par Jean-Philippe Chauvin
(avec la permission de l'auteur)
Ne pas tomber dans le fatalisme, mais, au contraire, poser la question du régime politique susceptible de répondre au mieux aux défis contemporains, dans le sens de l’intérêt commun.
La Ve République est-elle entrée en agonie ? Bien sûr, les institutions semblent encore fonctionner, le Président présider et le gouvernement gouverner... Mais cela tient plus à l’habitude qu’à un véritable dynamisme politique.
Du coup, comme le souligne, parfois crûment, Nicolas Baverez, la France est malade : « Une gesticulation législative subordonnée aux impératifs de communication, mêlant les textes de circonstance – telle que la désastreuse loi dite du voile – aux textes d’exception, qui tendent à systématiser [...] le soupçon et la délation au mépris des libertés.
Un État en faillite, dont les finances publiques sont les plus dégradées au sein de l’Europe des Quinze. Un engrenage de guerre civile froide avec la montée des tensions entre les statuts, les corporations, les générations, et plus encore les communautés. [...]
La France présente aujourd’hui ce paradoxe scandaleux d’un pays qui décline, s’appauvrit et se déchire, en dépit de ses immenses atouts, du seul fait de règles absurdes et d’un manque criant de leadership politique.
La France ne meurt pas d’un excès, mais d’un déficit de politique, ou plus exactement de la cannibalisation du politique par une conception cynique du pouvoir qui en monopolise les avantages, tout en en refusant les responsabilités, qui en dissout la dimension de projet et d’action pour n’en retenir que l’accaparement et la distribution des emplois et des fonds publics.
Elle est le pays où le Premier ministre se définit comme un fusible et un simple exécutant du Président, tandis que le Président ne se consacre qu’à sa propre réélection, se spécialisant dans les causes humanitaires pour mieux se dérober devant les choix politiques qu’imposent les intérêts supérieurs de la nation » (1).
Autre problème, évoqué par Jean-Louis Guigou, ancien délégué à la D.A.T.A.R. : « La France est [...] bien “malade” d’un manque de prospective. La société devient nerveuse et se bloque car, à l’évidence, un peuple n’avance pas s’il ne sait pas où il va. [...]
« Ce qui caractérise la France, actuellement, c’est cette absence de vision du futur. Ce manque de projet et d’ambition collective [...] Le long terme disparaît, tout se ramène à l’impérialisme de l’instantané. » (2)
Cela se marque aussi, comme le souligne l’un des animateurs des Guignols de l’Info, par le fait que le pays est en « période électorale permanente », phénomène aggravé par le quinquennat : il en résulte ainsi l’affaiblissement du politique et de l’État par le mécanisme du “balancier démocratique” qui engage toutes les structures gouvernementales de l’État. La preuve en est fournie par les alternances politiques à répétition (particulièrement depuis 1981), mais aussi par les cohabitations classiques (président et gouvernement de couleurs politiques différentes) et les “nouvelles cohabitations” en cours de définition liées à la décentralisation (régions quasi-intégralement dirigées par la gauche face à une majorité parlementaire et gouvernementale de droite).
Devant une telle confusion, il est permis de ne pas tomber dans le fatalisme, mais, au contraire, de poser la question du régime politique susceptible de répondre au mieux aux défis contemporains, dans le sens de l’intérêt commun bien compris des Français d’aujourd’hui et de demain.
Jean-Louis Guigou évoque la nécessité de « réintroduire la pensée à long terme dans l’action politique » (3) : cela est fort bien, mais incomplet, car c’est aussi dans les institutions qu’il faut remettre le “long terme”, en ne confondant pas celui-ci avec une forme moderne de “fixisme” ou de “fossilisation politique”. Le long terme nécessite la continuité certes, mais une continuité qui se doit d’être dynamique pour épanouir ses qualités et accompagner le temps sans l’arrêter, ni se laisser dépasser par lui.
Or, quel État peut, par essence, disposer du “long terme” ? Sûrement pas la république du quinquennat ! Une sixième république parlementaire, “redite” de feue la quatrième ? Ce n’est ni souhaitable, ni viable !
Alors ? Alors, la monarchie !
Mais pas n’importe laquelle : il ne s’agit pas d’une monarchie féodale copiée d’un passé révolu, ni d’une pétro-monarchie plus théocratique que politique. Nous nous intéressons à la monarchie “à la française”, pour ce pays-là et non pour un autre (même s’il y a des points communs avec d’autres régimes royaux, tels que le mode de transmission du pouvoir ou le rôle symbolique du souverain) ; la monarchie française, “capétienne”, peut être attentive aux autres monarchies dans le monde, mais elle trouve d’abord ses raisons d’être et ses motivations politiques dans l’histoire, le terreau et la nation française.
