Mes lectures estivales m'ont conduit en Aveyron et dans le Gard sur la trace des chouans méridionaux de l'époque révolutionnaire. Réconforté d'apprendre que le drapeau blanc avait flotté aussi au sud du Massif central, je me plongeais dans les relations locales des évènements. Pour vite déchanter.
"Ils étaient travailleurs de la terre, domestiques, tisserands, fabricants de bas, cordonniers, aubergistes ou propriétaires terriens. Ils quittaient leurs foyers pour défendre la religion et le roi, mais finirent par piller et rançonner les républicains, entraînés par quelques bourgeois, nobles et prêtres exaltés pour une cause qui se perdait. De la politique au banditisme, ils ont allègrement franchi le pas. Aveyronnais, lozériens, héraultais ou gardois, ils ont défrayé la chronique de leurs temps, pour ne laisser que quelques souvenirs déformés dans la mémoire populaire." ( Les brigands du Bourg, chouans de l'Aveyron).
A part quelques purs comme Marc-Antoine Charrier qui périt sous la guillotine en juillet 1793 à Rodez pour avoir obtenu des succès militaires dans le Gévaudan (il prit Mende), la majorité des troupes étaient plutôt formées de guérilleros de rencontre. Arrêtons-nous sur Charrier quelques instants avec Rémi Soulié qui en parle dans son ouvrage "Le Vieux Rouergue".
"Notaire à Nasbinals, sur le plateau d'Aubrac, aux confins du Gévaudan et du Rouergue, l'« infâme » et le « traître » Charrier, ancien député du Gévaudan aux Etats Généraux de 1789, ami du comte d'Artois qui lui confia le commandement des deux provinces, avait pris la tête d'une bande de « brigands fanatiques et superstitieux» que révoltaient les persécutions religieuses organisées par les dévots de la Raison. Malgré les consignes des princes en exil, Charrier ne put retenir des troupes lasses d'attendre. Revêtu de l'uniforme aux couleurs royales et aux boutons fleurdelisés, cocarde blanche au chapeau, il s'empara de Rieutort, de Marvejols, de Mende et de Chanac, où les populations l'accueillirent dans l'allégresse, à grandes volées de cloches. Informé par le vicaire de Recoules d'Aubrac qu'une puissante armée républicaine s'apprêtait à déferler sur la Lozère et l'Aveyron, sans espoir de renforts, Charrier fut contraint de licencier ses chouans, qui se dispersèrent sur la Montagne. Pendant trois jours, nouveau Jonas, figure prédestinée de la Sainte Face, il trouva refuge dans un souterrain qu'il avait aménagé sous une grange, près de la Borie Grande, où il fut délogé par dix gendarmes que Baptiste Séguy, son fermier, avait été forcé de renseigner. Après une nuit passée dans une cabane, sur la route qui sépare Nasbinals d'Aubrac, puis une halte à Espalion dont la population avait été invitée à ne pas mettre les sabots dehors, Charrier arriva à Rodez où l'attendait une série d'interrogatoires citoyens." Et cela finit mal !
En Aveyron ils furent dénommés "Brigands", dans le Gard "Vendéens". Leurs exactions furent assez graves pour qu'on en fusillât les chefs dans des pays où nulle exécution n'était intervenue aux heures les plus chaudes de la Révolution.
Sans faire l'historien amateur, ce qui frappe lorsqu'on ressort de toutes ces lectures - il faut aussi fouiller le fonds de la Société des Arts et Lettres de l'Aveyron tant que j'y pense - c'est finalement le peu d'écho de ces mobilisations royalistes parmi les manants ainsi que parmi les seigneurs du Midi. L'Armée régulière du Midi était aux ordres de Montesquiou-Fezensac. L'Armée Catholique du Midi n'a quant à elle jamais pu former un bataillon complet et fut massacrée à Jales par les Gardes nationaux, faute d'effectif (200 morts).
On a deux types de comportement selon que l'on observe le Rouergue ou les Cévennes occidentales qui le prolongent.
Le Rouergue (ou Aveyron) est encore à cette époque la terre des Ruthènes avec une unité ethnique très ancienne. C'est un pays loyal qui renforce l'Auvergne depuis les Gaulois, qui aime l'ordre et la légalité. Le royaume de France le rattachera à l'Aquitaine malgré sa continentalité. La Réforme aura peu mordu sur ce territoire sauf au contact du Languedoc dans des vallées urbanisées.
