vendredi 20 avril 2007
Dérive monarchiste
Quand il m'arrive de relire Maurras j'abandonne à l'Histoire sa rhétorique politique que j'ai labourée d'un soc moins affirmé qu'il n'y paraissait, à montrer des certitudes irréfragables à mes adversaires d'un jour. Les doutes je les gardais pour moi. Si le schéma politique l'emporte encore de nos jours sur tous ses concurrents - quelle pureté dans la physique sociale d'une monarchie déliée, absolue ! - les voies pratiques d'accès ne sont plus les mêmes et le paysage politique français, qui reste le plus vieilli d'Europe, n'a plus grand chose à voir avec la IIIè République. Une guerre mondiale est passée par là qui a fait s'effondrer la France sur sa gloire, définitivement hors d'atteinte. Il reste de ce grand oeuvre un matériau abondant pour un raisonnement articulé sur les fondamentaux de la nation française, la dialectique royaliste la plus au point, continuée magnifiquement par Pierre Boutang, et ce diamant de l'empirisme organisateur qui comme le vrai ne fait que briller sans rien produire d'irréversible, et sur lequel nous comptons trop.
Je ne peux cependant m'empêcher d'interroger en pensée le vieux maître sur les moeurs de notre époque et leur désert spirituel. L'Economique et le Paraître ont pris le pas sur l'Être et règlent nos vies sans courage. Le peuple qu'il a quitté en 1952 est formé aujourd'hui de rentiers de la redistribution nationale. Tout est marché. Tout se compte. Il ne s'agit que d'en détecter les flux pour les taxer au bénéfice des moins pourvus, des moins vaillants, des plus bruyants. Même la campagne électorale produite par Unilever, CocaCola ou Neuf(!) avance sur un marché d'images rémunérateur ! Tout coûte car on sait le prix de tout, nous qui devons tout régler à la fin ! La République c'est le fric ! Le mot le plus fréquent c'est "combien", combien pour moi d'abord ! Les idées deviennent un luxe d'happy few.
Le faisceau national que Maurras croyait réunir des compétences corporatives et des richesses de notre diversité, a perdu sa ligature, chaque caste verse dans la pire cupidité à dévorer les lambeaux d'une nation caporalisée, appauvrie sinon ruinée par la banqueroute socialiste qui perdure. Les remontrances populaires subies par les candidats confirment que nos valeurs sont à l'étiage. Ce peuple a la trouille de manquer, il appelle sa maman !
La croisade que prêchait le martégal en 1908 (déjà !) pour préserver le monde occidental des nouveaux Barbares, nous fait horreur aujourd'hui au point de dire des grâces au Veau d'Or en compagnie de satrapes incultes. Notre soumission au nouvel empire chinois sous des prétextes mercantiles et la compréhension que nous manifestons aux abominations du Moyen Orient détruisent ce qui reste de vaillance dans nos âmes qui se noient dans des ondulations suggestives destinées à séduire.
Pire, nous divisons notre propre camp pour masquer notre propre impuissance quand on sait que seuls nous ne valons rien contre la houle du Tiers-Monde. Que valent l'anti-européanisme et l'anti-américanisme à l'aune d'une planète de huit milliards d'hommes, en majorité pauvres mais informés ? Les souverainistes ont des responsabilités dans la vision en meurtrière qu'ils propagent du Monde parce qu'ils laissent leurs disciples compter sur des forces domestiques qu'ils ne pourront jamais réunir dans les domaines essentiels que sont par exemple l'industrie et la guerre.
