vendredi 15 avril 2005

N u n c a m a s !

Histoire d'une restauration avortée (traduction lissée de Royal-Artillerie)
(Chivalric Orders est dans nos liens ci-contre)


la parole est à la France et l'heure est à Dieu

Le comte de Chambord a été généralement blâmé pour avoir refusé obstinément le drapeau tricolore, et gâché de ce fait la dernière chance d'une restauration. Cependant ce jugement n'est pas confirmé par les faits, car il semblerait y avoir eu manœuvres de la part de quelques orléanistes, espérant provoquer ainsi l’abdication du comte de Chambord en faveur du comte de Paris (à son insu peut-être), ce qui finalement aboutit à la renonciation du comte de Chambord à la couronne.

Le but poursuivi par le comte de Chambord dans sa réconciliation avec le comte de Paris n'est pas non plus entièrement clair. Les orléanistes prétendent que Chambord avait l’intention de désigner le comte de Paris comme son héritier définitif, mais les preuves directes de cette époque sont minces. Des minutes ont été enregistrées par le marquis de Flers le 5 mars 1873, quand le comte de Paris eut sa deuxième réunion avec le comte de Chambord, après qu’il eut déclaré que lui-même et le comte de Chambord avaient des divergences politiques, à quoi Chambord répondit : "Croyez, mon cousin, que je trouve tout naturel que vous conserviez les opinions politiques dans lesquelles vous avez été élevé ; l'hériter du trône peut avoir ses idées comme le roi a les siennes."

La demande du comte de Paris d'être reçu à Frohsdorf fut acceptée par le comte de Chambord, mais aux conditions strictes ci-après : "Les intérêts les plus chers de la France exigent d’une manière impérieuse que la visite faite, dans la situation présente, par S.A.R. le comte de Paris à M. le comte de Chambord, ne puisse donner lieu à aucune interprétation erronée ; M. le comte de Chambord demande que M. le comte de Paris déclare qu’il ne vient pas seulement saluer le chef de la Maison de Bourbon, mais bien reconnaître le principe dont M. le comte de Chambord est le représentant, avec l’intention de reprendre sa place dans la famille. Frohsdorf, le 3 août 1873." Le comte de Paris répondit :
"Je désire porter le plus tôt possible mes respectueux hommages au chef de ma famille".

Cependant ce n'était pas assez pour le comte de Chambord qui lui demanda « une signification plus accentuée, les relations de famille ne pouvant être utilement renouées qu’avec la reconnaissance du principe dont il est le représentant." (ndlr : pour les jeunes lecteurs, rappelons que le comte de Paris était le petit-fils de Louis-Philippe Ier, usurpateur du trône de France pour les Bourbon).
Le comte de Paris alors déclara : "Mon grand-père a brisé l’anneau ; je veux renouer la chaîne des traditions. J’ai certaines idées, mon cousin a les siennes. Les miennes sont personnelles. Ce n’est que par un accord avec la nation qu’il peut faire prévaloir ou modifier les siennes ; je n’ai pas plus à les examiner qu’il ne saurait me demander d’abdiquer les miennes". Sa déclaration écrite stipule ensuite : "M. le comte de Paris pense, comme M. le comte de Chambord, qu’il faut que la visite projetée ne donne lieu à aucune interprétation erronée. Il est prêt, en abordant M. le comte de Chambord, à lui déclarer que son intention n’est pas seulement de saluer le chef de la Maison de Bourbon mais de reconnaître le principe dont M. le comte de Chambord est le représentant. Il souhaite que la France cherche son salut dans le retour à ce principe et vient auprès de M. le comte de Chambord pour lui donner l’assurance qu’il ne rencontrera aucun compétiteur parmi les membres de sa famille."

La fameuse rencontre eut lieu le 5 août, où le comte de Chambord fit sa remarque sur les avis politiques du comte de Paris. Cependant le rapport qui s’ensuivit, énonça clairement qu'il n'y avait eu aucune discussion concernant les circonstances qui mèneraient à une restauration monarchique, qui restait dans la compétence exclusive de l'Assemblée nationale. Mais il fut établi par cette visite que les princes d’Orléans ne feraient plus obstacle à la réconciliation de la France et du prince qui représentait la monarchie traditionnelle.

