dimanche 27 juillet 2008

Pour la Méditerranée

carte developpement mediterranee
L’Union Pour la Méditerranée est lancée ! Loin ! Intéresserons-nous aujourd’hui à la géopolitique de la zone. Deux lignes de fractures sont apparues pour ce grand projet du XXI° siècle : la plus évidente, une ligne horizontale de Gibraltar à Alexandrette, qui suit l’axe médian de la Mer méditerranée et sépare les Européens et leur allié turc d'un côté, des peuples fils d’Abraham de l'autre. L’autre ligne de fracture sépare les nations européennes sérieuses du Nord aux nations européennes latines, plus chaleureuses, s’estimant les seules capables de comprendre le Sud...?

Cette seconde fracture a été réduite immédiatement par la chancelière prussienne Merkel aux dépens des pays « pieds dans l’eau » que sont l’Espagne, la France et l’Italie.
L’Allemagne « fédérale » est partie prenante du projet fédéral européen, bien plus impliquée que la France, surtout depuis que le deutschemark fut rebaptisé « euro ». fanion euroturcL’Union méditerranéenne réservée aux seuls riverains, qui enterrait le processus stérile de Barcelone, dessinait à ses yeux une ligne Maginot diplomatique la rejetant au nord-est de l’Europe, dans quelque empire du Froid en tête à tête avec son allié le moins sûr – l’est-il de quelqu’un ? –, la Grande Bretagne. Albion était bien capable d’entrer seule ensuite dans le schmilblick nautique sans prévenir, par le truchement de Gibraltar. Berlin n’aurait eu d’autre choix que de se retourner vers son meilleur client, la Russie, et les pays de son glacis naturel. Cela limitait terriblement ses ambitions diplomatiques ; et bien que le grand client slave soit riche, il est d’expérience dangereux.

Si la Méditerranée n’est plus vraiment le centre du Monde, elle reste une zone de bruit diplomatique intense, à portée de voix de l’autre zone de décision pétrolière, et le seul champ où l’on puisse manœuvrer une réconciliation Nord-Sud d’envergure, en profitant d’une proximité géographique et historique que l’on ne trouve nulle part ailleurs.

Guillaume IIL’Allemagne fédérale qui depuis le succès de sa réunification veut renouer les fils du projet moyen-oriental des régimes qui l’ont précédée, ne pouvait laisser une nouvelle union, concurrente de celle où elle règne, lui tourner le dos. Troisième économie terrestre, rattrapée par la Chine certes mais toujours premier exportateur mondial, elle a terminé son expiation politique le jour où Helmut Kohl réussit à ses conditions l’anschluss de la République démocratique allemande, sans négocier non plus avec les trois alliés occidentaux réticents. L’Allemagne était désormais capable et en situation de forcer l’évènement à son seul bénéfice. Le nain politique avait rompu sa relégation de vaincu timide. Le chancelier Schröder en a remis une couche quand son ambassadeur s’est dressé à l’ONU contre « son vainqueur » américain sur l’affaire d’Irak.

Le géant économique européen qui parle assez peu de ses intentions, déroule avec quelque bonheur une diplomatie mercantile active sur l’ancienne zone d’influences ottomane et franco-britannique. Pas question donc de passer sous les fourches caudines des douanes françaises ou italiennes, deux pays sans le sou, gouvernés par des amateurs, pour atteindre politiquement la Méditerranée. Dès ce moment l’Union méditerranéenne (des riverains) rêvée par le cabinet élyséen était morte ! Le projet reviendrait sous surveillance allemande ou périrait. « Hégémonie douce » avait dit Joschka Fischer , ministre vert des affaires étrangères du gouvernement Schröder, quand l’Allemagne décida, sans en référer à quiconque, de submerger industriellement les PECO* après la chute du COMECON*. Hégémonie sans limites annoncées.

ataturkL’autre acteur de taille est la République turque, légataire universel de l’Empire ottoman, califat exclu. Sa position géographique est incontournable, ses attentes, des exigences ! Pour une première raison, elle détient la clé de l’eau de Mésopotamie et le fait savoir. Comme disait le président Demirel à Hafez al-Assad qui dénonçait les barrages turcs sur l’Euphrate : « La Turquie fait ce que bon lui semble de son eau comme les Arabes font ce qu’ils veulent de leur pétrole ».
L’autre raison est qu’elle se sent européenne et s’exclut d’elle-même du camp moyen-oriental dominé par les Arabes et les compagnies pétrolières. La seule nation de la zone qu’elle estime à son niveau de prestige est l’Iran. Leurs états-majors se connaissent d’ailleurs bien. La seule position acceptable pour elle dans une union méditerranéenne est la parité avec la France et l’Italie ; et avec le back-up de l’Allemagne, elle en deviendra vite le partenaire riverain majeur si l’affaire progresse. Mille entreprises allemandes travaillent en Turquie.

gorille pensifLa grande réconciliation euroméditerranéenne réussira-t-elle ?
Nul ne peut le prédire car les complications ne le cèderont pas facilement aux effusions médiatisées, et la rive Sud est plus souvent dans les mains d’autocrates personnellement intéressés que de gouvernements soucieux de développer des politiques communes, sauf à y trouver leur bénéfice. L’Europe pèsera-t-elle assez pour forcer le développement ? Beaucoup en doutent, à commencer par les Etats-Unis qui jouent le rôle du gorille muet de 800 livres dans le coin obscur de la salle de conférences.

