Pourquoi l’Action française associe-t-elle souveraineté, indépendance de la France et monarchie ?
Aurait-elle perdu son âme en se livrant au « souverainisme » laissant aux orties le nationalisme intégral ? Je ne le pense pas, pour plusieurs raisons : D’abord, prenons la définition de Bodin de la souveraineté : il nous dit effectivement qu’il s’agit de la puissance perpétuelle d’une république, mais aussi, il convient de l’ajouter, du droit de faire et de casser la loi. Princeps, solutus legibus est. En d’autres termes, il s’agit non seulement de la puissance publique, mais d’un droit absolu sur cette puissance publique, un pouvoir attaché qui ne subsume d’aucune autre norme humaine (attention ! pas naturelle !). Le roi est en dehors de l’Etat et du droit, et sa position de non-soumission, ou d’indépendance, lui donne toute latitude pour les protéger. Après tout, si une telle place lui est assignée, c’est bien pour une finalité particulière, protéger le royaume de France et le droit des Français. Le roi est indépendant, il est à la tête de l’état concret (administration et constitution) sans lui y être soumis.
Ensuite, il faut éviter de penser que la disparition du souverain entraîne nécessairement la disparition de la souveraineté. L’acte souverain, celui de trancher ou de choisir en dernière analyse entre plusieurs alternatives dans un monde contingent, c’est le trait spécifique du Politique, distingué du Juridique ou du Moral : la fonction royale est la fonction politique par excellence, l’intercession suprême, voire architectonique qui ordonne l’ensemble. Les hommes politiques mais aussi les juges du fond, qui délibèrent souverainement, ne cessent dans leur activité ordinaire d’agir dans un monde sans normes contraignantes posées a priori, contrairement au personnel administratif dont les compétences sont dites « liées » par les textes. De plus, à l’image de la fonction royale, la politique (mais le droit également) sont des fonctions incarnées :
Pour qu’il y ait politique, mais aussi décision de justice, il faut des hommes, pas seulement des normes, des procédures qui s’autoexécuteraient, comme on a parfois l’impression chez certains penseurs libéraux. A la tête de l’Etat persiste à exister un pouvoir souverain réel, même si certaines fictions morales et politiques (la souveraineté du peuple, la souveraineté de la constitution) tendent à en brouiller la signification : si la souveraineté est une action ou une possibilité d’action dans le monde concret, les discours sur la délégation de souveraineté ou le pouvoir constituant dérivé, sont des contes pour enfants.
Concrètement, l’homme ou le groupe d’hommes qui a ce droit suprême (cette auctoritas distinguée de la simple potestas) d’agir souverainement, de gouverner vraiment dans le corps social, doit être dit souverain. En France, la constitution donne au président ce pouvoir par le biais de l’article 16. Il existe des rémanences de la fonction royale dans l’activité politique française contemporaine, car elle répond à un trait naturel des relations humaines, qui se retrouvent par exemple du côté de la fonction exécutive, même si ses avatars modernes ne la recoupent que partiellement. Je remarque d’ailleurs que si derrière les signes du pouvoir démocratique, la persistance de mécanismes naturels, qui rend l’option monarchique pertinente, n’existaient pas, alors elle ne serait qu’une position largement romantique et nostalgique, dans laquelle nous ne sommes pas.
Autre remarque : l’existence d’un lieu concret de la souveraineté, j’allais dire d’un fait naturel de souveraineté, entre en contradiction flagrante avec l’idéologie démocratique : Tout en se parant des oripeaux de la démocratie – de la souveraineté éthérée de la nation ou du peuple - l’oligarchie qui nous gouverne n’en est pas une, puisqu’on a jamais rencontré la Nation au coin de la rue, et le peuple ne siège pas dans les lieux de décision.
Si la décision souveraine ne se déduit d’aucune loi positive ou norme suprême, et ne se comprend que finalisée à un but, celui-ci n'est que le bien commun d’une unité politique précise, la France et les Français. C’est d’ailleurs cette finalité qui limite la puissance souveraine, et pas seulement pour la France, mais pour les unités politiques en général.
