Le déclin du pays est-il vraiment celui de l'Etat ? La Nation est-elle la première victime du régime proclamé pour exalter sa souveraineté ?
LA NATION - LA LOI - LE ROI !
Tels étaient mis sous le même joug les trois chevaux puissants qui tiraient le pays de France en 1790 et que l'on trouvera au revers des pièces de monnaie Louis XVI frappées jusqu'en 1793.
Du trio ce serait donc la Loi, celle de la République, la cause de tout ; celle bien sûr qui a démissionné le Roi de l'attelage ; celle qui a mis à bas les valeurs morales traditionnelles de ce magnifique pays si divers et uni tout à la fois ; celle qui codifie de plus en plus les moeurs en investissant la sphère privée depuis que l'oligarchie cosmopolite l'a interdite de séjour dans sa sphère mercantile. Cette Loi qui a organisé la canalisation des flux de richesse au profit du nombre sans préjuger des mérites, qui a construit le règne des saltimbanques de la politique sur concours fléché. Cette Loi qui a remplacé le pouvoir par l'image du pouvoir et qui nous mène aujourd'hui à tous les abandons.
A ce stade de la causerie, on entonne normalement la Royale !
Il est rare d'entendre les Français s'interroger sur la Nation, sauf au sein de certains cercles qui dans le brassage des peuples du monde, ne la comprennent plus ou la rêvent bien différente. Mais si le commun des mortels français sait appartenir à la nation française, ils ne le ressentent pas. Il faut dire que les ravages des nationalismes du XXè siècle jusqu'à leur avatar yougoslave récent, les ont prévenus de toute affection incontrôlée à l'endroit de la Nation ; concept que d'aucuns reconnaissent d'essence purement intellectuelle, ne concrétisant ni chair, ni os.
Les resucées présentes du rassemblement national pour affronter les chars de la globalisation, convoquent le "patriotisme" qui est un état d'âme, un lien à la fosse commune de nos pères, pas la Nation qui est un partage de valeurs communes et l'acceptation d'un Droit applicable à tous, à la frontière non franchie du nationalisme, idéologie qui en vaut d'autres. Or cette nation qui est-elle, que vaut-elle donc pour n'être pas appelée ?
Sans refaire le parcours de sa construction depuis Bouvines, on peut la décrire comme le précipité des peuples de France dans la Révolution, proclamé par la Confédération de 1790. Elle s'est éprouvée dans les guerres de la Convention puis du Premier Empire, a douté dans les désastres du Second, s'est réconfortée dans les assauts de 1914, sur la Marne, la Somme et à Verdun, pour relativiser ensuite l'inéluctabilité des boucheries, la taxe de concept national ayant été trop élevée : 1500000 morts et autant de blessés à fin 1918. La "der des der" façon de dire "jamais plus!". Finalement la Nation s'est débandée lors de la Débâcle de 40, ses peuples étant déjà trop morts. Ou, dit moins brutalement, des minorités opposées ont saisi des postures d'avenir au grand casino de la guerre totale quand la masse immense s'était recroquevillée sur ...... le Ravitaillement !
Les efforts pour reconstruire une nation après la Libération ont tous été vains. Une grande partie du peuple dont deux générations avaient beaucoup donné aux idées nationales, s'est abonnée ensuite à l'internationalisme, sorte de générosité gratuite et lointaine qui améliore l'estime de soi ; au tiersmondisme qui en est la version paternaliste et larmoyante avec l'avantage de maintenir la prééminence du tiersmondain ; au caritatif humanitaire pour quelques-uns encore plus débranchés. Et comme sous l'Occupation, la grande majorité silencieuse s'est affairée à ses affaires, zappant les programmes politiques pour alterner les inconvénients imposés par le régime démocratique.
On peut dire que depuis lors le précepte politique individuel s'est limité à l'échelle d'intérêts que déclame le sage d'Ancien régime égaré en République :
"Préférez la Famille à la Cité, la Cité à la Province, la Province à l'Etat, l'Etat à l'Humanité. Défiez-vous de ce qu'on appelle l'Intérêt général et souvenez-vous que la Société est faite pour sauvegarder les intérêts particuliers. Mais en même temps respectez scrupuleusement l'indépendance et les intérêts d'autrui. Ne courez pas, à notre exemple, après une chimère : l'Egalité, et après une rêverie : la Fraternité. La seule chose qui donne de la valeur à l'homme et du mérite à ses actions, c'est la Liberté."
Pour aujourd'hui on mesure l'état de délabrement moral de la Nation Libérée à quelques évidences :
Clearstream ! Les Français sont désorientés ! Horrifiés? révulsés? révoltés ? Pas le moins du monde ! Désorientés. Pour en avoir trop vu, la Nation a intégré le "scandale" dans les contre-valeurs de son imaginaire. Par contre les Français ne discernent pas que les scandales servent à les détourner des causes fondamentales de leur mal-être, qui n'a plus grand chose à voir avec le régime politique, et pas tellement avec les gens aux manettes qui font ce qu'ils peuvent avec ce qui leur reste de liberté de choix. De toute façon il a été décidé à tous étages de ne plus affronter la Réalité.
