jeudi 22 mars 2007

Le Peuple et le Néant, spectacle

balcon du Palais Bourbon
L'affrontement des blocs antagonistes de la campagne présidentielle ne semble satisfaire personne, chacun reclassant son adversaire au fur et à mesure de sa propagande. A preuve la mobilité du curseur de la fracture politique selon le parti qui la dénonce ou s'en empare. Que les extrêmes comme les trotskystes mettent dans le camp ennemi tout ce qui est à leur droite, comme le fait l'extrême droite de tout ce qui est à sa gauche et qu'elle nomme "Establicheuminte", n'est pas nouveau. Où la chose est très pittoresque, c'est quand les grands partis recentrés dits de gouvernements doivent, à bout d'arguments électoraux, stigmatiser les propositions de l'adversaire en le rejetant par dessus la frontière gauche-droite qui finalement leur sert d'écran de fumée protégeant la vacuité de leur propre offre politique.
Toute la journée nous entendons ainsi les pachydermes du PS - on me dit dans l'oreillette qu'ils sont très fiers de cet emblème tant qu'on ne va pas jusqu'à l'éléphantiasis - traiter de droite les propositions de Bayrou et d'extrême droite celles de Sarkozy. Ce n'est pas que ce soit plus facile que de les démonter pour les combattre, c'est plutôt que le clivage gauche-droite est essentiel en démocratie parlementaire. Supprimez-le, tout est perdu, tous sont perdus. Le triomphe doit être grossier pour être savouré et les résultats étroits pour en jouir. Qui le dit mieux encore ?
Rouvillois dans le n°22 des Epées qui vient de paraître : " Cette règle qu'une voix de différence suffit pour faire que l'une des fractions soit le peuple et l'autre le néant ".

Si vous avez pu suivre les débats de l'Assemblée sur la chaîne parlementaire LCP, vous avez noté que le temps consacré dans les interventions des députés à cette stigmatisation de l'adversaire que l'on jette au-dessus la fracture politique, est important, autant même que le débat technique. C'est Christiane Taubira et Jean-Marc Ayrault qui ont le plus d'aplomb dans leurs convictions primaires, leur crâne finira au Quai Branly. La stigmatisation et l'amalgame idéologique qu'ils brandissent comme une épée prennent le pas sur l'analyse du projet soumis et sur la contre-proposition possible. Qui ça intéresserait d'ailleurs sur les bancs de l'Assemblée où souffle l'esprit du chahut estudiantin plus fort que celui des responsabilités devant l'Histoire ? Je comprends le mépris du bonapartiste Villepin pour la Représentation nationale qu'il traitait de connards ; mais il n'a pas intégré que cet affrontement, cet étripage, était vital pour la démocratie, vouée à rechercher cette majorité-plus-un adossée à la plus grosse minorité possible qu'elle va vaincre légalement. Tout est là, c'est le moyeu de la République ; à la fin de la guerre des mots il lui faut un survivant qui se repaisse d'un mort, sinon où est le plaisir.

Bayrou a décidé de ne plus croire à cette anthropophagie institutionnelle. Il pare le régime républicain de vertus inconnues jusqu'ici en France et construit une utopie séduisante mais éthérée d'un consensus national des Purs. S'il avance de vraies propositions, il les étouffe à l'instant par son projet de réconciliation au centre. Son schéma politique n'a pas le combustible d'affrontements qui fait vivre la république, république nouvelle pire encore que l'actuelle s'il la souhaite plus parlementaire en Sixième version ! A cet égard, l'UDF a déjà rédigé la 6ème constitution en 95 articles que l'on peut lire en cliquant ici.

Bayrou se fourvoie de bonne foi comme Hulot le ludion écologique dont la trace d'étoile filante est analysée par Valérie Lefort-Zelminska dans Les Epées (bis n°22) : " C'est bien l'ironie de notre régime que celui qui représente tout le monde (ce que cherche à faire Bayrou, ndlr) apparaît comme ne représentant personne, car la République suppose l'ennemi : celui qui est au-dessus des partis n'a pas d'ennemi, mais il n'a plus de pouvoir ".

Villepin pensifLe parlementarisme en champ clos que nous déplorons n'est pas un cancer politique, guérissable avec de meilleurs préceptes doctrinaux, mais un des travers de la société humaine. Si rire est le propre de l'homme, ratiociner "sous vos applaudissements" ne l'est pas moins. C'est ce que je fais à l'instant sans vous entendre. A tous ceux qui disent vouloir combattre le modèle démocratique d'expression des choix populaires par délégation pour passer à un régime autoritaire ou à la démocratie directe locale, je dis que c'est vouloir charger les éoliennes à la lance de don Quichotte. Même le comble de l'égalitarisme démocratique que serait une élection de nos représentants par tirage au sort dans le corps électoral (comme on le fait des jurys d'assises) se heurterait à l'inégalité de talents et de moeurs de la nature humaine. Il y aura toujours de bonnes idées mal défendues et qui chercheront un porteur vers l'auditoire, des médiocres qui s'en remettront à l'aisance dialectique d'autrui, des hommes ni droits mais adroits dont l'ambition naturelle est d'écraser les moins dotés et leur faire tâter de leur pouvoir. Les tribuns poussent naturellement sur la terre de France qui s'écoutent parler, surtout dans le Lot & Garonne ! C'est vieux comme les grottes de Lascaux. Contre tout cela on ne peut rien faire de mieux que cantonner l'énergie polémique à des étages subalternes où les dommages seront moindres ; la décentralisation aurait dû aspirer la foire d'empoigne parlementaire en régions et laisser se former un consensus sur l'essentiel au niveau de l'Etat central. Hélas ! La nation est prise en otage à chaque session, encore que les parlements modernes n'aient plus les pouvoirs discrétionnaires de leurs aînés du début du XXè siècle, et que les dommages soient finalement contenus. Il n'empêche que le peuple a coutume de briser les défenses corporatistes des partis politiques quand l'écart devient trop grand. Il faudrait aller jusqu'au bout et exploser le système partisan en décrétant la proportionnelle intégrale. Ainsi aurait-on au niveau de l'Etat le terreau de France sur lequel on rechercherait des consensus libérés des idéologies ; comme en Allemagne.

Mais la France est un cas spécial avec une nette tendance à l'autodestruction. Dans un souci ultime de préservation du bien commun le projet monarchiste demande d'extirper des joutes électorales et du processus de moisissement social les pouvoirs strictement régaliens dont nous avons déjà parlé dans ce blogue. Mais c'est aussi une certaine façon de libérer la Représentation nationale du poids écrasant des grandes exigences auxquelles elle ne sait toujours pas répondre ; à preuve la Dette qu'elle a voté année après année ; à preuve les réformes en trompe-l'oeil qui n'en sont pas mais satisfont les acquits de catégories nanties, dès lors qu'elles font du chiffre en suffrages. Peut-être que le recentrage du pouvoir législatif sur les affaires de société qui deviendraient alors les siennes en propre, l'obligerait-il à devenir sérieux !

Le continuum essentiel à la Nation n'a pas à être remis en jeu tous les cinq ans dans les mains partisanes, mais préservé et confié à des gens avertis qui ont le temps devant eux. Il s'agit de la justice, de la diplomatie et de la sûreté. Cessons de plaisanter avec l'avenir.

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