Le drapeau blanc ne fut pas le vrai obstacle qui empêcha le comte de Chambord de revenir.
Le problème constitutionnel résidait en fait dans l'interprétation des pouvoirs du roi, qui s'il y avait confrontation immédiate avec l'Assemblée, aurait amené une crise constitutionnelle; mais ce furent manifestement les divisions politiques parmi les royalistes qui empêchèrent d'aboutir à un compromis. Ce compromis aurait pu être trouvé parce que le comte de Chambord comprenait que l'armée ne puisse accepter l'abandon du drapeau tricolore, et n'importe quelle proposition de rétablir plus tard le drapeau blanc aurait pu être différée au moins jusqu'à ce que le nouveau roi ait trouvé la manière de persuader l'armée d'accepter une solution réaliste.
Ce compromis éventuel fut cependant saboté à la dernière minute par deux orléanistes, le vicomte d'Haussonville et le duc Decazes (ce dernier par l’entremise de M. Savaray). Leur espoir était que leurs actions provoquent l’abdication du comte de Chambord en faveur du comte de Paris; à preuve la déclaration d’Haussonville qui «préférerait une république au retour de Chambord ».

Le comte de Chambord fut persuadé d'accepter le compromis que nous reprenons ci-dessous, par M. Charles Chesnelong, envoyé à lui par les députés monarchistes, et qui avait cherché une solution acceptable pour la droite et le centre, composantes majoritaires de l'Assemblée (14 octobre 1873). Voici le texte :

(1) « M. le comte de Chambord ne demande pas que quoique ce soit soit changé au drapeau national avant qu’il ait pris possession du pouvoir. » Réponse de Chambord : « Soit ! J’accepte cela. Je ne demande pas que l’assemblée prenne l’initiative d’un changement dans le drapeau et je n’ai pas l’intention de la prendre moi-même avant d’être monté sur le trône. Je n’ai donc aucune objection à ce que vous disiez, en mon nom, que je ne demande pas que quoique ce soit soit changé au drapeau avant que j’aie pris possession du pouvoir."
(2) « Monseigneur se réserve de présenter au pays, à l’heure qu’il jugera convenable, et se fait fort d’obtenir de lui, par ses représentants, une solution compatible avec son honneur et qu’il croit de nature à satisfaire l’assemblée et la nation. »
Réponse de Chambord : « J’accepte que la seconde déclaration que vous ferez en mon nom, soit formulée ainsi que vous venez de le dire. »
(3) « M. le comte de Chambord accepte que la question du drapeau, après avoir été posée par le roi, soit résolue avec l’accord du roi et de l’Assemblée. » Ceci n'était pas aussi facile pour le comte de Chambord, parce qu'il permettait ainsi à l'Assemblée de rejeter tout changement, même si Chesnelong considérait cela découlant du « 2 » et pas en conflit avec lui. La réponse de Chambord à cette condition « 3 » fut :
« J'entends bien présenter la solution de cela à l'Assemblée ». Ce qui n’était pas exactement ce qu’aurait voulu Chesnelong, mais il considéra que c'était une prolongation normale de la condition deuxième, et qu'il n'y avait donc aucun conflit.
Cependant, quand les conditions et leurs réponses furent rédigées par écrit, le comte de Chambord hésita, et dit à Blacas que la " La troisième me met trop à la merci de l’Assemblée; je vous demande de la supprimer " et Blacas demanda donc à Chesnelong ne pas inclure la troisième condition. Chesnelong repartit pour Paris.
Si confiant était le comte de Chambord dans l’acceptation de ses demandes qu’il chargea Chesnelong de porter au duc de Broglie le message qu'il le confirmerait comme premier ministre. Selon Chiappe, ce que Comte de Chambord espérait faire, au cas où l'Assemblée nationale refuserait, était de dissoudre l'Assemblée et de poser la question directement au peuple - une solution très bonapartiste; mais les pouvoirs proposés au roi n’incluaient pas celui de dissoudre l'Assemblée.