Sur Jouvenel (cf. le billet de Diable-Boiteux du 16.12.07) : il se laisse prendre, comme la plupart des modernes – et particulièrement les libéraux - à la fiction politique de la délégation de souveraineté pour confondre objet-légalité et légitimité. Pour savoir qui est souverain dans la Cité, il faut se poser la question : qui gouverne effectivement ? Un homme ? Un groupe d’hommes ? Si oui, combien ? Je ne fais que répéter ce que j’ai dit précédemment, mais ça me semble important parce que la souveraineté s’incarne nécessairement. La souveraineté du peuple ou de la nation est une fiction pour légitimer la souveraineté effective du parlement ou de l’exécutif. La souveraineté qui vient de Dieu, comme d’ailleurs toutes les sources de pouvoir, demande l’application des lois naturelles et du droit naturel qui entre dans le droit positif de manière fort différente. Elle demande une position relativement indépendante des normes qui en régule l’activité (à savoir le droit) et se justifie en vue d’un bien commun situé dans le temps et l’espace (la France). Car si vous définissez l’indépendance comme un choix entre plusieurs dépendances, vous faites la moitié du chemin : pourquoi diversifiez et surtout CHOISIR entre ces dépendances ? Eh bien ! pour sauvegarder son indépendance, limiter les interférences arbitraires des autres unités politiques (à l’intérieur comme à l’extérieur du pays). Cette « chimère » est assez efficace pour être entretenue par toutes les grandes nations dans le monde (Etats-Unis, Chine, Inde, Pakistan, Russie), sauf en Europe.
La France est une construction politique suprêmement souveraine, issue du choix intelligent des rois qui se sont succédés à sa tête. Une politique capétienne conséquente continue l’ouvrage - protéger le pré carré, garantir son indépendance contre les empires en formation - même si nous savons que le moyen le plus efficace de conduire ce mouvement ne peut être qu’en rétablissant la fonction royale.
Le terme souverainisme est en effet ambigu, comme la plupart des termes du lexique politique français (gauche, droite, royaliste, républicain, ...). Si certains politiques ont choisi de l’emprunter aux Québécois, c’est qu’il recouvrait une réalité plus large que nationalisme, et que l’attachement à la souveraineté, qu’elle soit défendue à gauche au nom de la Nation, ou à droite au nom de la France, renvoyait à un principe efficace. Son adoption tactique visait à ouvrir à un large public les propositions d’Action française :
Le « souverainisme » de l’AF n’est pas celui de l’ex-fondation Marc Bloch ou de Laurent Fabius, mais il est possible qu’un certain nombre de personnes attachées à l’indépendance française en se rapprochant du souverainisme, finissent par se laisser convaincre par celui d’AF, plus connu sous le nom de nationalisme intégral. Vous craigniez (DB) qu’en s’associant au souverainisme, l’AF se laisse contaminer ou gagner par la rhétorique de son courant majoritaire, à la fois jacobin et républicain.
Plutôt que d’en appeler à la rigueur doctrinale (qui n’est jamais bon signe, et surtout quand c’est inutile, puisque le souverainisme propre à l’Action française, c’est l’autre nom du nationalisme intégral), je pense plutôt que notre école de pensée est assez forte pour contaminer, ou répandre dans le champ souverainiste ses propres propositions. Vous évoquiez Paul-Marie Couteaux, dont le parcours est typique. Il y a encore 10 ans, cet homme politique parlait comme un souverainiste républicain autant attaché à 1789 qu’à la France. A l’heure actuelle, lisez ce qu’il écrit, les références qu’il emprunte. Il a basculé de Valmy et de la fête de la Fédération à Bainville et Boutang.
Pierre Carvin, journaliste à l'AF2000 - 17.12.07
avec son aimable autorisation
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