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Nos yeux grand ouverts sur la démocratie

Francis Fukuyama
La fin de l'Histoire de Francis Fukuyama (TNI 1989) n'en finit plus de reculer dans le temps. Le triomphe des démocraties sur l'Axe du mal, un peu tout ce qui n'était pas elles, avouons-le, n'aura pas duré plus longtemps que la guerre préventive d'Irak de 2003, aux motifs que l'on voudrait obscurs mais qui en réalité tiennent dans la seule main de Georges W. Bush. Avec des novateurs en conservatisme appelés "néocons", Donald Rumsfeld, Dick Cheney et surtout Paul Wolfowitz, le jeune président se crut chargé du fardeau de finir le travail commencé par son père au Moyen Orient. On sait ce qu'il en fut et comment les hommes forts du tiers-monde sentirent alors le vent du boulet leur frôler les moustaches, reconfirmés dans leurs craintes par la liquidation de Mouammar Kadhafi près de Syrte en 2011. Alors le monde commença à se partager en deux espaces civilisationnels, démocratique et autocratique ; mais raconter le comment du pourquoi n'est pas l'objectif de ce billet.

Sans en faire une thèse, plutôt une conversation au coin du feu, nous allons essayer de percer la légitimité de la revendication chinoise qui prétend faire le bonheur du peuple au terme d'un processus d'éducation contrainte. Pourquoi la Chine populaire ? Parce qu'elle est devenu le modèle à suivre, modèle qu'elle exporte très bien et facilement. Ses dirigeants actuels feignent d'ignorer les prétendues avancées démocratiques célébrées par les pays du G7 et s'en tiennent aux arcanes marxistes-léninistes du paradis accessible à terme, dans la discipline confucianiste mâtinée de Qi Gong. Allons au fond : quel est le but légitime à atteindre pour les dirigeants qui gouvernent les sociétés humaines ? Satisfaire les besoins du peuple dont ils ont la charge dans l'optique du meilleur bonheur possible. Comme le dit la formule, le droit du prince naît du besoin du peuple. Quel est-il ?
  • Se nourrir à satiété
  • Se reproduire
  • Vivre en sûreté (abrité et sécure)
  • Obtenir d'autrui sa considération
  • Vaquer sans encombres
Le bonheur dépasse ces fondamentaux :
  • Acquérir un espace en propre à gouverner
  • Pouvoir se projeter dans l'avenir
  • Savourer la plénitude d'une situation stable et sûre
  • Accomplir son rêve
  • Mourir dans la dignité sans souffrances
Le distingué lecteur voit bien qu'il y manque quelque chose, l'amour.
Mais l'amour est aussi rare que le génie et nous bornons notre philosophie de comptoir aux limites du zinc.

Sauf le "gouvernement" du petit lopin qu'il modère, le régime chinois ne retire rien de la liste. Il en rajoute même du côté de l'enrichissement personnel et de la capitalisation des aventures personnelles. Il émet une seule interdiction : ne pas faire l'empereur ! Le Chinois ne peut distraire des moyens personnels ou collectifs pour enchâsser un royaume à lui dans l'empire, le dit-royaume serait-il petit. Même s'il y a des voies de contournement, il n'est pas libre d'organiser comme bon lui semble ses échanges avec autrui, son interaction, sa liberté toute relative s'arrêtant où commence non pas celle de son voisin mais celle de l'Empire. En résumé, il est exclu du champ politique. Il n'est pas la particule élementaire autonome du demos, et ça fout par terre toute la construction mentale socio-politique de l'Occident global. Le pouvoir chinois et ses imitateurs nient l'existentialisme et, blasphème, la qualité de "citoyen". Le problème pour l'Occident, s'il veut continuer à se mêler de la marche du monde, est que le modèle de régime illibéral ou à liberté limitée est facile à expliquer, à comprendre et à mettre en œuvre, ce qui va hâter les conversions .

La supercherie de notre côté est d'amalgamer des valeurs propres à l'humanité, à l'espèce, au concept démocratique. Le bonheur individuel peut prospérer à l'ombre de sociétés à liberté limitée qui assurent tous les fondamentaux précités. Dans quel but l'empire chinois revenu au balcon du monde a-t-il édicté ce régime de liberté limitée ? La raison la plus évidente est celle de se reconstruire lui-même sans opposition intérieure dans ce qu'il considère être son périmètre naturel et historique. Nonobstant les débordements stratégiques visant à étendre son gouvernement à des terres qu'elle n'a jamais gouvernées (et l'empire des Tsings la précédant pas beaucoup plus), la Chine populaire ne mérite de recevoir aucune critique tant que son pouvoir se concentre sur l'objectif du bonheur, ce qui n'est manifestement pas le cas, ni au Tibet ni au Turkestan oriental. Il serait avisé que nos chefs d'Etat prennent la mesure du champ d'exercice de leurs critiques et soient plus tranchants sur les évidences d'un comportement déviant, laissant au génie propre de cet empire trimillénaire le mode d'organisation politique qu'il souhaite dans son aire d'intérêts. En plus court, ne pas donner de leçon mais contrer rationnellement où c'est nécessaire.

Action ? Promouvoir la libertad à la mexicaine... sans jamais la définir.

Personnellement, moins je vois d'Etat, mieux je me porte, quitte à limiter mes ambitions à la fertilité de mon alleu et son bornage ; en Cévennes, c'est atavique, l'Etat invasif donne de l'urticaire.
Garçon, remettez-nous ça !

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