Le tiers-bas est la confiance méthodique : le détenteur d'une monnaie est alors certain qu'elle sera acceptée pour régler le prix du bien ou du service qu'il veut acquérir ; si cette confiance n'est pas obtenue ou disparait les acteurs économiques restent ou en reviennent au troc ;
Le tiers-moyen est la confiance éthique : la monnaie est le symbole d'une cohésion de la société dans laquelle elle circule ; les envahisseurs d'un pays commencent toujours par faire circuler leur monnaie pour disjoindre la cohésion sociale, et accessoirement détruire les bas de laine ;
Le tiers-haut est la confiance hiérarchique : elle reconnaît aux autorités politiques ou subrogées la capacité d'émettre de la monnaie dans les deux règles de confiance précédentes ; c'est de celle-ci dont on parle le plus.
Si l'Allemagne a retiré sa confiance du tiers-haut aux Etats latins, c'est par la constatation que leurs habitants valorisaient de plus en plus de services en deutschemarks sur les marchés extérieurs (tiers-bas fragilisé) et qu'ils n'avaient confiance dans la valeur de leur monnaie nationale qu'à partir du moment où celle-ci avait été intégrée dans le serpent monétaire européen. Les dévaluations compétitives du trésor public pour franchir ses échéances trimestrielles avaient dégoutté tous les détenteurs de capitaux.
L'euro n'est pas né de la volonté convergente de plusieurs pays de faciliter les règlements du marché unique, mais a été le moyen de communication le plus abouti pour présenter la digestion des monnaies nationales européennes dans un large zone deutschemark.
Aparté : si ce n'est pas ça, comment expliquer que la "monnaie commune" ait été impossible à créer à côté des monnaies locales réduites aux échanges quotidiens des ménages ? il fallait retirer tout le tiers-bas aux acteurs peu fiables.
L'euro a gagné la bataille du tiers-bas sans aucun problème, à la stupéfaction de certains monétaristes distingués qui n'avaient pas mesuré le déficit de confiance des monnaies nationales dans l'opinion avant l'instauration du SME. Il suffisait de sonder les voyageurs et de leur demander où ils serraient les dollars qu'ils avaient rapportés. L'euro a-t-il gagné le tiers-moyen ? Sans doute aussi ! La monnaie n'étant plus un symbole de souveraineté, elle reste celui d'une forte cohésion mercantile, le marché unique étant réel et la liberté de circulation des personnes (les clients de ce marché) étant évidente.
Le tiers-haut de la confiance hiérarchique en l'euro est assez bizarre pour les Européens habitués par l'Histoire à entendre battre monnaie. Or depuis l'euro, il ne se passe rien de tel. La Banque Centrale Européenne, hors de portée des doigts des brigands(1), suit une politique de discrétion qu'elle a peut-être empruntée à la Sublime Porte. Le mystère de ses décisions génère une crainte respectueuse. D'aucuns critiquent ce gros défaut de communication dans un siècle de transparence pipolisée. Trichet à la triste figure, qui se demande chaque jour comment il a pu atteindre tant d'honneur et de pouvoir, n'a pas l'âme bateleuse ; et c'est tant mieux !
Ainsi, les peuples latins, s'ils n'ont pas remarqué que l'euro ne dévalue jamais, ont noté dans un coin de leur mémoire que la BCE en a injecté ces derniers temps 220 milliards sur les marchés obligataires pour huiler les échanges interbancaires. Plus de 300 milliards de dollars, sans demander le blanc seing de quiconque ! Si le Trésor américain, gouverné par l'ancien patron de la Goldman Sachs, est à la merci de la Chambre des Représentants qui gère les deniers publics, la BCE ressortit, elle, au pouvoir régalien de compétence absolue : c'est royaliste ça !
Quand tout va mal, qui pense encore en France remettre la décision entre les mains de ce que Villepin appelait "les connards" ? Le parlementarisme montre chaque jour son usure morale (affaire Poncelet) et ses limites, ce qui est bon pour le pays dont on pourra bientôt désiller les yeux.
Fermons la parenthèse "euro" en regrettant qu'il y a ait encore chez certains partis politiques un peu arriérés des promoteurs d'un retour au franc.
Ces "retardataires" sont imprégnés de l'Histoire des mondes anciens où l'instauration d'une monnaie fiduciaire - c'est à dire une monnaie signée représentant une valeur supérieure à la valeur de la matière que l'on tient en main - consacre un Etat en fin de construction qui arrive à la plénitude de sa puissance. Savez-vous que ce réflexe existe encore : En 1990, la Lithuanie émit le litas pour affirmer sa nouvelle indépendance et refouler le rouble russe. Deux "tiers" sur trois n'étant pas rétablis, elle adossa son litas au dollar américain. Nombre de pays font de même par le monde, adossant leur monnaie locale à une grande monnaie internationale pour lui donner un début de convertibilité dès lors que le pouvoir politique de passage ne peut plus jouer avec. Les Balkans sont en euros depuis longtemps. Ceci traduit un déficit du tiers-haut.
La monnaie, si elle a ou avait une dimension politique, a d'abord pour fonction essentielle de réguler les échanges : Si pour une raison, la fonction de régulation mercantile doit être renforcée au détriment du symbole politique, la première doit primer la deuxième dès lors qu'il en va de la cohésion sociale du groupe national.
La monnaie n'est pas un voile sur les échanges de biens et services mais, nécessaire au lien marchand, elle est le sang de toute la circulation économique. En cas d'effondrement d'une monnaie, ce sont tous les repères économiques qui disparaissent, et plus vite qu'on ne le croit le troc ne suffit plus ; une foire d'empoigne générale mène alors les gens à s'entretuer. Les krachs allemand et russe d'avant-guerre ont bien montré cette spirale que l'on ne stoppe que par l'émission d'une nouvelle monnaie "patriotique" fondée sur un patrimoine économique à redresser. C'est l'histoire du "miracle allemand" qui en l'absence de "patrimoine politique", a surgi d'une représentation commune de la situation économique générale du pays et de son potentiel, image infusée au plus profond de chacun des acteurs économiques, image d'une cohésion.
Les espaces d'exercice de la fonction régulatrice mercantile de la monnaie ne coïncident plus avec les espaces de la souveraineté politique. C'est une mutation du système économique terrestre provoqué par la globalisation des échanges. Il vaut mieux l'étudier que de laisser la peur s'insinuer dans notre analyse du monde nouveau à cause de la perte du lien politique.
La globalisation n'est réversible que par la guerre mondiale, autant faire avec ; et dans le cas qui nous occupe aujourd'hui, découpler définitivement le coeur (émetteur de monnaie) et le cerveau (créateur d'idées) de notre corps social, qui sont par nature indépendants l'un de l'autre.
Le politique a désormais peu d'effet sur l'économique, même si les politiciens tentent d'attraper la main du prétendu noyé capitaliste.
Ils n'attraperont que le gant !
Lire quand même Georges Soros : La vérité sur la crise financière, chez Denoël, 216p. 18€.
Note (1) : Ne pouvant émettre de monnaie, le gouvernement Fillon émet de la dette, et convoite l'épargne populaire (livret A). Le tabou est donc brisé, comme nous l'annoncions dans un billet précédent sur l'austérité.
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