mardi 21 février 2006

Les Droits (10 à 17)

Le faisceau des Droits 10 à 17 de la Déclaration de 1789 forme un corpus pré-législatif de niveau constitutionnel. Etant rédigé par une assemblée constituante, le contraire serait surprenant. C'est peut-être cette partie qui a le plus vieilli. Les droits énoncés pour l'épanouissement naturel de l'être humain en société, auraient dû être complétés des devoirs de cette société nouvelle à l'endroit de la Nation, pour satisfaire aux besoins divers et multiples de chacun, et des devoirs de chacun au maintien de la Société. Sans doute l'homme "naturellement" bon n'avait-il à l'époque aucun besoin autre que l'admiration de ses droits.
Il est utile cette fois d'évoquer le motif de chacun de ces articles.

Article 10 - Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.

L'article vise essentiellement à banaliser l'expression de la foi des Réformés. C'est le complément de l'égalité de traitement qui depuis la révocation de l'Edit de Nantes a disparu. Les opinons évoquées ne sont précisées finalement que pour les croyances religieuses. On ne parle pas d'opinions politiques, philosophiques ou scientifiques, on le devine, c'est tout. On arrive vite à "l'ordre public".
De nos jours c'est le motif le plus fréquemment invoqué pour interdire une manifestation publique d'opinion. Et cet article fonde plus la répression des idées dès lors qu'elles sont diffusées, que la liberté. Cet article est obsolète, il doit être réécrit. Belle empoignade en perspective.

Article 11 - La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

Cet article est le prolongement de l’article 10. Il abolit d'abord la censure et proclame la liberté des idées et de leur diffusion, sous la contrainte expresse qu'elles soient conformes aux idées admises par le pouvoir politique au sens large. Cet article fonde parfaitement les lois de prêt-à-penser qui ont fleuri ces dernières années. Il y a matière à réécriture du texte à la lumière du modèle social que la monarchie voudrait retenir. Le droit de penser est inaliénable. La manipulation des esprits est condamnable. On bute sur un choix car la libre communication doit s'équilibrer de la protection des valeurs humaines fondamentales, et des besoins intrinsèques de l'espèce. De longs débats à attendre.

Article 12 - La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique; cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux à qui elle est confiée.

Ce texte précèdera la création de la Garde Nationale par le marquis de La Fayette sous la forme d'une milice populaire. Elle se distingue ainsi des forces armées proprement dites qui sont professionnelles et destinées à la protection de la nation aux frontières du pays. Il n'y rien à retrancher de nos jours, il s'agit des forces de police et de gendarmerie.

Article 13 - Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés.

On crée dès maintenant une imposition universelle au pourcentage des revenus pour payer les soldes des forces de l'ordre. Les privilèges abolis le 4 août précédent ne sauraient ressurgir. De nos jours ce texte devrait être englobé dans un article de citoyenneté fiscale. Les exemptions que le clientélisme républicain a distribué au fur et à mesure des vociférations catégorielles entament largement l'universalité de cette nécessaire contribution, au point que les classes dites défavorisées peuvent ressentir tout affrontement avec les forces de l'ordre comme celui du bas peuple contre les milices bourgeoises, vu que ces catégories ne sont pas imposables. Le rejet d'une partie des citoyens de la communauté fiscale est peut-être une des pires inégalités modernes; elle les "déclasse". L'article est bon, il doit être de pleine application.

Article 14 - Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.

C'est la tradition fiscale républicaine qui est instaurée par ce texte. Le citoyen consent l'impôt dans une enveloppe budgétaire et veille à son utilisation. De nos jours il y a loin de la coupe aux lèvres. Outre que l'impôt n'est pas universellement réparti (cf. supra), le citoyen par sa représentation ne décide quasiment plus rien et n'en contrôle pas plus, même si certains progrès ont été faits pour les grands comptes sociaux. Le pouvoir exécutif a tout en main. Quand ont été reconduits d'autorité les dépenses de fonctionnement et le service de la Dette, il ne reste aux députés que quelques miettes à disputer pour la galerie des badauds. L'exécution des budgets est analysée par la Cour des Comptes et son rapport annuel est publié. Il n'est pas contraignant. Et la représentation nationale dans laquelle on puise les responsables de l'exécutif n'a que peu de courage ou de facilité pour contraindre ceux qui exécutent les budgets à s'y tenir. La bureaucratie a dévoré la liberté budgétaire des citoyens. L'article doit être adapté, en l'état il est trop loin du fonctionnement réel de l'Etat moderne.

Article 15 - La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

Cet article détruit le sentiment d'impunité naturelle du bureaucrate protégé derrière le mur des "règles". Ce texte doit être gravé en lettre d'or derrière chaque guichet de nos administrations. On peut sourire à l'urgence de lutter contre la concussion qu'ont montré les rédacteurs de 1789.

Article 16 - Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.

