Jusqu'au règne de Louis XV la "nation française" est un concept peu répandu. Le patchwork du royaume de France limitait la prise de conscience d'appartenir à une nation, même si tout le monde se "savait" français. L'Ancien Régime était un "bizarre assemblage d'institutions féodales et de lois césariennes fourmillant d'abus et de contradictions; rien n'y coïncidait, tout y était disparate", écrivait Isidore Boiffils de Massanne. Pourtant le dogme de l'intérêt général commençait à niveler la politique, on aspirait à l'uniformité des meilleures conditions de tous ordres.
Lorsque la crise financière de l'Etat obligea Louis XVI à convoquer les Etats Généraux, on a pu se croire à la veille d'une Rénovation Universelle appelant le règne de la Justice. Les cahiers de doléances furent rédigés dans l'enthousiasme. On n'imagine pas aujourd'hui l'ampleur et la profondeur de cette consultation démocratique. Les supplications communales furent délivrées après délibération générale. Par exemple, quand la ville de Sumène (Gard) comptant 3000 âmes en 418 feux, adressera sa contribution à l'assemblée d'Alès, cette contribution sera signée de 259 noms dont le premier est le marquis de Sumène et le dernier le notaire communal. Donc 62% des familles délibérèrent, et on a même noté des abstentions volontaires comme le curé et deux nobles du cru, ce qui accroît encore l'assiette de la consultation !
La ville députera 11 représentants à l'assemblée préparatoire d'Alès convoquée par le marquis de La Fare, 2 pour le clergé, 3 pour la noblesse, 6 pour le tiers.
A l'assemblée délibérative de Nîmes de mars 1789 ce sont quatre électeurs de Sumène qui seront convoqués par exploit d'huissier pour nommer les députés pour Versailles. Le pays, émietté dans son droit et dans toutes ses fonctions, mais encore très puissant, y croyait à fond !
L'affaire des Etats-Généraux est devenue ce que nous savons. Ce n'est pas le sujet du jour. A tout le moins laissons Boiffils de Massanne régler l’affaire en quelques mots : « Considérant le pouvoir comme une proie, le Tiers Etat l’a voulu ravir aux nobles et au roi. » Il y parvint !
On peut constater que des provinces aussi périphériques que le Languedoc se sentirent très naturellement parties prenantes dans la réforme des institutions. Sans décliner les critères qui fondent une nation, on peut déjà apercevoir qu'aux Etats Généraux de 1789 c'était une Nation qui s'exprimait. La transformation des Etats Généraux en Assemblée Nationale fut célébrée en beaucoup de villes par des réjouissances publiques. Puis vinrent les exactions de la Bastille et une certaine panique en province, qui provoquèrent, non pas le sauve-qui-peut dans un repli régionaliste qui n'existait déjà plus, mais la formation partout d'une Garde Nationale qui renouait avec les fonctions médiévales du Guet.
La Constituante poussait les réformes en continu, le pays suivait. L'effondrement de la Monarchie absolue n'avait provoqué aucune tentation centrifuge. Même les Protestants qui relevaient la tête et les fusils, jouaient leur cause au niveau national en se saisissant de tous les emplois publics possibles. Nîmes vivra quand même de terribles émeutes huguenotes où l'on massacra les compagnies de la Garde Nationale locale. Mais l'heure était aux fêtes patriotiques et la grande Fête de la Fédération du 14 juillet 1790, que nous commémorons chaque année, est bien celle des fédérations de province.
Elle se déroula sous la présidence du roi qui jura fidélité à la Nation. A quoi deux cents mille poitrines répondirent :
" Vive le Roi, vive la Reine, vive le Dauphin ! "
La Nation naquit là au niveau politique.
Après le saccage de la Monarchie constitutionnelle par la prise des Tuileries le 10 août 1792, le roi qui jusque là s'était beaucoup effacé dans les affaires du pays, disparut des préoccupations des gens du commun, même si d'aucuns gardaient une affection certaine pour la famille royale. Les lendemains du 21 janvier 1793, connurent en province un émoi considérable des populations dès que l'on apprit l'assassinat ...... du conventionel Le Pelletier, marquis de StFargeau.
Une cérémonie grandiose fut organisée place Vendôme et des cortèges funèbres défilèrent jusque dans des villes reculées en hommage au "premier martyr de la Révolution", les bannières proclamant les dernières paroles du mourant. La Nation était atteinte !
Par la suite, la patrie en danger, la levée en masse, connurent un écho positif dans toutes les provinces, même si les paysans déclaraient avoir autre chose à faire que le soldat. La Nation allait se défendre et gagner ! Elle n'éclaterait pas, elle était liée.
Peut on prétendre que la nation s'est constituée par surprise. Le fait est que les peuples de France et leurs trois ordres historiques ont précipité un jour en une Nation, qui s'avéra irréfragable pour longtemps. Même l'orgie sanglante de l'Empire ne l'entamera pas. Elle attirera facilement le duché de Savoie et le comté de Nice en son sein ; jusqu'au sandjak d'Alexandrette qu'il faudra rendre aux Turcs, surpris de cette aimantation.
Avec des hauts et des bas elle perdurera dans sa force jusqu'à la Débâcle de 1940. Au milieu des décombres de la République, l'Etat ayant trop demandé à la Nation qui n'en pouvait plus de nourrir ses caprices et son incurie, le chacun pour soi deviendra la loi générale. Il semblerait que nous y soyons toujours soumis. On parle maintenant de nations corse, catalane, basque, bretonne, flamande, savoisienne, jurassienne ou occitane. Du n'importe quoi.
Ceux qui souhaitent approfondir feront leur profit de cette note complète sur le pouvoir, la souveraineté, la légitimité et la nation :
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