L'original latin est ici.
On retrouve enfin la vigueur de l'expression augustinienne : ainsi l'invocation de saint Augustin à Dieu, « Non ego vita mea sim : male vixi ex me, mors mihi fui ; in te revivisco» est rendue par « Je ne suis pas ma vie. Je vis mal de moi. J’ai été ma mort. En toi je revis ». Le texte sec remise dans le carton d'ampoules le classique « Mon âme n’est pas elle-même la vie dont elle vit. Elle a bien pu dans ses désordres se donner la mort à elle-même, mais en toi je revis ». C'est une "confessio", nous l'avions oublié en laissant dans les textes précédents ces pitons où pouvait s'aggriper notre indulgence ...
« Traduire les textes anciens est un exercice nécessaire qui nous fait retourner à l'origine perdue ou fantasmée de toute culture ou de toute langue. Une forme de délocalisation de la pensée, de la littérature, de nos récits. Ces livres, même imprimés et traduits dans notre langue maternelle, paraissent souvent parler une langue morte. Il faut abandonner l'idée d'une lecture juste et définitive d'un original qui, depuis longtemps s'est perdu dans les interprétations, traductions et conjectures de sa longue réception. Chaque nouvelle lecture d'un texte ancien est une entreprise de justification et/ou de contestation de notre propre présent (F. Boyer, en préface aux Aveux - 2007) ».
Comme le dit l'auteur, il s'agit de bouleverser notre réception des textes anciens. Mais Frédéric Boyer, normalien responsable, ne voulant pas "écraser" les éditions antérieures, a décidé de titrer l'ouvrage "Les AVEUX". Ainsi pourra-t-on gloser dans le futur sur les Confessions et les Aveux.
Compilation de critiques littéraires publiées par Mark Hunyadi dans Le Temps, Sébastien Lapaque dans Le Figaro, Fabrice Pliskin dans Le Nouvel Obs, Nathalie Crom dans Télérama, Marcel Neusch dans La Croix et Eric Loret dans Libé :
Saint Augustin remastérisé : Dans la nouvelle traduction des "Confessions", saint Augustin s'adresse à vous avec l'étrange proximité d'un compagnon d'Abribus. C'est la nuit. Un inconnu asthmatique d'origine maghrébine est assis près de vous et il vous parle, comme s'il attendait avec vous on ne sait quel Noctambus pour l'enfer ou le paradis. Ce bavard est mort il y a mille cinq cents ans mais il continue de râler superbement. Cette bête d'aveu semble ne rien vouloir vous cacher de ses doutes et de ses dégoûts. Il tonne contre "cette pute, d'âme humaine". Il se mord les doigts d'avoir "tout dépensé par l'amour des putains". Parfois, il sonne comme un pauvre hère de Samuel Beckett : "Cherchez ce que vous cherchez : ça n'y est pas." Par moments, vous vous dites que ce type manque cruellement de centre et de concentration, qu'il a tendance à perdre le fil : "Assis chez moi, je suis facilement hypnotisé par un lézard qui gobe des mouches." Ou bien il plonge ses yeux dans les vôtres et vous craignez même pour votre vertu, car il vous semble reconnaître chez votre frère d'Abribus la rhétorique d'une homosexualité masquée. "Aimer et être aimé m'était plus agréable si je pouvais jouir du corps amant. Je me suis rué dans l'amour. J'ai voulu être une proie", dit-il, comme s'il sortait d'un sauna. D'autres fois, sa voix enfle et Augustin l'Africain sonne comme Césaire l'Antillais : "Fils d'hommes jusqu'à quand le coeur lourd ?" Au bout du bout du rouleau, il s'en veut des errances idéologiques, des utopies dangereuses, des "bla-bla puérils" où donna son esprit "débile". "Ces mirages vides ne me nourrissaient pas et me rendaient toujours plus vide." Ces mirages, pour lui, furent le manichéisme, les horoscopes ou la numérologie. Pour d'autres, ce fut le communisme ou l'art contemporain.
Une traduction incisive des "Confessions" : Pourquoi Augustin ? Pourquoi Les Confessions ? Certainement par amour du latin, de l'Italie. Sans doute aussi en vertu d'une émotion d'adolescence. Le premier contact de Frédéric Boyer avec le texte de l'évêque d'Afrique du Nord, c'est alors qu'il était lycéen qu'il eut lieu : « Je me souviens avoir été emballé par le ton de cette voix, sa violence, son emportement. » Ecrit à la première personne et considéré comme le texte fondateur de la littérature autobiographique, le livre dans lequel Augustin raconte sa vie, son enfance, sa jeunesse emplie de « débauches », finalement sa conversion chrétienne, est un récit tout sauf lisse et édifiant. Un texte stylistiquement complexe, nourri notamment de Virgile et des Psaumes. Une confession brûlante et tourmentée, et même « un livre de combat ».