Chambord n'était pas l'ultraréactionnaire qu'on a dépeint, car antérieurement il avait indiqué clairement (19 septembre 1873) qu’il rejetait "le fantôme de la dîme, les droits féodaux, l’intolérance religieuse, la persécution contre nos frères séparés,… le gouvernement des prêtres, la prédominance des classes privilégiées", allégations menées contre lui par les républicains derrière Gambetta et Thiers. Il se considérait au-dessus de la mêlée, sauf que son acte de réconciliation avec le comte de Paris avait permis "de rendre à la France son rang, et dans les plus chers intérêts de sa prospérité, de sa gloire et de sa grandeur."

Néanmoins il n'avait pas entièrement compris la réalité des divisions entre les groupes différents qui, à certaines ou à d'autres conditions, avaient été préparés pour soutenir la restauration. Peut-être était-ce pourquoi, le 14 octobre, il ne reçut pas les députés qui avaient accompagné Chesnelong. La position de l'Eglise était également incertaine; certains prélats à l’extrême droite, avaient exigé vigoureusement que le comte de Chambord rejette le drapeau tricolore parce qu'il symbolisait la souveraineté du peuple ; pourtant le pape, dans une audience accordée au député royaliste Keller lui dit que "la couleur du pavillon n’a pas une grande importance ; c’est avec le drapeau tricolore que les Français m’avaient rétabli à Rome ; vous voyez qu’avec ce drapeau on peut faire de bonnes choses, mais M. le comte de Chambord n’a pas voulu me croire".

La solution offerte par Chesnelong fut immédiatement mise en discussion; le duc d'Audiffret-Pasquier, chef du centre droit et orléaniste, put craindre que si la proposition du roi était rejetée il y aurait une crise immédiatement après la restauration. L'armée avait indiqué clairement qu'elle n'accepterait rien moins que le drapeau tricolore; certains parmi les orléanistes espéraient une solution qui provoquerait l'abdication rapide du comte de Chambord en faveur du comte de Paris, qui lui, aurait immédiatement transigé sur cette question. Les historiens orléanistes considèrent que le comte de Paris ignorait ces manoeuvres, mais il était certainement au courant de la distribution de fortes sommes aux députés pour les persuader d'accepter le compromis proposé par Chesnelong – sommes estimées entre six et quarante millions de francs.
Chesnelong présenta les deux clauses par lesquelles le comte de Chambord marquait son accord avec l'Assemblée, dans un discours passionné du 18 octobre qui fut reçu par une ovation debout. Il indiqua clairement que ces deux déclarations étaient tout ce qu'il avait été chargé de transmettre, déclarant que "le prince n’usera de son initiative qu’après avoir pris possession du pouvoir; mais usera-t-il de son initiative après son élévation au trône? J’en suis convaincu. Sera-ce dès le lendemain de son avènement ou plus tard ? Je l’ignore. Quelle solution présentera-t-il ? Il ne me l’a pas indiqué. Voilà tout ce que je puis dire."
Un texte fut alors soumis au vote par Audiffret-Pasquier, et fut accepté à une large majorité.
D’après ces propositions, « la monarchie serait rétablie, toutes les libertés civiles, politiques et religieuses qui constituent le droit public de la France seraient garanties ; le drapeau tricolore serait maintenu et des modifications ne pourraient y être apportées, l’initiative royale restant d’ailleurs intacte, que par accord du Roi et de la Représentation nationale ; les réunions que ces bureaux représentent seront immédiatement convoquées. »

Malheureusement il était nécessaire d’aboutir à un accord clair entre la droite et le centre droit, ce qui fut délibérément saboté par les ultra-orléanistes Decazes et d’Haussonville. Haussonville et le protégé de Decazes, Savaray, étaient secrétaires de session du centre droit, et le premier usa de sa position pour altérer la rédaction de Chesnelong, qui déclarait que «le Roi est disposé par avance à la plus complète harmonie de sentiments avec la majorité royaliste» par «… à la plus complète harmonie avec les membres les plus libéraux de l’Assemblée et du pays» et «solution compatible avec son honneur» par «transaction compatible avec son honneur». Savaray se permit un changement encore plus insigne, remplaçant les mots rapportés comme ayant été dit par le comte de Chambord à Chesnelong “L’accord est complet entre le Comte de Chambord et la majorité royaliste sur les questions constitutionnelles” par “L’accord est donc complet, absolu, entre les idées de M. le comte de Chambord et de la France libérale”, mots qu’il était impossible de penser qu’ils aient été prononcés à Frohsdorf. Ce fut ensuite le communiqué à la presse, et naturellement immédiatement porté à la connaissance du comte de Chambord en Autriche.