C'est l'article de Montesquieu. Les moeurs politiques de l'époque laisse penser qu'on évoque la séparation de l'exécutif et du législatif. L'entité garante des droits n'est pas finalisée. Il s'agit surtout pour l'Assemblée de contrôler l'exécutif. Le texte ne voulant pas dire plus, et faisant bel effet, il reste en l'état.

Article 17 - La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité.

Il est amusant de voir la protection des propriétaires, le plus souvent bourgeois, arriver en queue de la Déclaration, comme un codicille. Il faut dire que la notion de propriété était âprement discutée sous l'Ancien régime dans l'enchevêtrement du droit romain emphytéotique et de la loi barbare des fiefs, tenures, etc. Source de disputes parfois sanglantes, on met à plat la relation de l'homme au sol sur la base du droit sacré à posséder. Le droit de l'occupant originel. L'inviolabilité condamne de saisir des terres par la force. Ce tout nouveau principe fonde le droit que nous utilisons aujourd'hui, après l'éclipse des élucubrations communistes qui heurtaient l'atavisme naturel à posséder.
Le droit inviolable et sacré est tout de même limité par l'intérêt général. C'est l'expropriation d'utilité publique, bien connue aujourd'hui. L'article est à conserver tel quel.


Dix-sept articles et pas une fois n'ont été évoqués les besoins essentiels de l'homme et ses devoirs primaires, qui seraient la contrepartie que la Société et l'Etat qui l'organise doivent à l'individu en contrepartie de son acceptation du moule social défini par ces droits, d'une part ; et de l'autre, les devoirs de chacun pour maintenir fraîche et pimpante la Société qui l'accueille.

Le premier besoin est celui de la satisfaction des besoins initiaux de l'espèce humaine. Manger et dormir à couvert.

C'est très bref. On voit les ravages de la misère, sans se douter de l'ampleur qu'ils peuvent prendre si une crise mondiale nous frappait. Or ces besoins ne sont nullement assurés ; l'Etat et la Société peinent à subvenir aux besoins de quelques milliers de pauvres déshérités, et les associations caritatives de tous ordres aussi. Des lois contraignantes doivent être édictées en application de ce besoin fondamental. La liberté de mourir au ruisseau n'est pas une liberté comme les autres.

Le deuxième est celui de la sécurité du citoyen.

L'article 2, le seul qui parle du droit de sûreté, autorise à se constituer en association politique pour la conserver; pas plus.
L'Etat a le devoir non seulement de veiller à la sécurité des citoyens mais de la garantir. Si la sécurité des frontières est facile à appréhender, la sécurité quotidienne est plus floue. Cette exigence de garantie est un peu étrangère aux soucis des forces de l'ordre qui n'acceptent de contrainte que l'obligation de moyens. Ce devoir de sûreté s'il était prééminent aux lois de circonstances, obligerait le législateur à s'interroger au moins sur l'augmentation ou la diminution de sûreté qu'entraînent les dispositions qu'il crée.

On laissera de côté le besoin de prospérité que certains voudraient avantager. Pour notre part, elle ressortit du domaine privé car elle doit être le résultat d'un effort. A la Société de ne pas la punir en exagérant sa mise à contribution.

Le troisième est un devoir de "chaîne et trame" du tissu social.

Celui de maintenir au meilleur niveau économique et moral la cellule sociale de base que tout citoyen peut choisir de fonder dans cette Société, qui compte réellement sur cette cellule irremplaçable pour y déléguer ses ambitions d'éducation, et de protection. C'est la famille. La destruction de la famille devrait être condamnée.

Le quatrième est un devoir de solidarité.

Celui pour tout citoyen de concourir à la sûreté générale de la Nation. Les modes de concours peuvent être divers et surtout complémentaires. Si des lois ont été édictées en ce sens dans un passé plus guerrier qu'aujourd'hui, il est convenable que cette solidarité due à tous les autres sont gravée dans le marbre constitutionnel.
Il est inadmissible qu'une fraction importante des habitants du pays se déclare hostile à la nation elle-même. Ceux-là n'y ont pas leur place. Du moins devraient-ils s'attendre à ce qu'ils soient privés de leur citoyenneté et des droits qu'y attachent la Déclaration et les lois de protection sociale.


Epilogue
Les penseurs politiques comme Maurras refusaient cette Théologie des Droits. "Il est impossible qu'un animal aussi sensible, aussi triste, aussi vulnérable que l'homme, une fois placé sur l'autel intérieur que lui érige la dogmatique libérale, ne se croie pas, neuf fois sur dix, le créancier de ses semblables et de l'univers, au lieu que le plus misérable est au contraire leur débiteur à l'infini ! Cette illusion de la créance sur la société ne peut être qu'encouragée par l'absurde métaphysique des Droits."

Ne nous disputons pas, la revendication annoncée est certaine. Mais qui oserait en 2006 démonter la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, article par article ? A l'impossible nul n'est tenu, fut-il le roi ! D'ailleurs Louis XVI en avait bien compris l'inéluctabilité. Contentons-nous de la compléter de l'essentiel.

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