Un regard neuf : Parmi toutes les qualités qu’on doit reconnaître à Frédéric Boyer, il sait à merveille faire sentir le rythme haletant d’Augustin dans sa recherche de Dieu : « Ne laisse pas ma part obscure me parler. Je me suis dispersé là-bas. Je suis obscur. Mais là, même là, je t’ai aimé à la folie, je me suis perdu, et je me suis souvenu de toi… Maintenant je reviens vers la source. En feu. Le souffle coupé. Personne pour m’en empêcher. Je vais la boire. Je vais en vivre. Je ne suis pas ma vie. Je vis mal de moi. J’ai été ma mort. »
Fort en thèmes et en version : Il y a quelque chose d'incandescent, dans la prose de l'évêque d'Hippone telle que l'écrivain nous la donne à lire en français : «Ni la beauté d'un corps ni le charme d'un temps ni l'éclat de la lumière, amie de mon regard, ni les douces mélodies des cantilènes sur un mode ou un autre, ni le parfum des fleurs, des essences et des aromates, ni la manne ou le miel, ni les membres enlacés dans les étreintes physiques ce n'est pas ce que j'aime quand j'aime mon Dieu.»
Un long corps à corps : Ainsi retrouve-t-on, sous la poussière des siècles, l'accent primitif, sauvage et beau d'un intellectuel nord-africain de l'Empire romain qui s'est fait connaître sous le nom d'Aurelius Augustinus, a vécu à Carthage, Rome et Milan, a reçu le baptême à trente-trois ans, est devenu prêtre et évêque du diocèse d'Hippone dans l'actuelle Algérie, est mort en 430 et a laissé derrière lui une œuvre immense.
Romancier, essayiste, poète, familier des éditions P.O.L., couronné par le prix du livre Inter en 1993, Frédéric Boyer a mis cinq années à traduire les treize livres du chef-d'œuvre de saint Augustin. Ce fut un long corps à corps avec une langue latine qu'il n'a jamais vraiment quittée depuis sa sortie de l'École normale supérieure de Saint-Cloud. « Contrairement à un certain nombre de mes pairs, qui affichent volontiers leur prédilection pour le grec ancien, j'aime beaucoup le latin et le monde romain. J'aurais pu traduire L'Enéide ou Les Métamorphoses. Le latin est une langue importante, qu'on enseigne mal. Je le préfère au grec, où je suis assez moyen. Comme saint Augustin ! » C'est dans le livre I que le fils de sainte Monique fait cet aveu : « Pourquoi ai-je tant détesté les cours de grec dont je fus abreuvé dès ma petite enfance ? » Plus loin, il se repend d'avoir pleuré au récit de la mort de Didon que fait Virgile et confesse avec honte avoir préféré les fictions à la réalité. «Ce n'était que fumée et vent.»
Des anecdotes croustillantes : C'est une œuvre que tout le monde connaît, mais que personne n'a lue ou presque, ce qui caractérise un classique selon Ernest Hemingway. Mais vient l'heure de lire saint Augustin comme si son livre venait de nous arriver et que l'encre n'avait pas séché. Vient l'heure de retrouver les anecdotes croustillantes des livres II et III le vol de poires, la dissipation de la seizième année, le flirt dans les églises, la « poêle des amours scandaleux » à Carthage , le célèbre épisode du jardin de Milan rapporté au livre VIII, la voix angélique qui commande tolle, lege, «attrape et lis», la terrible majesté du livre X, les interrogations sur le temps du livre XI. En intitulant sa traduction nouvelle Les Aveux, Frédéric Boyer retrouve la force brute et première du mot confessio. Le chef-d'œuvre de saint Augustin n'est pas un misérable petit tas de secrets lâchés dans l'ombre d'un confessionnal. C'est une confessio fidei, une profession de foi, et une confessio laudis, une louange faite à Dieu.
