D'ailleurs nous ne nous émouvons pas facilement des destructions culturelles si elles ne touchent pas notre propre patrimoine, encore que les incendies d'églises bretonnes ne fassent pas plus de vingt secondes au JT. C'est peut-être en ce sens que nous avons régressé. A défaut de ne plus pouvoir tirer le char de la gloire des arts dans le monde, nous avons la fâcheuse tendance à débiner le beau d'ailleurs tout en ignorant celui d'ici. Qu'a-t-on entendu en France de la destruction des grands bouddhas de Bamiyan ? Que dit-on jadis chez nous de la destruction de tous les bouddhas afghans drapés à la grecque - en souvenir du passage d'Alexandre le Grand dans ces contrées - quand au même moment nous soutenions à l'ONU le régime des Talibans, à des motifs qui m'échappent encore. C'est vrai que nous avions soutenu aussi les Khmers Rouges, par principe ! Et que le Lion du Panshir était un pestiféré que Chirac ne voulait voir à aucun prix pour d'obscures raisons.
Zahawi avait 61 ans, était kurde natif du Diyala, résidait à Bagdad, attendait un taxi. C'était un calligraphe ! Un parmi quelques uns et le premier d'entre eux.
Si nos langues européennes usèrent de ces techniques d'écriture élégante en y associant souvent les enluminures, elles ne dépassèrent pas le stade de la décoration. Des oeuvres d'exception comme Le Très Riches Heures du Duc de Berry sont régulièrement rééditées à des prix conséquents.
La calligraphie est une grâce. Dans les pays de civilisation chinoise, c'est le sommet de l'art et l'expression de la force métaphysique du lettré raffiné. Les langues persane et arabe participent dans leur écriture de cette élévation de l'âme. Zahawi était un maître mondialement reconnu de la seconde, le Sheikh !
C'est à partir du X° siècle de notre ère que les savants se libèrent des caractères "proportionnels" ou géométriques de l'arabe littéraire, et déploient leur talent. A Bagdad sous le califat abbasside, se succèderont les premiers grands calligraphes : les frères Muhammad ibn Muqla et Abu Abdullah ibn Muqla, Ali Ibn al-Baw wab et plus tard au XIII° Yaqut al-Mustasimi. Vers le XVI° siècle l'école de calligraphie arabe se déplace vers la capitale de l'empire ottoman et ses principes sont fixés par Şeyh Hamdullah qui affine et dynamise le trait, et encadre le travail dans des règles précises.
La calligraphie arabe atteindra son apogée au XVIII° siècle dans les grands calligrammes didactiques exprimés sur des racines persanes pour enjoliver les tympans des mosquées, les frontons des écoles, jusqu'aux contes des Mille-et-Une Nuits qui allaient conquérir bientôt l'Europe. Cet enrichissement fut l'oeuvre du Turc Mehmet Asat Yesari. Zahawi était de cette veine.
Les calligraphes de Mésopotamie disent que le maître avait surpassé les Anciens. Le ta'liq, qui veut dire "pendant" en arabe, fait flotter les lettres au-dessus de la page en les ancrant seulement par leurs extrémités. La méthode est très vieille mais n'avait jamais encore été poussée à la perfection comme le fit Zahawi. Il étirait les lettres à la taille d'un mot, emplissait d'écriture les fonds vides et créait de véritables paysages calligraphiés.
Plus près de nous, de grandes oeuvres calligraphiques en Andalousie et au Maghreb nous ont permis d'approcher cet art exceptionnel.
Si les dommages collatéraux sont inéluctables dans une guerre civile, il est insupportable d'assister à des meurtres prémédités sur des personnages de cette qualité. Que lui reprochaient les Nouveaux Huns ? Ses origines ethniques, son influence pédagogique sous le régime baasiste, sa notoriété internationale, sa résidence dans un quartier majoritairement chiite ? Son corps a été ramené au Diyala pour y être enterré.
Internet offre de nombreux sites de calligraphie. En dehors de ce domaine on peut aller sur deux autres, plus politiques :
Un blogue anti-fondamentalisme : Endwahhabism.blogspot
Un site de nouvelles et d'analyses euro-arabes subventionné par l'Union : MEDEA
Les cibles d'Al-Qaida sont les enseignants, les docteurs, les artistes, les intellectuels, tout ce qui porte lunettes ! C'est la même démarche d'éradication que celle de Pol Pot.
RépondreSupprimerPareillement inexplicable.
Les hommes sont fous et les dieux bien distraits.
14 Juillet 2007, 22h 30: Vive le Roi !
RépondreSupprimerOui c’est bien malheureux. Je ne le connaissais pas et je le découvre.
RépondreSupprimerEst-ce une novelle forme d’iconoclasme ? .. Déjà, dans le Omn al-Kitâb au nom magnifique (L’Archétype du Livre), censé retranscrire un dialogue qui aurait eu lieu en l’an 733 (ère chrétienne) il était traité de la science mystique des lettres, à laquelle ensuite Jâbir ibn Hayyân, Ibn Arabi, voire Avicenne attacheront une grande importance. Cette science fut empruntée aux Shî’ites par les mystiques sunnites. Elle avait déjà été particulièrement goûtée par Marc le gnostique pour lequel le corps de vérité se composait des lettres de l’alphabet. Pour Moghira ( 737), gnostique schî’ite, les lettres sont les éléments dont est fait le corps de Dieu. Il semblerait que les gnostiques en Islam aient amplifié une théorie de la gnose antique, considérant que les lettres de l’alphabet, étant à la base de la création, représentaient la matérialisation de la Parole divine. D’autre part, chez les ismaéliens, cette science aurait correspondu à celle de la gnose des juifs sur le tétragramme… Cela devait sentir le souffre à certaines époques.. Ou bien la forme l’avait-elle emporté sur les fondements historiques, et la calligraphie arabe, pour toute religieuse qu’elle resta, était devenue un art d’un autre ordre, au message intérieur fort, mais qui n’aurait plus été du goût des islamistes ? … Ou tout simplement l’absurdité d’un crime?
Je vous remercie de votre commentaire appuyé qui clôt parfaitement ce billet in memoriam Zahawi.
RépondreSupprimerJe découvre également ce pilier de l'art calligraphique.
RépondreSupprimerMerci pour l'article.