Quelques lectures du 15 juillet au 15 août pour changer un peu des fondamentaux. Avec deux rappels, le Védrine et le Prawer qui dans leur genre se font écho. Et un joli roman primé par mon voisin de libraire, le Passage de Vénus.
Auteur d’un Dictionnaire du Siècle des Lumières qui est devenu un classique, Jean de Viguerie se penche sur les sociétés d’esprit animées par des dames de la haute société qui fleurirent à Paris au XVIIIe siècle. Héritières, dans une certaine mesure, des « précieuses » du siècle précédent, les « filles des Lumières », Madame Geoffrin, Madame du Deffand, la marquise d’Epinay ou Julie de Lespinasse ont joué, sans le savoir, un rôle important dans la préparation du séisme révolutionnaire. Contemporaine d’une époque qui fut porteuse des espoirs de progrès et de bonheur en même temps que la matrice des pires utopies, elles étaient près d’une cinquantaine à accueillir, voire à entretenir, les idéologues à la mode du « parti philosophique », de Fontenelle à Voltaire et de Marmontel à La Harpe, sans oublier d’Alembert et bien d’autres. L’auteur pointe les limites de cette sociabilité ; les cercles ainsi constitués avaient en effet, pour ceux qui bénéficiaient des largesses de leurs protectrices, une fonction « alimentaire » qui était de nourrir les « gens de lettres » et de leur assurer d’agréables séjours à la campagne. Ils permettaient également à quelques auteurs besogneux ou d’extraction modeste d’accéder à une « visibilité » sociale flatteuse, en un temps où prévalait encore le prestige dû à la naissance et au rang.
Jean de Viguerie, qui connaît parfaitement l’envers du décor, n’a guère de difficultés à cerner les personnalités des « hôtesses » de l’intelligentsia du temps. Il met ainsi en lumière la médiocrité de leur propre production littéraire et l’échec fréquent de leur vie sentimentale ou familiale, la « philosophie » ne suffisant pas à les consoler des mécomptes de leur existence privée.
Il ose un rapprochement audacieux mais heureux quand il compare les salons du temps aux émissions dites « littéraires » de la radio ou de la télévision qui exercent aujourd’hui une fonction analogue à celle assumée en leur temps par les « sociétés d’esprit ». Il prend ainsi à témoin Madame du Deffand qui, dans un éclair de lucidité, nous rapporte « l’admiration » que lui inspiraient certains de ses invités : « …Hommes et femmes me paraissaient être des machines à ressort qui allaient, venaient, parlaient, riaient sans penser, sans réfléchir, sans sentir, chacun jouant son rôle par habitude… »
302 p. chez Dominique Martin Morin, 23 €
Jean de Viguerie compte parmi les grands spécialistes de l’Ancien Régime. Il a notamment publié une étude sur L’Institution des enfants : l’éducation en France, XVIe-XVIIIe siècle et une biographie de Louis XVI pour laquelle il a reçu le prix Hugues Capet. L’ouvrage qui précède celui que nous venons de présenter (merci Clio) est ce fameux Histoire et Dictionnaire du Temps des Lumières, paru chez Laffont en 1995 (28,80 € pour 1740 p.) :
« Temps des Lumières » n’est pas une simple formule : le siècle est vraiment celui des Lumières, et ce livre le fait voir. Il montre comment la pensée des Lumières et ses valeurs d’utilité et de tolérance ont transformé les rapports sociaux, changé les esprits et les cœurs et jusqu’à l’âme des peuples.
On goûtera au fil des pages les charmes de ce monde ancien, sa douceur de vivre et sa politesse, la grâce raffinée de ses œuvres d’art. Mais on pourra aussi découvrir ce qu’il y avait en lui d’insensible et d’inhumain, la nouvelle dureté des rapports sociaux. Nul siècle n’est plus contrasté. Nul n’est plus désenchanté. D’un côté il appelle le bonheur, et de l’autre il répond : il n’y a pas de bonheur. « De l’ange à l’huître, écrit Mme du Deffand, rien n’est heureux. » Nulle époque peut-être ne ressemble davantage à la nôtre.(source Laffont)
Nous avons présenté le livre suivant pendant quelques jours seulement, la semaine dernière, et nous le remettons en ligne ici pour les archives du blogue.
L'Israélien Joshua Prawer (1917-1990) reconstitue la première tentative de l'Europe de sortir d'elle-même en s'installant ailleurs. Seconde édition d'un ouvrage capital de l'historiographie médiévale.
L’auteur a utilisé l’ensemble des sources latines et orientales pour écrire une monumentale histoire du royaume latin de Jérusalem, depuis sa fondation par Godefroy de Bouillon en 1099 jusqu’à la chute de Tyr en 1291. Miné par les rivalités entre croisés, le royaume, conquis par Saladin en 1187-1188, tomba définitivement en 1291 sous les coups des Mamelouks.