Les orléanistes soutiennent qu’on ne peut contester que le chef de la branche cadette ait été trop subtil et trop honnête pour tremper dans de pareilles intrigues. Ceci peut bien avoir été le cas, mais il est difficile de comprendre pourquoi il ne se dissocia pas immédiatement lui-même de celles-là, et n’ordonna pas à Decazes et à d’Haussonville, tous les deux amis proches et confidents, de retirer le faux et d’enregistrer le texte réellement accepté. Certainement Decazes et d’Haussonville espéraient-ils que le comte de Chambord abdiquât sans délai en faveur du comte de Paris, en réalisant ainsi la restauration orléaniste qu’ils avaient toujours recherchée. Le comte de Paris lui-même ne dit rien face à ce coup désastreux pour la réconciliation et la restauration. Que Audiffret-Pasquier soit au courant de ces intrigues est incertain, ces apologistes affirment qu’il tenta de stopper la publication des minutes de ces délibérations, mais trop tard.

Le comte de Chambord était maintenant mis en face d’un choix fatidique, et tout à fait conscient de la réalité des divisions politiques parmi les monarchistes eux-mêmes, malgré le geste du comte de Paris. Il décida de rejeter le compromis douteux. Sa lettre fut transmise directement à Chesnelong mais il s’assura qu’une copie arriverait simultanément au Syndicat des publications. Après avoir remercié le député de ses efforts, il continua ainsi :
On me demande aujourd’hui le sacrifice de mon honneur. Que puis-je répondre ? Sinon que je ne rétracte rien, que je ne retranche rien de mes précédentes déclarations. Les prétentions de la veille me donnent la mesure des exigences du lendemain et je ne puis consentir à inaugurer un règne réparateur et fort par un acte de faiblesse.

Savait-il que ceci signifiait la fin de toutes ses espérances et celles des monarchistes français ? Il semble bien que non puisqu’il continua son projet de retour en France. La presse elle, le comprit. Les journaux du centre et de droite prirent cela pour une acte d’honneur, Le Gaulois commenta : « Il a préféré le suicide au déshonneur. La France aura pour lui le respect commandé par une si noble attitude ». L’Ordre : « Le prince est sorti avec honneur et dignité de l’intrigue dans laquelle on l’avait indiscrètement mêlé. Des honneurs tels que lui peuvent se passer de la couronne ». Le Pays : « Cette lettre enlève à la France un roi, mais lui laisser un honnête homme ». Des sentiments aussi généreux ne furent pas exprimés par les journaux de gauche, tous ridiculisant le comte de Chambord. Il est un peu triste de penser que ne reste dans la mémoire collective que son obstination réactionnaire supposée.

Chambord arriva in France le 5 novembre, allant directement à Versailles (L'Assemblée nationale siégeait alors à Versailles), où il établit sa résidence rue Saint Louis. Il pensait alors à une réunion avec le président, le duc de Magenta, dont l’épouse était une légitimiste fervente. Chambord espérait qu’une réunion impromptue pourrait être arrangée, et son aide de camp, le comte Stanislas de Blacas, suggéra cela à la maréchale duchesse de Magenta qui estima la chose impossible, mais que Monseigneur appelle plutôt le président. Chambord et ses conseillers ne considérèrent pas cela adéquat pour le futur roi. Blacas alla voir alors le président en personne et lui demanda de présenter le comte de Chambord à l’Assemblée Nationale ; mais Magenta ne pouvait rendre ce service et montra son inquiétude quant à la réaction de l’Armée. Informé de sa réponse Chambord fit cette remarque : « Je croyais avoir affaire à un connétable de France, je n’ai trouvé qu’un capitaine de gendarmerie ». Il s’était pourtant préparé ; l’uniforme de Lieutenant-Général avec le Grand Cordon de la Légion d’Honneur et au centre de l’étoile les fleurs de lis, avait été préféré au cordon du Saint Esprit, trop ancien régime ; mais l’appel ne vint pas.

