R.B.: « Il y avait plusieurs jours que l'on attendait la fin de cette fièvre parisienne, l'explosion. Des mesures ministérielles hâtives avaient remué l'opinion. Les uns criaient à la dictature, les autres à l'imbécillité. Quand on sut que l'administrateur de la Comédie française, coupable d'avoir monté une pièce fasciste, le Coriolan d'un dénommé Shakespeare, était remplacé par un policier, Laurent déclara que c'était très grave ....
Le 6 février, qui était un mardi, une manifestation d'anciens combattants devait avoir lieu au Cours-la-Reine. La Chambre s'était réunie, elle discutait non avec inquiétude, mais avec gravité. On savait qu'elle allait voter la confiance au nouveau ministère. Mais c'était ailleurs que les dieux préparaient leur journée. Gilbert était passé place de la Concorde à la fin de l'après-midi. Il y avait de sombres masses noires de gardes mobiles un peu partout. Des gens désœuvrés. Des passants rapides. Aussi, ça et là de drôles de figures qu'on ne voit point d'habitude, même dans les quartiers les plus malfamés : pâles escarpes, inquiétantes démarches souples, grosses pattes de tueurs ! Gilbert songea qu'une certaine écume commençait sans doute à monter, et la griserie l'envahit...
... [il] se mit à marcher dans Paris, essaya d'approcher du Palais Bourbon encerclé par la police. Il faisait frais, sans faire froid. Il n'avait pas de chapeau, suivant son habitude, seulement un imperméable bleu foncé serré à la taille, et il ressemblait à n'importe quel jeune homme d'alors, humant le vent des futures révolutions. Il ne savait plus si le soir tombait, s'il était jour ou nuit, quelle heure marquaient les horloges des carrefours. A un moment il vit les anciens combattants. Il aperçut de longues files d'hommes en pardessus mouchetés de vert ou de rouge à la boutonnière, d'hommes un peu fanés, un peu gros, tous mêlés, tous pareils comme ils l'avaient été vingt ans auparavant. Et il les regardait avec curiosité, avec un peu de pitié aussi : - Voilà ceux qui ont perdu la paix, pensait-il. Voilà ceux que l'on a trompés, ceux à qui l'on a menti. Ceux qui se sont laissé faire et à qui on ne peut pas en vouloir. Voilà ceux auxquels il ne faut pas ressembler. Voilà ceux qui se réveillent aujourd'hui. Est-ce à temps ?
Il regardait cette foule sérieuse, ces pancartes : "Nous voulons que la France vive dans l'honneur et la propreté". Non, il n'y avait rien dans cette foule, paisible au fond, droite, pure, qui ressemblât aux foules que craignait Victor Caillé. Mais y avait-il le dynamisme, la violence, la joie créatrice qui, pas mal d'années plus tôt il est vrai, avaient saisi les anciens combattants d'Italie et d'Allemagne ? Foule de héros, foule de braves gens sans forfanterie, foule de devoir, serait-elle une foule créatrice ? Gilbert ne voulait pas y songer. Pour la première fois de sa vie peut-être, lorsqu'il passa devant les drapeaux, comme il n'avait pas de coiffure et qu'il voulait saluer, il leva la main à la hauteur de son épaule.
Il marchait, il allongeait son pas, il revenait autour de la Concorde, qui l'attirait. La nuit maintenant était tombée. Les voitures qui couraient au long de la Seine allaient sans doute très banalement à des affaires, à des plaisirs. Mais on avait déjà l'impression qu'elles fuyaient, loin d'un péril encore inconnu, qu'elles emportaient leurs occupants vers les régions plus paisibles, plus pacifiques au sens exact du terme, comme celles qui fuient une ville à l'approche de l'ennemi. Des gens sans raison semblaient eux aussi se mettre à courir, rue Royale ou boulevard Saint-Germain. Des étudiants, des ouvriers, attroupés au pied d'un réverbère, dans un cercle pâle, parlaient à voix basse, puis se dispersaient comme si l'on eût soufflé dessus. Gilbert lui-même parla, deux ou trois fois, dans cette soirée, avec des hommes qui lui demandaient du feu, avec des femmes en cheveux, un cabas au bras.
La ville allait accoucher.