Le Languedoc est la chair attachée à la Voie Domitienne, pays de contrastes - mer et montagne -, d'invasions, de métissage. La Réforme y fit de grands ravages, mais pas plus qu'antérieurement l'Eglise romaine. Les peuples languedociens n'eurent pas de comportements de masse, sauf à se départager selon l'ancienne ligne de fracture huguenote. Et les exactions furent assez terribles à la Révolution sous ces motifs.
Le Rouergue protégea tant qu'il put ses prêtres réfractaires, et se vengea de ses enfants dévoyés (l'affaire Fualdès) mais ne s'insurgea pas comme le fit le Vivarais. En revanche la défense du pré carré paysan l'empêcha d'applaudir à la conscription napoléonienne et à toute forme de collectivisme. Toujours du côté de l'Ordre (le moins nouveau possible), le Rouergue ne changera finalement de convictions ... qu'en 1942 à l'invasion de la Zone libre, et formera des maquis redoutés.
L'histoire de la baronnie d'Hièrle (Le Vigan) confirme plutôt un détachement des Languedociens de l'Ancien Régime, système complexe fourmillant de contradictions et d'injustices qui avait été rapidement rangé au rayon des antiquités. Comme l'a dit Boiffils de Massanne dans son histoire de Sumène : "Ces jours de 1789 furent illuminés d'un clair rayon d'espérance. Si jamais on a pu se croire à la veille d'une Rénovation Universelle, si jamais le règne de la Justice et de la Vérité parut près d'advenir, c'est à ce moment là."
Les heures inquiétantes ou terribles de la Révolution furent-elles acceptées au Sud plus facilement qu'à l'Ouest ou même en Rouergue ? Peut-être par la mémoire d'exactions étrangères en tous genres qu'avaient subies les générations précédentes, depuis l'invasion sarrazine, la croisade des Albigeois, l'Inquisition, puis la dictature de la Réforme et jusqu'aux Dragonnades qui l'éradiqua complètement ? Les terres du Sud furent en permanence des terres de conquête musclée pour la captation du foncier et de ses accès à la mer internationale, sinon pour le rapt des consciences. Les gens avaient l'habitude des victoires à leurs dépens ! Cette fois le mouvement nouveau prétendait remettre la justice entre les mains des justiciables, raboter les privilèges fiscaux, abaisser l'arrogance féodale et celle des clercs. Il convainquit au moment, protestants en tête. Même si la Révolution s'avéra une gigantesque escroquerie substituant aux puissants d'hier les possédants du jour, leurs fonctionnaires, et les nouveaux enrichis qui rallieraient bientôt l'Ordre du 18 brumaire !
Les Bourbons, gens du Nord, héritiers des francimans, mal acceptés dans les fiefs languedociens, n'avaient pas une large affection populaire au Sud du Tarn. La décapitation du roi ne leva aucune émeute dans les régions que j'ai parcourues par ces textes.
L'Eglise romaine de son côté, en inquisition permanente sur ces terres d'hérésie, était devenue une croix lourde à porter, et son abaissement ne suscita que peu de réactions, d'autant que ses rangs fournissaient de larges cohortes d'éclairés.
Ainsi les bandes prétendument catholiques et royales menées par des bourgeois a priori sincères ne recrutèrent pas au-delà des gens désoeuvrés, ou de certains qui n'entendaient pas attendre réparations d'une justice sereine à venir. La chouannerie méridionale ne fut-elle qu'un habillage de compagnies éphémères de brigands ?
Ca fait mal de le dire.
Que les sincères reposent en paix !
Les régimes qui succèderont à l'Empire disparaîtront les uns après les autres sans susciter beaucoup d'intérêts des peuples méridionaux qui avaient déjà beaucoup donné pour l'Histoire.
"Préférez la famille à la Cité, la Cité à la Province, la Province à l'Etat, l'Etat à l'Humanité. Défiez-vous de ce qu'on appelle l'Intérêt général et souvenez-vous que la société est faite pour sauvegarder les intérêts particuliers" dit le sage de Sumène. "Ne courez pas à notre exemple après une chimère : l'Egalité, et après une rêverie : la Fraternité. Que chacun réponde de ses actes."
A l'évidence ceux qui connaissent les moeurs du Midi savent que la maxime a été entendue.
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