Malgré tout, le projet de restauration fut soumis au vote, et échoua par 378 voix contre 310. La République était préservée et Mac Mahon assurerait la présidence jusqu’au 20 novembre 1880. Chambord quitta la France pour l’Autriche; il ne voulait pas vivre là où il ne pouvait régner.

Il y eut encore un espoir de restauration mais les légitimistes n’acceptèrent pas d’établir le comte de Paris comme roi, ainsi que le souhaitaient d’Haussonville et Decazes. Le gouvernement gardait de fortes inclinations monarchiques puisque le premier ministre fut le duc de Broglie, tandis que Decases prit les Affaires étrangères. Le duc de la Rochefoucauld-Bisaccia, député, mais aussi ambassadeur à Londres, proposa une nouvelle loi par laquelle...
«(1) Le gouvernement de la France est la monarchie; le trône appartient au chef de la Maison de France; (2) Le maréchal de Mac-Mahon [duc de Magenta] prend le titre de lieutenant général du royaume ; (3) Les institutions politiques de la France seront réglées par l’accord du Roi et de la représentation nationale.»
Le projet n’arriva pas à réunir une majorité et ce fut la dernière tentative sérieuse de restauration de la monarchie à l’Assemblée.

A l’hiver 1874, la reine d’Espagne en exil à Paris, Isabelle II, arriva à Vienne et reçut un représentant de Chambord, auquel elle soumit l’étonnante suggestion que le comte adoptât le prince impérial comme son héritier, en critiquant la “tentative de fusion, comme de gravir les marches du trône pour en ouvrir le chemin aux princes d’Orléans”. A la surprise de son représentant, M. de Monti, le comte de Chambord loin d’être scandalisé par cette suggestion répondit : “Cela pourrait sans doute faire le bonheur de la France, et, tout en gardant ma dignité, je pourrais un jour faire passer l’héritage de mes pères en des mains jeunes où s’allieraient deux conceptions qui s’entrechoquent encore. Mais je suis trop vieux et on ne me comprendrait pas». Cela suggérait-il que la réconciliation familiale du comte de Chambord n’était qu'affaire de famille, et affaire politique seulement dans le but de servir les intérêts monarchiques du moment ? Considérait-il peut-être que, dernier de sa lignée, la position dynastique de son successeur avait moins d’importance que l’exercice du gouvernement ? Chambord était en fait en excellents termes avec l’impératrice Eugénie, une légitimiste de cœur, tandis qu’il était lui-même fasciné par la gloire militaire de Bonaparte. Lorsque le prince impérial fut tué en 1878, Chambord adressa à sa mère une lettre émue de condoléances, professant son admiration pour ce jeune et brave Français.

Il est quelque part surprenant que les orléanistes n’aient prêté que peu d’attention à l’exilé de Frohsdorf et le comte de Paris lui-même n'ait pas fait plus grand cas de la réconciliation, rencontrant une seule fois encore le comte de Chambord, quand il était sur son lit d’agonie. Ce manquement fut-il simplement l’aveu qu’il n’y avait aucun gain politique encore possible ? Après 1881, il y eut l’excuse légitime des menaces gouvernementales de fermer la frontière aux Orléans, qui avaient été déjà renvoyés de l’Armée. Mais pendant les sept années qui suivirent le départ de France de Chambord, il est difficile de comprendre pourquoi il n’y eut aucun contact.
Lorsqu’il eut lieu, le comte de Chambord pardonna immédiatement, accueillant le comte de Paris et les ducs de Nemours et d’Alençon, les embrassant et pressant même la tête du comte de Paris sur son cœur. Il y eut un court échange, de dix-sept minutes seulement, qui se termina par le comte de Chambord prenant la main du comte de Paris en lui disant : « Quand vous rentrez en France, dites bien à tous que c’est pour ma chère France qu’il faut prier et non pour moi. Mon seul regret est de n’avoir pu la servir et mourir pour elle comme l’a toujours désiré mon coeur. Soyez plus heureux que moi, c’est tout ce que je désire ». Juste avant leur départ, le duc d’Alençon prit la main du mourant et lui dit : « Vous êtes mon roi et je voudrais mourir pour vous ». Ceux parmi les légitimistes qui soutinrent ensuite les revendications d’Orléans blâmèrent la comtesse de Chambord pour les relations médiocres entre son mari et les princes de la branche cadette pendant ses dernières années ; ils lui imputèrent une influence néfaste autant qu'antagoniste à leur endroit.

