mercredi 9 avril 2008

Chine le noeud gordien

Tanggula ExpressCe que ressent la nomenklatura chinoise du gouvernement central à l'embrasement tibétain n'est pas difficile à imaginer : une forte crispation à la limite de la tétanie, à présager chaque matin la ruine des efforts olympiens.
Le ton employé dans les rares déclarations mesure la profondeur du ressentiment contre tous les diables étrangers. Les Jeux de Pékin avaient été "commandés" au magasin international des accessoires démocratiques pour breveter la République populaire au banquet de la civilisation mondialisée, couteau-fourchette. Même la Grande Bretagne et les Etats Unis avaient, il y a quelques mois, retiré la République céleste de la liste des vilains, comme prévu à l'agenda du CIO.
Patatrac !
Comment donc les autorités chinoises ont-elles pu louper leur surveillance des fermentations tibétaines ? Trompées par le calme méditatif himalayen ?
« Et pourtant nous leur avions même amené le plus beau train du monde !»

En envahissant littéralement Lhassa, ville désormais à forte majorité chinoise, et en ouvrant la ligne du Tanggula Express qui monte à Lhassa depuis Golmud (Qinghai) en amenant quotidiennement 5000 migrants hans, la bureaucratie centrale avait joué la carte de la submersion de la civilisation tibétaine, réputée crasseuse et arriérée. Deux couacs : les pieds noirs hans ne montent que pour gagner leur vie, faire la pelote et redescendre finir leurs jours chez "eux" ; comme l'oiseau sur la branche, ils ne s'impliquent donc dans aucune structure "nationale" tibétaine, ce qui convient bien à leur tempérament individualiste où le plus large horizon de leurs intérêts est la famille, mais coupe les Hans des Tibétains.
Le second couac provient du système bureaucratique incapable suis generis de déléguer et qui réagit dans l'urgence (comme partout ailleurs aussi) mal et trop tard. Dans le cas de l'insurrection, les chefs communistes locaux étaient à Pékin pour le Congrès National du Peuple et leurs sous-fifres n'ont pas pris la mesure de la révolte, pensant à quelques échauffourées commémoratives. Ils attendirent les ordres par la voie hiérarchique.
Comme il en va toujours avec les bureaucraties quand elles sont débordées, elles ne réfléchissent plus, elles marchent aux réflexes.

Hu JintaoQuels sont-ils au sommet de l'Etat ? Le patron est un Brejnev lisse, Hu Jintao, connu pour ses succès dans la pacification du Tibet en 1989. Il a suscité des déclarations incendiaires de ses subordonnés à l'encontre du 14è Dalaï Lama - face humaine dissimulant un coeur d'animal - l'accusant de lancer contre l'Etat des commandos-suicides constitués de moines chacals, pas moins ! Et sans plus perdre de temps, comme en 1989, il a fait monter sur le Toit du Monde des milliers de troupes pour rétablir la paix par le silence.

Autour de lui, le peuple han est 100% d'accord avec ses dirigeants sur la question tibétaine car la propagande est professionnelle chez les communistes. Aussi, les déclarations imprudentes des autorités les empêchent-elles maintenant de prendre langue avec le 14è Dalaï Lama pour ouvrir la cage à la colombe de la paix, seule attitude capable de désamorcer la bronca internationale et de sauver les Jeux tant désirés par la Nation han, en s'égratignant le moins possible la face. On comprend mieux le dilemme actuel. Ne pouvant ni reculer à cause de l'opinion domestique, ni trop avancer sous les regards du Monde libre, Hu Jintao risque bien de tomber du côté où il penche. Clôture étanche de la province et pacification chirurgicale intense et silencieuse. Hélas ça chauffe déjà au Gansu voisin où les moines bouddhistes ne veulent pas dormir, et l'ouest du Sichuan n'est pas tranquille.

Le Turkestan chinois, à quelques centaines de lieues au nord du Tibet, a commencé lui aussi à bouger. Fin mars, des manifestations nombreuses de Ouigours ont eu lieu au Xinkiang pour des motifs de liberté religieuse, et la presse chinoise a elle-même rapporté des affrontements entre les forces de l'ordre et des rebelles musulmans. Des bombes ont été trouvées dans des bagages d'avion. C'est très sérieux, et l'inévitable répression, si elle ne se retient pas - mais comment apprendre à imaginer des improvisations au premier échelon en si peu de temps - va braquer les voisins d'Asie Centrale qui sont peuplés des mêmes ethnies et pas encore trop dépendants de la Chine.

char 96 chinois
Est-il trop tard pour maintenir les Jeux ?
Je ne sais pas, mais l'angoisse guette la nomenklatura qui est la première à redouter une fermeture obligatoire du pays et la suppression des avantages indécents que l'ouverture de Deng Xiao Ping lui a rapportés, et pour le train de vie, et pour l'éducation des enfants, et pour leurs investissements à l'étranger, et pour les bénéfices de la corruption mercantile, etc.
Ces gens, très informés, ne voient pas la Chine comme les Occidentaux la perçoivent. Nous sommes presque effrayés par la puissance industrielle qui monte sans freins, par les masses financières en mouvement et par la modernisation rapide des forces armées. Pour les Chinois, cela est normal provenant d'un empire comme le leur - il faut toujours garder leur empreinte impériale en mémoire - mais, dans leur esprit, ne menace personne.
Par contre, eux, sont quasiment effrayés de la fracture sociale des campagnes complètement décrochées du PIB, qui déclenche des jacqueries spontanées, par les fermentations ouvrières dans les régions de l'ancienne industrie lourde ruinée, par les désastres écologiques irrémédiables avant plusieurs générations, et bien plus par l'effervescence des provinces périmétriques comme le Xinkiang ou le Tibet qui peuvent aussi faire décrocher Taïwan. Le sentiment qui prévaut dans les hautes sphères de Pékin est donc celui de l'insécurité politique. Elle est très mauvaise conseillère.

nouveau porte-avions chinois
Au fur et à mesure que la contestation de sa légitimité olympique progressera, le pouvoir chinois cherchera par réflexe pavlovien le silence, pour sauver les apparences d'une grand messe sportive où il compte récolter une brassée de médailles d'or. Aussi n'est-il pas surprenant qu'Amnesty International note une recrudescence des internements alors que les J.O. devaient fluidifier les libertés d'opinion.

Malgré la présence de trente mille correspondants de presse attendus en Chine en août 2008 - comme une horde de chats impossible à guider -, le contrat de libéralisation ne sera pas rempli car les dirigeants chinois, aujourd'hui menacés, en sont incapables dans leurs structures mentales, à peine de "se voir" périr.
Finalement, c'est le film qu'ils se passent dans leur tête qui les bloque.
Comment trancheront-ils le noeud gordien ?
A la hache !


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