Vers sept heures il se trouvait rue Royale, toujours seul, toujours errant sans but précis. Il ne s'était rien passé. Il avait entendu crier plusieurs fois "A bas les voleurs ! A bas les pourris !" puis le silence grouillant, le silence plein de piétinements et de murmures, était revenu autour de lui. Les feuilles du soir parlaient de la nervosité de Paris et prodiguaient pourtant les paroles lénifiantes, assuraient que le gouvernement voulait la justice, que la lumière serait faite, mais que toute tentative de désordre serait fermement arrêtée. Les feuilles politiques du matin avaient été plus violentes, convoquaient les adhérents des Partis au Cours-la-Reine. L'Humanité elle-même ralliait ses troupes auprès des anciens combattants, voire des Volontaires nationaux. Il semblait qu'au-dessus des divisions un vaste rassemblement national et social commençait à s'opérer, et les âmes simples en concevaient de grandes espérances. Gilbert essayait de garder quelque esprit critique, se demandait ce qui pouvait naître de tant de désordre, d'une absence de plan et de but aussi complète. Mais l'instant d'après il ne réfléchissait plus, il se laissait aller aux séductions de la nuit pâle et fraîche, aux conseils qu'elle prodiguait, et il ne voulait pas sentir autre chose que ce que sentait la foule qui l'entourait ...
Il se trouvait à ce moment-là près de l'arrêt de l'autobus S devant le Crillon, et regardait vaguement sans la voir, sous la grille, l'affiche de la mobilisation d'août 1914 qui s'y trouvait encore. - Il y a vingt ans bientôt, se dit-il lorsqu'il la vit. Vingt ans, ces vingt ans que j'atteindrai dans quelque mois.
A ce moment, un bruit singulier déchira l'air. Oui, déchira, comme une déchirure. Puis quelques bruissements, quelques bruits d'abeilles, encore peu nourris. Quelques cris aussi, et soudain, de cette foule en apparence paisible, des promeneurs se détachèrent, se réunirent ensuite, coururent en désordre. Il dressa l'oreille, s'avança au bord du trottoir, regarda de tous ses yeux. Il ne vit rien sur la place de la Concorde sinon les groupes compacts de tout à l'heure d'où émergeaient quelques drapeaux, mais ils semblaient en proie à un reflux marin. Un jeune homme sans manteau courut devant lui, ses cheveux couchés sous le vent. Puis il s'arrêta comme s'il le connaissait, il revint, lui prit la main d'un geste violent, et avant de repartir, lui cria dans le visage :
- Ils ont tiré, ils ont tiré !.........»
(Robert Brasillach, Les Captifs, inachevé)
1934 : le pays va mal, la crise de 1929 pèse sur l’économie et 350000 chômeurs crèvent de faim. Éclate en janvier l’affaire Stavisky et un scandale financier de plus. La République n’en finit pas de jouer avec ses majorités éphémères et trois gouvernements se succèderont pour le seul mois de janvier. La corruption fait rage chez les parlementaires et il faut être l’élu stupide d’un département arriéré pour ne pas se ruer sur les prébendes, les souscriptions à gogos, les mines du Potala ou du Zambèze.
Des ligues patriotiques de droite se sont créées depuis le Cartel des gauches de 1924 pour nettoyer les écuries d’Augias, et dans leur esprit sauver la France mise à l’encan par le parlementarisme.
En tête les Camelots du Roi d’Action Française, puis une multitude d’organismes issus de la Grande Guerre qui avec un million et demi de morts et quatre millions de blessés, n'est qu’à seize ans de mémoire. On a vu naître et mourir en 1920 le Faisceau de Georges Valois, puis sont arrivés en 1924 les Jeunesses Patriotes de Pierre Taittinger, la Fédération Nationale Catholique d’Edouard de Castelnau, le Francisme de Marcel Bucard, le Redressement Français d’Ernest Mercier, patron des pétroles ; un peu à part, plus œcuménique et républicain, et surtout plus nombreux, le grand mouvement des Croix de Feu du Lt-colonel comte de La Rocque , à l’origine réservé aux croix de guerre 14-18 mais qui s’étoffa par filialisation.
Le 6 février 1934, les Croix de Feu manifestent leur exaspération rive gauche, les Camelots du Roi convergent rive droite vers la Concorde. Un pont à passer avant le Palais Bourbon. Les ligues de la rive droite font mouvement. Les gardes mobiles paniquent et tirent. Vingt morts. Les Croix de Feu appelées en renfort, déclinent. Le drame est joué, le putsch spontané a avorté. La République a eu très chaud.
Daladier qui présentait son cabinet radical à l’approbation de la chambre des députés se retire, apeuré. Albert Lebrun appelle Gaston Doumergue à la présidence du conseil, qui nomme au gouvernement des conservateurs, Philippe Pétain, Pierre Laval, André Tardieu. Il ne tiendra pas d’ailleurs plus loin que novembre.
Les socialistes crient alors au charron et veulent manifester le 8, les communistes idem, mais aux ordres de Moscou, ils ne manifesteront que le 9. Interdictions du préfet de police. Jacques Doriot y va quand même le 9 et laisse cinq camarades sur le pavé, raides morts. Les manifestations simultanées auxquelles s’associeront les syndicats en grève générale, défileront finalement à la place de la Nation le 12, chacun dans un sens. Les cortèges fusionneront. Le Front populaire est en devenir. La droite se vautre.