En France les sentiments légitimistes étaient encore vivaces; quinze bateaux avaient été affrétés, chacun pour mille royalistes, afin de célébrer la Saint-Henri le 15 juillet à Brighton. Etait-ce parce que Brighton était la résidence du comte de Montemolin, futur chef de la maison de Bourbon ? Les réjouissances furent annulées à cause de la gravité de la santé de leur prince. Chambord restait alité, ses forces se dissipant graduellement jusqu’au 23 août quand en présence de son épouse, de celle de la comtesse de Bardi (épouse du frère du duc de Parme et soeur de François II des Deux-Siciles), de la duchesse de Madrid (fille de la sœur de Chambord, la duchesse douairière de Parme), de la grande duchesse de Toscane (demi-soeur de la duchesse de Berry, mère de Chambord), il reçu les derniers sacrements de l’Eglise. Etaient aussi présents au château, son demi-frère, le duc della Grazia, son aide de camp, le comte de Monti et sa femme, la marquise de Foresta, le général de Charette (son demi-neveu par les relations de son père avec Amy Brown), et messieurs de Chevigné, de Raincourt, de Champeaux-Verneuil, Joseph du Bourg ; la plupart d’entre eux se rallieront plus tard au duc de Madrid. Après avoir répété plusieurs fois le mot « France », le comte de Chambord mourut à 7h27 au matin du 24 août 1883.

La comtesse de Chambord annonça que les obsèques seraient “privés” et remis la responsabilité du protocole à Emmanuel Bocher et au comte Stanislas de Blacas. Après le représentant de l’empereur François Joseph, l’archiduc Louis-Charles, les trois premières places furent réservées au duc de Madrid, au duc de Parme et au comte de Bardi, François II, roi des Deux- Siciles étant assis juste derrière eux. Le comte de Paris y assista, en acceptant que ce ne soit qu’une cérémonie de famille mais en informant ses partisans qu’une seconde messe mortuaire à la cathédrale de Goritz serait la cérémonie officielle qu’il présiderait. Il fit diffuser une déclaration aux souverains d’Europe en ces termes : «Sire, j’ai la douleur de vous faire part de la perte cruelle que la Maison de France vient d’éprouver dans la personne de son chef, Monseigneur Henri Charles Ferdinand Dieudonné d’Artois, duc de Bordeaux, comte de Chambord, décédé à Frohsdorf, le 24 août 1884. Je prie Votre Majesté de vouloir bien accorder dans cette circonstance à la Maison de France sa haute sympathie. Philippe, Comte de Paris.» C’est un texte curieux ; de sa vie, les partisans de Chambord se référaient à lui – Blacas par exemple quand il parlait au maréchal Mac Mahon – comme “le roi” ou “Henri V”; maintenant il était ramené à son surnom d'Artois et à son titre de duc de Bordeaux qu’il n’avait plus utilisé depuis trente sept ans ; le comte de Paris lui-même amputa son nom de Louis, prénom donné pourtant en l'honneur de son grand-père, et signa du simple nom de Philippe.