La monarchie française est “héréditaire et successible” : cela signifie qu’elle n’est pas esclave des élections et de ceux qui les font ; non pas vraiment les électeurs, mais les partis et les “puissances d’argent”.
La monarchie, par son principe même, c’est la transmission de l’État, de son sommet institutionnel et symbolique (au sens fort du terme), par le biais le plus simple, le plus naturel, car filial, du père au fils, par la disparition de l’un et l’“apparition” immédiate de l’autre. « Le Roi est mort, vive le Roi ! » et son complément théorique « le Roi de France ne meurt jamais » sont les deux formules qui caractérisent le mieux cette “passation de sceptre” qui, si elle voit la mort physique d’un monarque, voit aussi dans le même temps la pérennité de sa fonction et de l’État immédiatement assurée par son successeur.
Ainsi, le Roi ne doit son pouvoir qu’à la naissance et au deuil : il n’a pas choisi de naître héritier de Roi, “Roi en devenir”, comme il n’a rien choisi de ce (et de ceux) qui le précède. Sa naissance en position d’héritier lui fixe des devoirs et lui assure une formation politique pour un avenir royal qu’il aura, peut-être, à assumer.
Comme le souligne le journaliste belge Paul Vaute, le principe même de l’hérédité monarchique assure une indépendance de fait, quant à l’origine de son pouvoir, voire de sa légitimité, au monarque : « Une personne – mais aussi un couple, des enfants, une dynastie – dont le pouvoir n’est pas le fruit d’une lutte politique, qui n’a pas été fabriquée par l’état-major d’un parti, qui n’a pas percé à grands coups de marketing, qui ne peut être identifiée à un groupe social, un milieu culturel ou une région [...] : tel est le Roi. Il n’est pas nécessairement parfait – nul ne l’est – mais il n’est pas un parvenu. Il offre un visage humain bien nécessaire, indispensable même, à ces mons-tres froids que sont devenus les États dans le monde contemporain » (4).
L’indépendance du Roi, conséquence du principe héréditaire, est beaucoup plus importante que sa compétence personnelle : c’est cette indépendance qui lui permet d’exercer son pouvoir suprême dans de bonnes conditions, en particulier dans le cadre de la monarchie active que nous prônons, dans le choix du personnel gouvernemental, dans la mise en place des grandes politiques, dans l’exercice de la diplomatie et dans l’arbitrage politique. Cette indépendance de position assure aussi l’unité même, à travers sa personne et sa famille, du pays : Louis XVI, Roi de France, s’adressait aux “peuples de France” et il apparaissait, à la suite de ses prédécesseurs, comme « le seul point commun à tous les habitants du royaume » au-delà des fortes différences provinciales, linguistiques et culturelles, voire institutionnelles.
Paul Vaute le rappelle en quelques phrases fort judicieuses, écrites pour traiter de la monarchie belge, mais qui peuvent en l’occurence s’appliquer fort bien à la monarchie française : « Hors des clivages de toute nature, le Roi n’est pas pour autant cet être transparent, cette statue de marbre, cette fonction pure, ce personnage incolore, inodore, insipide, censé s’abstenir de tout avis au grand jour, tel qu’il semble émaner de nos traités de droit public. (..). En tout occupant du trône, nolens, volens, on trouve un exorciste du démon des divisions internes, quelles qu’en soient les causes ou les prétextes [...]. Le Roi est toujours celui qui rappelle que “fédérer, c’est unir dans la différence acceptée et non pas dissocier dans l’affrontement” (5 bis).» (5).
La monarchie française n’a pas vocation à être seulement constitutionnelle ou parlementaire : elle se doit d’être politiquement active, de rendre au politique ses capacités d’action et d’intervention face aux grandes forces financières et économiques, et d’incarner (et de motiver) la diplomatie française dans le monde. Elle n’est pas une fin en soi, mais le moyen d’agir pour la France, dans les meilleures conditions possibles. Dans un monde incertain, la monarchie française, “ré-instaurée”, pourrait être le signal annonciateur d’une reconquête par le politique des territoires que l’économique occupe indûment. Ce serait, en somme, la victoire des hommes sur le pouvoir anonyme de l’Argent-dieu...
Notes :
(1) Nicolas Baverez, Le Monde, 25 mars 2004.
(2) Jean-Louis Guigou, La Croix, 25 juin 2004.
(3) Jean-Louis Guigou, Le Figaro, 5 juillet 2004.
(4) Paul Vaute, Voie royale, p. 19, éditions Mols, 1998.
(5) Paul Vaute, Voie royale, p. 57-58.
(5 bis) Nous, Baudouin, Roi des Belges. Testament politique, social et moral d’un noble souverain, t. II : de 1974 à 1993, pp. 856-858, Balen, Eurodef sa/nv, 1996.
Article édité dans la rubrique "Idées" du site www.royaliste92.com
et publié dans L'Action française 2000, n°2658, 29 juillet-25 août 2004.
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