Saint Augustin rendu à son audace : Heureux lecteur, toi qui vas découvrir cette nouvelle traduction des Confessions de saint Augustin, rebaptisées pour l'occasion Les Aveux! Heureux, toi qui ne les as jamais lues, et qui vas les découvrir d'un œil aussi neuf que leurs lecteurs de l'époque, estomaqués de tant d'audaces littéraires! Mais plus heureux encore, toi qui les as déjà lues, sans doute dans les traductions appliquées de tel latiniste érudit, et qui vas les relire comme tu ne les as jamais lues! Car tu te diras alors que tu ne les as jamais lues, ces Confessions, jamais lus, ces Aveux d'une âme qui s'adresse à Dieu pour mieux s'interpeller elle-même, faisant fi des convenances langagières et ignorant tout du biographiquement correct, délivrant son tumulte de pensées vautrées dans la fange pour davantage en appeler au Seigneur immense.
Avant Boyer : "La douleur que j'en ressentis enténébra mon cœur. Tout ce que je voyais n'était que mort. La patrie m'était un supplice, la maison paternelle un lieu d'étrange infortune. Tout ce que j'avais mis en commun avec lui, sans lui se changeait en un cruel tourment. Mes yeux le demandaient partout, et il leur était refusé."
Après Boyer : "Cette douleur a noirci mon cœur. Dans tous mes regards, il y avait la mort. La patrie était mon supplice et la maison paternelle un étrange malheur. Tout ce que j'avais eu en commun avec lui se retournait sans lui en torture monstrueuse. Mes yeux le réclamaient partout et on ne me le donnait pas."
Saint Augustin, on le sait, est une source inépuisable de réflexion philosophique, de méditation existentielle, de questionnement religieux. C'est pourquoi il faut être infiniment reconnaissant à Frédéric Boyer de nous restituer son texte dans la force vivante qui l'a fait surgir bien avant que son auteur ne fût saint, père ou docteur - toutes choses qu'il devint et qui, jusqu'à aujourd'hui, l'avaient comme momifié.
Vigueur et zigzag : A l’inverse de ce que nous nommons aujourd’hui autobiographie ou autofiction, où chaque narcissisme trône un flingue à la main, les Aveux d’Augustin s’arrachent à lui, à eux-mêmes, sont l’exercice d’un péril et non d’une reconnaissance. Ils racontent l’errance et la cure d’un chrétien accablé par «le doux poids du monde» et affligé d’une libido taraudante. Africain, berbère, venu enseigner la rhétorique à Rome puis à Milan, Augustin erre à la recherche de la vérité sans comprendre que celle-ci n’est pas un objet sur un étal de marché, mais une expérience. Sous le figuier d’un jardin ami. Il s’y est réfugié seul, «pour le travail des larmes» après une crise de honte, d’angoisse d’être humain : «J’entends alors une voix depuis la maison voisine. Un chant répétitif et récurrent. Une voix d’enfant, garçon ou fille, je ne sais plus. Attrape et lis. Attrape et lis. Aussitôt mon visage a changé, perplexe. Etait-ce une rengaine quelconque que les enfants avaient l’habitude de chanter en jouant ? Non. Ça ne me disait rien.» Il attrape donc son codex et lit au hasard, tombe sur la Lettre aux Romains. «Ce fut comme si une lumière réconfortante se déversait dans mon cœur. Et toutes les ombres du doute se sont évanouies.»
Boyer distingue «interpellations, confidences, exhortations, aveux, micronarrations, souvenirs, hymnes, fictions, louanges…» qui sont la vérité elle-même, en tant que cheminement. Commentant la liste de ses œuvres, Augustin notera dans ses Rétractations finales que l’excitation à connaître et aimer Dieu n’est pas le but des Aveux, mais «l’effet qu’ils ont produit en moi quand je les ai écrits, et qu’ils produisent en moi quand je les lis». D’où le choix du mot «aveu» plutôt que «confession» par Boyer, où l’on entend la voix, l’appel, plutôt que l’achèvement : «l’aveu est humain, note-t-il dans sa préface. Preuve et opérateur d’humanité. Et être humain c’est manquer de Dieu ; manquer de Dieu c’est manquer de soi. La confessio est paradoxalement l’aveu du soi manquant à lui-même.» Augustin se plaint beaucoup d’avoir longtemps considéré Dieu comme une étendue, comme un corps, comme limité. D’où sa réponse à ceux qui demandent ce qu’Il faisait avant la Création : rien, il était Création. De même, l’aveu est cette alliance de l’homme et de Dieu, «la reconnaissance d’être appelé à ne plus être soi», un pur mouvement, un désir, une vie.
L'ouvrage, 416p. chez P.O.L. 24€
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