Le second service funèbre, plus imposant, fut organisé en la cathédrale de Goritz ; l’empereur était cette fois représenté par le prince de Thurn & Taxis. Les questions de préséance surgirent à nouveau, et maintenant le comte de Mun demandait au confesseur de feu le comte de Chambord, Frère Boll, d’expliquer aux ducs de Madrid et de Parme que leurs opinions dans le placement étaient erronées et que le comte de Paris prendrait la première place. A la surprise évidente de Mun, le frère Boll répondit que non, au contraire, le comte de Paris n’avait aucun droit d’être placé le premier, ni par la famille, ni par l’héritage, et le prêtre continua : « Vous n’avez aucune raison de soutenir le comte de Paris; il n’a pas le droit pour lui. Les légitimistes d’aujourd’hui ont oublié cela ; il y a cinquante ans, on le disait tout haut ; M. de Genoude, M. Coquille plus tard, ont publiquement soutenu cette thèse historique. En 1791, à l’Assemblée constituante, Mirabeau, lui-même, a déclaré qu’il fallait réserver les droits éventuels de la branche d’Espagne. Le traité d’Utrecht a imposé la renonciation à qui ? au roi d’Espagne. Don Carlos est lié à cette clause parce qu’il a revendiqué ses droits, qu’il a fait acte de prétendance. Son père, don Juan, peut être considéré comme lié aussi, parce qu’il les a fait valoir autrefois ; son fils également parce qu’il est son héritier ; mais son frère Alphonse [plus tard Alphonse Charles, Duc de San Jaime, dernier prétendant carliste] n’est pas lié et c’est là qu’est l’hérédité.» Le pauvre Mun tenta d’insister, que tout le monde connaissait le Comte de Paris, et personne cet Alphonse, et que même ces monarchistes qui soutenaient la branche aîné ne le soutenaient pas lui, mais son père, don Juan.
Ce fut finalement don Juan qui présida les funérailles à Goritz, et les Orléans dans l’impossibilité d’obtenir la place qu’ils considéraient comme la leur, s’abstinrent de participer.

Le comte de Chambord, dans son testament du 5 juillet 1883, avait nommé son neveu le duc de Parme, son légataire universel sous réserve des droits de jouissance de sa veuve, et avait fait divers dons individuels à d’autres membres de la famille, dont le duc de Madrid auquel furent légués les colliers des Ordres. Il fut prétendu par les orléanistes qu’il avait laissé une autre testament, politique, mais aucune trace ni preuve ne furent trouvées. Chiappe affirme qu’il n’a jamais soutenu les droits des Bourbon d’Espagne, et qu’après la rupture de 1873 il n’a pas eu l’intention de soutenir ceux d’Orléans non plus.

Immédiatement après sa mort, le 26 août, toutes les organisations légitimistes furent dissoutes; ceci pour entraver les desseins du comte de Paris (ce qui fonctionna).

Bien que tout ceci se soit passé il y a 120 à 130 ans, ça semble provenir d’une mémoire encore plus lointaine parce que pour beaucoup, toute possibilité pour les Bourbons s’était éteinte en 1830. Et pourtant ! Il y avait encore un domestique à Frohsdorf dans les années 60 dont les parents avaient servi le comte de Chambord ; le duc de San Jaime mourut en 1936, mais son héritier politique comme prétendant carliste, le prince François-Xavier de Bourbon-Parme ne mourut pas avant la fin des années 70 – il avait très bien connu le dernier duc de Madrid.

Le château de Chambord reste une relique historique du dernier espoir de restauration - il y a de nombreuses toiles et objets rappelant le comte de Chambord. Son dernier propriétaire, Elie, duc de Parme, vendit le château, son contenu et le parc à la IIIè République. (en 1932 ndlr)

130 ans plus tard, n'est-il pas venu le temps de mettre bon ordre en la Maison de France ?

2 commentaires:

  1. J'ai lu avec intérêt, votre article, sur les derniers moments du comte de Chambord.
    Vous terminez, en exprimant un vœux pieux, celui de remettre de l'ordre dans la Maison de France; je vous répondrai, mais quel ordre ?

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  2. Mettre de l'ordre, c'est revenir aux fondamentaux capétiens en hiérarchisant les exigences de conformité, car je pars du principe que les lois furent édictées au fur et à mesure que surgissaient des possibilités de choix au fil de l'eau.
    Aucune Table de la Loi n'est descendue de la Montagne ... avec Pharamond ! :)
    La primogéniture est la mère des lois fondamentales.

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