Quelle est-elle ? trois axes, mais il y en a tant d'autres :
(1) La France a déserté l'Europe en rase campagne par le référendum de mai 2005. La raison n'est pas celle que brandissent les "vainqueurs" souverainistes. L'électorat a pour moitié sanctionné la superbe bruxelloise savamment mise en scène par la classe politique nationale pour expliquer ses insuffisances, deuxio, le dessein inextricable de l'Union et le défaut de réponse à des questions simples et fondamentales comme le schéma social recherché en commun, et les limites géographiques de l'Union qui se sont avérées le meilleur cheval de bataille avec l'incursion de la Turquie dans le schmilblick.
Or jusque là, avec des bonheurs divers, l'Europe était le gant visible que manipulait la France, plus ou moins bien selon le chef d'état en fonction. La main n'y rentrera plus jamais, la gant est vide mais pas pour longtemps. La France est devenu un pays européen "ordinaire", que l'on ne feint même plus d'écouter. Les exemples pullulent. La crise financière qui nous guette annule toute velléité de remonter au classement. Etonnés de nos ambitions éculées et de notre modèle unique au monde sauf dans les arrière-cours de la civilisation, nos partenaires de l'Est se rangent sous l'ombrelle américaine sans complexe aucun puisqu'il n'y a plus de solution de rechange. On attend avec beaucoup de suffisance au Quai mais peu d'arguments, la remise en cause biaisée de notre siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU.
(2) La Nation n'a jamais voulu affronter sa diversité nouvelle, fruit de sa réindustrialisation et du rapetissement du globe. C'est le problème de l'immigration dans un schéma inadapté, stigmatisée par les émeutes de novembre 2005 dans les banlieues. L'origine réelle des troubles n'est pas désignée par l'Etat, et la Nation refuse d'y comprendre quelque chose plus loin que le défaut de sécurité, le chômage et le laxisme de la Justice. Or il s'agit bien de l'effondrement du mythe intrégrationiste fabriquant à la chaîne une classe "low cost" à côté de la nation des Desouches. Laquelle ne montrant que mépris et discriminations en tous genres, a ramassé la monnaie de son incurie et de son arrogance. L'affaire ne concerne pas ce régime plutôt qu'un autre quoique l'affichage international des Droits et Valeurs généreuses de notre République sans cesse proclamés, ait pu tromper les candidats migrants sur notre compte. Il est trop tard. Et seuls nous n'arriverons à rien.
(3) En prolongement du désaveu insurrectionnel, la bronca provoquée par le CPE qui visait à faire exploser les contraintes syndicales d'un autre âge au profit de l'embauche sans conditions de jeunes de toutes provenances, est proprement sidérante lorsqu'on observe qu'elle fut portée par les jeunes bourgeois complètement en dehors de l'épure ! A 25 ans la plupart sont encore dans les études poursuivies et difficiles à rattraper, mais toujours chez papa-maman. Or cette agitation surmédiatisée a provoqué l'oukase suprême qui a bafoué les droits essentiels du parlement et le peu de liberté politique résiduelle du gouvernement. La vraie question est ailleurs, complètement étrangère au régime, elle met en cause la Nation :
La Nation intoxiquée aux avantages acquis et toujours plus nombreuse à bénéficier de la répartition forcée des fruits du travail d'une caste de moins en moins nombreuse, refuse carrément de mettre à plat ses fondamentaux, sa démographie, ses ressources, ses possibilités, et même ses atouts mais par-dessus tout, se cabre dès qu'il est proposé de tenter l'expérience du libéralisme économique; même en l'adaptant.
"Contre le chômage, on a tout essayé", pleurnichait Mitterrand. Du tout ! On n'a pas essayé de briser les contraintes réglementaires à l'innovation, à la production et à l'enrichissement des actifs ; on n'a pas essayé de déporter aux Kerguelen les tenants de l'administration soviétique. On s'est évertué (ou tué tout court) à préserver le travail de ceux qui en avaient sur injonction des syndicats relayés par leurs partis politiques quel que soit l'avenir des filières ainsi défendues. L'usine à gaz réglementaire héritée de la Libération est intouchable, même si elle produit trop de méthane.
La Nation est mal partie. Les voies sur lesquelles elle doit choisir de s'engager dans onze mois ne sont pas accessibles, mais dissimulées habilement par les slogans archaïques des partis de gouvernement et les affaires. Qui va passer à la moulinette médiatique ce mois-ci préoccupe tout le Landerneau politique. Les réalités économiques qui commandent tout ne sont pas traitées, et ne peuvent être affrontées qu'avec l'effet de levier européen. Ceux qui l'ont brisé en mai, dansent la carmagnole et les badauds battent des mains comme des otaries, avant que d'apprendre la délocalisation de leur entreprise au Vingt-Heures.
"La solution de facilité pour la classe politique, disait John Vinocur du Herald Tribune, est de faire du scandale le vecteur unique décidant de l'avenir politique de la France. A l'instar de ce qui s'est pratiqué depuis vingt ans, voilà une manière bien tentante et rassurante d'éviter la grande opportunité qu'offre l'affaire Clearstream, celle de s'atteler enfin à la tâche. Le scandale politique, s'il n'a pour conséquence qu'un changement de tête à droite ou à gauche, aura raté le vrai défi : prendre de front les vérités les plus amères du pays."
On sait maintenant que la Nation en est incapable.
Avec ou sans VIè République.
"L'histoire enseigne qu'on ne peut réinventer la morale à l'échelle d'une nation entière quand l'idiome de la morale qu'on veut retrouver est étranger à la masse du peuple et à l'élite intellectuelle" (MacIntyre dans Les Epées n°19)
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