Croisade contre Djihad, Occident chrétien contre Orient musulman... À la fin du XIe siècle, pauvres et riches, piétons et chevaliers prennent la route de la Terre Sainte pour conquérir Jérusalem, la Ville trois fois éternelle de David, Jésus et Mahomet. De cette épopée qui fonde le Moyen Âge, collision de mondes avant même d'être choc de civilisations, vont naître, royaumes aussi nouveaux qu'éphémères, tels des songes sortis du désert, les grands fiefs francs d'Antioche, de Tripoli, d'Edesse, et plus tard d'Acre ...
C'est la chronique de cette guerre sacrée et de ce pèlerinage aux sources, sur fond d'incendie méditerranéen, que mène ici Joshua Prawer. En montrant, à travers l'affrontement des armes, la rencontre des hommes, et les échanges de culture comment tout rêve théocratique se condamne à l'échec. Mais aussi en racontant, dans tous ses états, le premier essai d'instauration d'une société européenne en Orient. Un grand récit historique, servi par une élégance d'écriture et une richesse d'information inégalées, qui se lit comme un roman.
1344p. 28,50€ chez CNRS Editions, 2007
Prix Librairie du Bois, été 2007
Deux sœurs, orphelines, Caroline et Grace Bell, quittent l'Australie à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour venir vivre en Angleterre. Deux destins en apparence fort différents, qui laissent pourtant un égal goût de cendres : Grace, la blonde, se marie et connaît le bonheur tranquille et fastidieux de la classique femme au foyer ; Caro, la brune, posée d'emblée comme une « enfant de Vénus », préfère l'amour hors mariage et la vie plus chaotique du monde du travail. Elle connaît la passion dans les bras d'un dramaturge à succès avant de se marier avec un Américain plus âgé et d'émigrer à New York. Sydney, Londres, New York, Stockholm, c'est le passage du nouveau monde à l'ancien continent, une traversée initiatique qui la mènera de l'innocence à l'expérience.
Sur les traces de Henry James et d'Edith Wharton, Shirley Hazzard cisèle l'intime des vies tout en les mêlant étroitement à la société du temps et aux échos de l'Histoire. Art de la suggestion et du non-dit, finesse psychologique, subtile perfection du style : Le passage de Vénus l'imposa d'emblée en 1981 comme un écrivain majeur de notre époque. A découvrir.
Traduit de l'anglais par Demanuelli, 528 pages chez Gallimard, 25 €
Ceux qui s’intéressent à la métapolitique attendent le rapport que remettra M. Hubert Védrine au président de la République sur les axes manoeuvrants de la mondialisation. Ce sera en fait le vrai « livre blanc » du quinquennat en dehors des questions d’intendance et d'assistance sociale. Sans attendre et pour ceux-là qui ne l’ont déjà fait, il faudrait lire son dernier ouvrage « Continuer l’histoire » qui avait été sélectionné dans la colonne annexe de ce blogue.
Je vais pour ma part reprendre un Proust, un de ces livres qu'on ouvre à n'importe quelle page et qui est chaque fois excellent. Plaisir pur du texte sublime. Inégalable sous la tonnelle quand filtre un doux zéphyr !
… j'allais m'asseoir près de la pompe et de son auge, souvent ornée comme un font gothique, d'une salamandre qui sculptait sur la pierre fruste le relief mobile de son corps allégorique et fuselé, sur le banc sans dossier ombragé d'un lilas, dans ce petit coin du jardin qui s'ouvrait par une porte de service sur la rue du saint-Esprit et de la terre peu soignée duquel s'élevait par deux degrés, en saille de la maison, et comme une construction indépendante, l'arrière-cuisine … (Du côté de chez Swann)
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Vous avez choisi en Jean de Viguerie la bête noire de l'Action Française. Anti-maurrassien impénitent, blasphémateur, déserteur, c'est ainsi que Pierre Pujo "encense" l'auteur des "Deux Patries". L'article de l'AF2000 est un régal en soi.
RépondreSupprimerNationaliste ou traitre, c'est du binaire, chef !
Ah... j'avais oublié ce grand éreintage AF. Et moi qui croyais proposer au distingué lectorat de paisibles lectures afin de transcender les affres du bronze-cul languedocien !!!
RépondreSupprimerCe sont de vieilles querelles de vieux.
RépondreSupprimerJe recommande comme lecture d'été le bouquin surprenant de Claude Allègre, Ma vérité sur la Planète (Chez Plon) qui prend à contrepied Nicolas Hulot. Ca change du ton convenu qu'il faut prendre dès qu'on parle réchauffement.
Sur la plage rien de mieux que Joseph de Maistre, oeuvres, édition de Pierre Glaudes, Robert Laffont, coll. Bouquins... (peut aussi servir de justification pour éviter de stupides soirées...) Je parle bien sur de la plage arrière d'une éventuelle Jaguar !
RépondreSupprimerIl faut citer aussi le Jésus de Nazareth de Joseph Ratzinger qui est un bestseller.
RépondreSupprimerVont-ils le sortir en latin ?