Peut-être son analyse de la situation actuelle ou celle de Pierre Boutang, en surprendrait quelques-uns si l'on veut comprendre qu'ils ne se satisfaisaient pas de rétrospectives ou du recyclage de concepts précédents parfois éventés. L'un comme l'autre fabriquaient de la doctrine en continu et la projetait sur l'avenir. Tout l'empirisme maurrassien est fondé sur le constat et développé en vérité. Si dans la physionomie du monde menaçant de ce siècle nouveau ils reconnaîtraient des affrontements annoncés par eux de longue date, ils partiraient quand même de l'existant pour chercher nos moyens de réaction au lieu de rêver à nos gloires enfuies et commémorer des regrets éternels. Il manque un nouveau thaumaturge de cette trempe à la cause royaliste, un créateur d'idées capable d'affronter notre monde tel qu'il est vraiment. Les cercles pleureurs nous lestent.
A ce moment charnière de la politique française, Charles Maurras s'étonneraient certainement que six mois de logorrhée médiatique n'aient quasiment jamais entamé la question des pouvoirs régaliens de la république, qui sont là pour parer ces éventualités gravissimes, menaces extérieures ou d'autres enkystées dans le pays.
Vous savez tout sur le salaire minimum, le contrat par chance, la poste du village, les OGM, l'allocation machintruc, la charia des piscines et l'insurrection larvée des tribus KA en banlieue.
Vous ne savez rien ou presque des intentions présidentielles sur les quatre pouvoirs qu'un chef d'Etat doit exercer et maintenir au plus haut niveau possible, la justice, la sûreté, la guerre, la diplomatie. J'ai feuilleté les professions de foi des douze candidats pour n'y rien trouver de ce niveau. Même les trotskystes plus internationaux que les autres, ne s'étendent pas sur ces questions. L'Etat essentiel n'est plus leur souci, ils en constatent la liquéfaction par dévolution générale de l'autorité à l'Economique. Mais les candidats respectables ne s'y aventurent pas non plus, ne sachant trop mesurer les perceptions de l'opinion au-delà des clichés vendus par la presse. Le martégal s'en réjouirait sans doute en recevant la preuve que ces questions éminentes sur les pouvoirs régaliens sont trop graves pour être galvaudées dans l'exercice périodique de la démocratie et mises à l'encan du suffrage universel.
Que sait le peuple de nos contraintes diplomatiques, de nos marchandages atlantiques, de nos contrats africains, des déceptions que nous suscitons chez bien de nos amis traditionnels que nous ne pouvons plus aider ? Que sait le peuple de la porosité de nos systèmes de défense en regard des budgets énormes qu'elle engloutit ? Seule la justice et la police sont appréhendées par tout un chacun, pour s'en plaindre. Sur la question de la justice les candidats se défilent généralement, sauf un qui ose affronter les street-warriors (racaille en français). Seules les forces de police mises en lumière par l'actualité, bénéficient de leurs égards ; encore s'inquiète-t-on bien peu de nos marges de libertés individuelles, le citoyen ayant été convaincu de choisir entre elles et le parapluie du ministère de l'Intérieur.
Qu'on serve l'ordinaire du domaine public et des questions sociétales au peuple souverain-pour-rire, d'accord, mais en réservant l'essentiel du domaine régalien aux gens sérieux, au chef d'Etat, tel doit être le précepte appliqué par les candidats. C'est un petit signe encourageant qu'il se crée une différenciation, deux étages.
Le concept politique maurassien d'une monarchie sur un Etat recentré sur ses pouvoirs régaliens, équilibré par une réelle décentralisation, garde toute sa fraîcheur dès qu'on l'extrait de sa gangue historique, et ce serait bien le diable si nous n'arrivons pas à le faire prévaloir un jour largement. Avançons au possible en visant l'impossible. Finalement nos idées progressent puisque les candidats sont intimidés par le domaine réservé du président.
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On remarquera que les pouvoirs régaliennes n'interessent pas les français.
RépondreSupprimerLes français quelque part ressemblent aux américains. Dans ces occasions de vote ils forment un cercle qui tourne le dos à l'extérieur. Ils discutent entre eux de leurs soucis domestiques en voulant oublier que 75% de leurs problèmes sont justement à l'extérieur de ce cercle !
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