« Autant le roi symbolisait la discorde nationale, autant la monarchie symbolise toujours l'unité nationale » écrivait ces jours-ci Kunda Dixit, rédacteur en chef du Nepali Times. Façon de nous dire que la fonction ne crée pas nécessairement son outil. Le roi Gyanendra ne cultive pas l'affect populaire, c'est le moins que l'on puisse dire, et ne connaît pas exactement l'appareil critique de sa légitimité, et de la monarchie elle-même, plus que les limites qui lui furent imposées en 2006. Il a confondu l'autorité suprême et naturelle du monarque et le pouvoir fort, de bonne foi sans doute. Croyant aboutir à l'Ordre en suspendant les libertés fondamentales et la suppuration parlementaire, il prit la posture du Lord of War, maître chez lui qui écrase ses ennemis d'un coup de masse et compte sur le temps pour faire oublier la dureté du procédé.
A moins de disposer d'un rapport du fort au faible indiscutable et de beaucoup de chance, la pacification d'un pays déstabilisé par la subversion communiste - légitimée, il faut le dire, par l'absence de réforme agraire - ne réussit pas par ce chemin brutal. Surtout s'il s'agit d'un maharadja hindouiste à la passerelle. Au seuil des désagréments techniquement recommandés pour mater une insurrection, la retenue naturelle d'un prince-thaumaturge affectionnant son peuple (sinon que fait-il là?) brise l'élan initial et ouvre la brèche du compromis par laquelle s'engouffrent les Révolutionnaires éclairés. Si les fusils du roi étaient bien indiens, ses commettants étaient en même temps démocrates et ne voulaient pas être pris les doigts dans une porte refermée sur des massacres.
Le scénario est connu, le "sens de l'Histoire".
Ceux-là, les révolutionnaires, convaincus de détenir la Vérité en tous domaines, ne laissent passer aucune option leur permettant de progresser, en dehors de tous principes autres que celui de la fin justifiant le moyen d'y atteindre. Ainsi, dès les élections à la Constituante d'hier, voit-on déjà les Maoïstes à la manoeuvre, intimidant les uns et les autres pour parvenir à leurs fins dans les formes légales. Le caractère hautain du roi en place et son coup d'état d'octobre 2002 sont pain béni pour eux au seuil de l'accouchement du vieux royaume, et sauf "accident", les républicains devraient gagner et accéder ainsi aux prébendes convoitées, car il ne s'agit bien comme chaque fois que de cela. Les exemples abondent.
Les peuples du Népal semblent aujourd'hui moins sûrs des lendemains qui chantent. Sans doute comme celui du Bhoutan qui depuis l'invasion des écrans bleus assiste aux désordres immenses des belles démocraties qui l'entourent, il redoute la chienlit et balance entre deux maux, la résurgence de l'insurrection maoïste actuellement en voie d'épuisement, et la mise en coupe réglée du pays par les républicains qui vont se le diviser, remplaçant les féodalités médiévales hors d'âge par celles plus modernes de la bureaucratie triomphante des partis, ou du parti. Les observateurs étrangers ont noté une forte effervescence, des maoïstes en ont payé le prix.
Le danger qui prévaut dans la conscience populaire est celui de la division inhérente au système démocratique, ligne de partage qui traverse le territoire en tous sens, les communautés, les ethnies et les familles. Mais entre la Chine communiste qui couve les braises de l'insurrection depuis sa frontière tibétaine, et l'Inde qui veut affirmer sa suzeraineté sur tous les royaumes de son piémont himalayen, il n'y a pas beaucoup de place pour les principes de juste gouvernance au bien commun de tous. Aussi le Népal doit-il faire aujourd'hui l'expérience des Lumières occidentales, jusqu'à la nausée, avant peut-être de se reprendre dans une ou deux générations quand les deux empires qui le tiennent se seront eux-mêmes écoeurés des rets invisibles dans lesquels ils se sont jetés.
Sans doute les rois himalayens ont-ils eu quelque mal à réorganiser les pyramides ancestrales. La montagne et la réclusion ne sont pas le meilleur environnement de l'imagination. De plus, l'immobilité asiatique du Temps ne favorise pas la réforme. Leurs royaumes auront tous bientôt disparu et leurs peuples auront troqué leur condition de sujets - certains de serfs - contre celle plus addictive de consommateurs globaux - certains d'ouvriers aux cadences - à qui l'on jettera les produits rutilants et menteurs de la civilisation matérialiste. C'est leur karma.
La révolution népalaise nous indique que le métier de roi ne s'improvise pas, et qu'il n'est nulle part de roi absolu au sens commun. Le réglage équilibré de la fonction exige une molette fine et un consensus irréfragable au niveau supérieur de l'Etat, et une affection sincère au-dessous. Ce dont le roi Gyanendra ne bénéficiait apparemment pas, par sa faute aussi. La monarchie perdure quand elle est l'organisateur des libertés vraies. Le couple roi-libertés est indésserable à peine de faire périr les deux ; le gérer exige un éducation attentive et poussée.
Incarner l'unité nationale, apporter la touche de "magie" à l'appareil d'Etat, présider au destin des domaines régaliens, conseiller les ministres sans approche partisane, tout ceci comble déjà la plénitude de la fonction monarchique. Le roi ne doit pas mettre les mains dans le cambouis, sauf à montrer son courage à la guerre.
Mais les peuples ne sont pas toujours sages et s'inquiètent parfois que l'herbe soit à vue d'oiseau plus verte chez leurs voisins. Il est alors difficile de les convaincre de maintenir le meilleur de leurs traditions, de leurs exceptions. Pourquoi ne pas suivre le changement, la "modernisation" ? Quand bien même veulent-ils y verser, cette pédagogie doit être tentée afin de ne pas les abandonner sans rien faire aux oligarchies démocratiques qui vont les piller. S'ils persistent, leur souhaiter bonne chance et rejoindre l'âshram.
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Il y a de sérieux soupçons le concernant à propos du massacre à la kalash de toute la famille par le fou. Ca me fait pensé au Lotus Bleu.
RépondreSupprimerNous sommes un peu loin ici pour tout comprendre à ce pays.
Les Maoïstes seraient majoritaires en sièges, ce qui réjouit sans doute la République populaire.
RépondreSupprimerL'Inde va observer attentivement l'éventuelle "importation" des conseillers chinois de la future République.
A suivre.
Même si les résultats des contrées les plus reculées ne sont pas arrivés, ceux qui sont disponibles donnent la mesure du mépris envers le roi. Le peuple n'aime plus son roi, et le roi disparaît.
RépondreSupprimerMonarchie populaire.