En effet, si l’on passe en revue les pays de la rive Sud, on peut s’étonner du nombre de conflits latents qui les opposent : si les frontières de chacun de ces pays sont ouvertes sur l’hinterland diamétralement opposé à la mer, elles sont hyper contrôlées entre eux, voire blindées. Tous ces gens s’embrassent et se détestent. Ils ne se mettront d’accord, non entre eux mais chacun d’eux avec nous, juste pour consommer subventions et crédits que le Nord déploiera sur des projets communs. Parmi ceux-là, le seul à mon avis capable de fédérer les énergies est le projet de dépollution de la mer, sachant qu’il nous coûtera très cher et pour longtemps, car le niveau sanitaire des effluents nationaux deviendra par la suite un élément récurrent de « négociation ».

Assad juniorDoit-on dans ses conditions se réjouir du lancement de l’Union Pour la Méditerranée ? Incontestablement oui ! Pour une raison au moins : arrive dans les pays arabes une nouvelle génération éduquée à l’occidentale, arrachée au crassier idéologique, respectueuse de l’islam mais peu fataliste, qui a l’ambition de percer dans le siècle, au même niveau que ses concurrents asiatiques ou occidentaux. On croise de plus en plus souvent cette nouvelle génération dans les nœuds de communication de la planète, et les rancoeurs suries de leurs parents les agacent. Avec eux, se feront de grandes choses jusqu’à un jour peut-être fédérer la Nation arabe, au plan économique déjà ! Le développement du Croissant Vert reste le meilleur antidote au fondamentalisme musulman qui est quand même le danger identifié le plus sérieux pour l’Europe, tant du moins que le furoncle israélo-palestinien n’aura pas été résorbé. Les progrès spectaculaires des émirats du Golfe persique en font chaque jour la démonstration.

moubarak juniorQue pèsera la France dans cette partie diplomatique ? Autant que le poids de ses contributions financières, c’est-à-dire finalement peu, au-delà des exposés grandioses que nous avons l’habitude d’asséner à ceux que nous déclarons nos amis. Les autres débranchent l’oreillette.
L’Italie n’étant pas au mieux de sa forme, il est à parier que le projet passera dans les mains de l’Allemagne et de la Turquie si ces deux pays très liés depuis Guillaume II, « l’ami des 300 millions de musulmans (discours de Damas,1898) », y trouvent eux un avantage économique.

Jusqu’à aujourd’hui le Processus de Barcelone de 1995 est resté lettre morte malgré l’ouverture de lignes de crédits de la BERD de Londres parce qu’au lieu de développement économique, l’Europe a priorisé la question migratoire qui l’obsède, mais aussi parce qu’il fut accaparé par Israël pour stigmatiser le combat asymétrique du Hamas et du Hezbollah dans le cadre du chapitre « contre-terrorisme ». Aucun chef d’Etat arabe n’est venu fêter son dixième anniversaire il y a 3 ans. Aucun bilan ne fut tiré à cette occasion pour ne vexer personne ! Le cadavre est froid.
La prévention actuelle de certains chefs de la rive Sud à l’endroit de l’UPM est fondée sur cette même crainte qu’Israël n’instrumentalise la question du terrorisme sans compenser un éventuel compromis israélo-arabe par une libération réelle et définitive des territoires occupés et le règlement que la question des réfugiés palestiniens.

TzipiL’UPM pourrait ainsi achopper sur les mêmes blocages que ceux du Processus de Barcelone, sauf à vouloir intégrer les Etats-Unis dans l’affaire, les seuls capables de faire (un peu) plier l’état hébreu. S’ils y entrent, à leur tour les Russes forceront la porte, amenant par réaction, les pays du Caucase qui redoutent tout confinement au contact du géant russe. L’UPM se diluera alors dans une sorte de machin à conférences pour écologistes, géographes, doyens d’université et stratèges en laboratoire d’idées. M. Sarkozy n’est aucun de ceux-là. Mais Nicolas Hulot, José Bové, Jacques Chirac, Pascal Husting (Greenpeace), Hubert Reeves ou … Al Gore, si !
Beaucoup de bruit pour rien qui n’ait été déjà vu.

Notes :
Un bon dossier UPM est accessible à la Documentation Française sur Internet :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/europe-mediterranee/index.shtml
PECO : Pays d’Europe centrale et orientale, désignation des pays libérés du bloc soviétique en 1989 avant qu’ils n’entrent dans l’OTAN et l’Union européenne. Ils coopéraient auparavant dans un marché commun communiste appelé le COMECON.
BERD : Banque européenne pour la Reconstruction & le Développement


(article paru dans le n°2753 de l'Action Française 2000 du 17/7/08)


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