En 1936, le gouvernement de gauche dissoudra les ligues patriotiques y compris les Croix de Feu. Tout le monde alors se reconvertit pour survivre au décret, quatre ans !
Que reste-t’il de ces évènements ?
Une peur hystérique qui saisit le pouvoir en place dès que menacent des manifestations de droite (très rares) et d’extrême droite. Une vraie piqûre de rappel à chaque fois. La marche catholique monstre de Versailles a sauvé l’école libre sans discuter plus avant, car le régime se sentit perdu. Ce fut la dernière grande manifestation nationale. Par contre les désordres sociaux qui régulièrement annulent des mois de travail et gardent le pays captif de doctrines obsolètes, sont acceptés comme l’expression sacrée d’un prolétariat mythique, bien qu’il ne s’agisse maintenant que de corporations surprotégées au frais de la nation tout entière. On se penche sur leurs revendications, on entend, on biaise, on fait semblant, on se couche parfois pour remettre au suivant l’exercice réel du pouvoir. Les braillards font partie du décor républicain qui est si banal que les manifestants y viennent avec leurs enfants juchés sur leurs épaules afin qu’il se vaccinent à la révolution pour rire !
A cause d’un slogan abusif « 6 février 34 an I de la Révolution Nationale », il reste de 1934 l’amalgame inlassablement pétri par les gens de gauche et ceux qui les miment par nécessité, amalgame qui précipite ensemble les ligues d’alors, dont les Camelots du roi, la plus redoutée, le régime autocratique de Vichy, et le Front national d’aujourd’hui ; alors que s’ils vivaient tous à la même époque, on s’apercevrait vite qu’ils ne s’aiment pas, jusqu’à sans doute se combattre.
Onze ans plus tard, le 6 février 1945 à 9h48 au Fort de Montrouge : Une salve, et l’ultime détonation. Brasillach était happé par l’histoire. Il payait comptant son « entêtement » et son courage quand bien d’autres mettaient à reluire leurs galons tout neufs de FFI. De Gaulle qui avait refusé la grâce de l’écrivain, déclara après son exécution : «La justice n'exigeait peut-être pas la mort de Brasillach, mais le salut de l'État l'exigeait». La formule creuse resservira plus tard, sans nul procès, dès son retour aux affaires après le putsch de 1958, et surtout aux heures grises du reniement dans la lutte contre l'OAS.
Antoine Blondin : « On parle aujourd’hui peu de Brasillach. Parce qu’il fut antisémite et collaborateur, il est entré à jamais dans le cortège funeste des maudits de notre temps. Doit-on pour autant vouer cette figure de notre littérature aux gémonies de l’histoire, comme le souhaitaient tous les détracteurs zélés qui n’ont pas feuilleté trois pages d’un seul de ses livres. Nous ne le croyons pas, d’autant que la figure de Brasillach reste marquée par l’héroïsme dont il fit preuve pendant son procès et les derniers instants de son existence. Il mourut pour ses idées, comme dans la chanson de Brassens, et cela devrait mériter une certaine indulgence de la part de ses fraternels adversaires. Témoin d’un engagement total, il doit inciter ceux qui parlent en son nom à retourner à la source de son œuvre pour goutter la parcelle d’un bonheur qu’il affectionnait tant. J’aurai aimé me promener avec lui. » (A. Blondin).
Moi aussi.
©SMC-SH81.2004
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Pourquoi le 6 février 34 fut stérile ? Maurice Pujo nous l'explique si l'on clique ici.
RépondreSupprimerMerci pour le texte de Brasillach sur le 6 février, que je connaissais pas.
RépondreSupprimerUTILISATION ILLICITE, SANS AUTORISATION, D'UNE PHOTOGRAPHIE d'ANTOINE BLONDIN PROTEGEE PAR UN COPYRIGHT ET PILLEE SUR LE SITE www.Big-Bang-Art.com à la rubrique Jean d'Esparbès. VIOLATION CARACTERISEE DU DROIT D'AUTEUR.
RépondreSupprimerwebmaster@big-bang-art.com
Il est inutile de hurler en majuscules pour signer "Anonyme" en plus.
RépondreSupprimerUn simple message de réclamation eut suffi. Je passe sur le site indiqué et j'avise.
Salut.
La photographie de
RépondreSupprimerGérard WIEHE BERENY ©Artscope® A.N.A Productions a été prise sur le Net où elle traînait, et pas sur votre site, car la mention Reproduction interdite est explicite et je m'y tiens toujours.
La photo est retirée du billet.