'appétit des dîneurs. L'addition et vous rentrâtes à pied. Riche idée pour se faire des souvenirs. De fait, sorti du night district - le red district était ailleurs - l'affluence avait beaucoup baissé et ils étaient trois qui barraient maintenant le trottoir en éructant dans un pâtois incompréhensible et pâteux, que même Shakespeare avait refusé d'insérer dans son Hamlet. Med avait assez bu pour tenter de négocier le passage mais Alf qui tenait mieux la mousse, rangea les filles derrière eux et s'adressant à Med lui dit d'une voix forte :
- Quand faut y aller, faut y aller !
Feintant du gauche il décocha un coup mortel dans les joyeuses de la plus proche des brutes, et Med recouvrant la mémoire de ses cours de noble art entra en mêlée de crochet en upercut. Les filles avaient reculé, Martha fouillait dans son smartphone le numéro des flics. Le problème est que les trois cochons danois étaient trop bourrés pour sentir les coups. C'est un vieux truc d'apache des fortifications que de ne pas engager des ivrognes. Alf et Med commençaient à l'apprendre et le manque d'assiduité à la salle de muscu se faisait sentir. Finalement c'était le 112. Liliane était partie relever la plaque de rue qu'elle avait photographiée à cause d'un nom imprononçable, et le temps de revenir, un petit attroupement s'était formé mais de renfort, point, ils étaient tous Danois ! Cinq minutes après, la sirène enfin. La Passat jaune et blanc arriva, suivie peu après par un fourgon, laissant supposer que la POLITI allait embarquer tout le monde pour démêler le vrai du faux au poste.
- Qui a appelé le 112, demanda un sergent de police.
Martha se retint à quatre de lever la main en réalisant qu'elle allait monter elle-aussi dans le panier à salade. Liliane et elle reprirent leur chemin vers l'auberge où elles attendraient des nouvelles. Elles étaient crevées en plus et passablement "intoxiquées". A l'éthylotest dans le fourgon, les trois Danois sortirent vainqueurs haut la main, ce qui rehaussa leur fierté. Chacun néanmoins se tenait à carreau, les flics ayant menacé d'enchaîner leurs invités aux mains courantes s'ils remuaient ou s'invectivaient. Arrivés au poste, la séquence papiers, interrogatoire, attente interminable faisait ressembler ce moment-là à une garde-à-vue. Alf et Med avait pris le parti de ne rien demander, de se tenir tranquilles et de somnoler. Med avait choisi un coin de la banquette pour se caler facilement. Il faut dire qu'étudiants, ils avaient déjà fréquenté les salles de police et même les cages pour Med. Deux heures étaient passées qu'on appela enfin Med pour sa déposition. Il fut bref et concis. Alf suivit qui n'en rajouta pas, sauf à admettre le coup de pied qui avait été apparemment signalé par le Danois. Puis il leur fut notifié en (mauvais) français qu'ils étaient libres de rentrer à l'auberge mais pas de quitter la ville avant que les résultats des examens médicaux des trois Danois ne soient tombés. Ils devraient donc revenir au poste avant de partir mais certainement pas demain.
- On leur a donc mis la branlée ? dit dehors Alf en riant.
- J'ai foutrement sommeil.
Il était quatre heures du matin et le ciel était déjà clair.
Ils ne se souvenaient plus du code et durent réveiller les filles pour l'obtenir et entrer se pieuter, morts !
(la suite au prochain numéro)
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