Connaissez-vous les indiens Houmas ? Si oui, vous avez déjà tout compris. Outre que leurs femmes sont belles et qu'ils parlent encore un peu français, ils furent signalés comme amis par Cavelier de La Salle, lors de son exploration du bassin du Missippi. Alliés des Français pendant la guerre de Sept Ans, ils vivent encore en Louisiane. Le prince Jean, que l'on sait attentif à la francophonie, les avait rencontrés lors dun périple américain en l'an 2000. Ils font partie de la grande famille et doivent bénéficier de nos attentions. Si la francophonie est une hyperbole à taille planétaire, elle est moins ancienne que les Houmas.
En fait, son élan identitaire a pris forme au cours des années 60, et fut dynamisé par le discours-provocation de Montréal du général De Gaulle en 1967, qui marque la rupture française du consensus atlantique, plus que ne le fit le retrait de l'OTAN de 1966.
L'universalité d'une prise de conscience francophone avait été révélée cinq ans avant par un agrégé de grammaire qui fit paraître dans la revue Esprit un article sur "Le français, langue de culture". Il y déclarait tranquillement :...
« la Francophonie, c'est cet Humanisme intégral, qui se tisse autour de la terre : cette symbiose des énergies dormantes de tous les continents, de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur complémentaire » (Léopold Sédar Senghor).
Sous l'impulsion de quatre chefs d'État francophones, Senghor, Sihanouk, Bourguiba et Diori, la Francophonie se dota d'un numéro de téléphone par la création le 20 mars 1970 à Niamey de l'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT). Ce 20 mars 2009, nous fêterons l'anniversaire de la Convention de Niamey dans 56 pays. Ils étaient 20 au départ.
Comme l'avait annoncé Senghor, la mise en valeur de cette "richesse commune" fut très vite décentralisée parmi les créateurs du concept décalqué du Commonwealth, et l'organisation adoptera par la suite une structure multipolaire impliquant des opérateurs distincts, contrairement à l'empreinte impériale en étoile que la France avait partout laissée.
Cette complicité mondiale est aujourd'hui surveillée et enrichie par l'héritière de l'ACCT, l'Organisation internationale de la francophonie, OIF. Elle est dirigée depuis 2002 par celui qui fut le successeur du président Senghor à la tête du Sénégal, l'excellent Abdou Diouf. Mais on ne peut dire tout le bien que méritent ces gens sans commencer par l'exception culturelle que constitue à elle seule la langue française.
Ne refaisons pas l'histoire de cette langue romane issue du latin populaire et polie par l'usage qu'en firent les pouvoirs capétiens qui se succédèrent. Malherbe (1555-1628) vint, et la forme classique fut alors quasiment figée. Si bien que nous sommes une des rares communautés linguistiques du monde à pouvoir lire ses auteurs anciens dans leurs textes d'origine. Cette langue française déclinée dans ces riches idiomes, sans limites sur le vecteur temps, mathématique dans sa construction, tranchante en concision, peut s'enorgueillir du nombre immense de ses "amoureux" comme ils se présentent eux-mêmes :
L'auteur "céleste" du premier dictionnaire technique exhaustif chinois-français-chinois me confiait dans une émotion à peine contenue que la complication de premier abord était réduite à mesure qu'on pénétrait l'algèbre de la grammaire, et que ses jargons techniques étaient parmi les plus fouillés du monde, les noms communs, les adjectifs, n'ayant aucun synonyme. Il parlait un français académique de la même qualité que celui de l'actuel ambassadeur de Chine à Paris.
Il est bien dommage que la géopolitique mondiale - dont nous fûmes parfois un acteur immature - et notre propre gabegie, nous aient retiré les moyens de conquête qui sauraient utiliser cet outillage de précision. Porteur des valeurs universelles françaises, son usage délie l'esprit et offre à son locuteur les clés d'une jouissance mesurée raccordée à neuf siècles de foisonnement intellectuel.
Combien d'écrivains nés hors de la communauté francophone ont choisi la langue française pour exprimer complètement leur impatience intime et se sont incrustés avec talent dans notre littérature ! Comme souvent c'est bien l'oeil extérieur qui a la meilleure vision du phénomène, et ce sont nos cousins étrangers qui défendent le mieux l'exceptionnalité de ce diamant culturel. Ils s'étranglent parfois à l'assaut des cuistres soutenus par des politiciens complaisants de chez nous.
Dans notre époque post-moderne qui veut s'approprier le patrimoine pour le remodeler au bénéfice d'une idéologie plébéienne facile à penser, la langue populaire subit la "modernisation". Ces dernières années, nous en eûmes deux : la simplification orthographique - dont nous fûmes finalement dispensés par le fiasco de la même mesure décrétée en Allemagne et refusée par la presse et la population adulte pour stupidité intense - et la pitoyable féminisation des métiers, grades et titres qui contrevient à l'essence même de l'idiome :
Comme le soulignait alors l'Académie française, la féminisation repose sur un contre-sens linguistique ; « il convient de rappeler que le masculin est en français le genre non marqué et peut de ce fait désigner indifféremment les hommes et les femmes ; en revanche, le féminin est appelé plus pertinemment le genre marqué, et la marque est privative. Elle affecte le terme marqué d’une limitation dont l’autre seul est exempt. À la différence du genre non marqué, le genre marqué, appliqué aux êtres animés, institue entre les deux sexes une ségrégation ...» (Dumézil et Lévi-Strauss, 1984).
Il est des détentrices de pouvoir qui prennent de travers la féminisation de leur titre par des obséquieux. Iriez-vous chez la "médecine" ? Ne parlons même pas de la "doyenne" ! La "préfète" sait tenir sa préfecture, fait sa liste d'invités, les place à table et accueille chacun par son nom avec un mot gentil, mais ne fouille pas dans les décrets l'article qui la sauvera de la disgrâce pour une charge de CRS retenue. C'est un travail de "préfet", qui peut tout à fait se prénommer Fabienne.
Le dernier avatar de la lutte est la simplification des épreuves de culture générale dans les concours administratifs au motif scabreux qu'elles en barrent les moins savants ou les derniers arrivés. Pourtant la considération est le moteur d'enthousiasme le moins cher à alimenter. Le mépris est palpable et les "petites gens" se souviendront de leur déclassement.
En attendant que les cuistres meurent, ouvrons les portes de l'OIF à Paris. Ce secrétariat applique les directives des sommets biennaux de 56 chefs d'Etat ou gouvernements qui constituent l'instance suprême. Elle agit par quatre opérateurs directs dont nous parlons plus bas. A côté d'eux, existent un Conseil permanent de la francophonie (CPF), chambre des pairs qui prépare les sommets et contrôle l'ensemble ; une Assemblée parlementaire consultative créée à Luxembourg il y a 30 ans par Xavier Deniau ; et une Conférence ministérielle pour assurer la continuité politique.
La Francophonie est donc une oeuvre structurée, bien qu'elle ne constitue pas une strate supranationale. Sa dynamique est horizontale et décentralisée. Le public la connaît par ses opérateurs directs :
(1) D'abord la chaîne par câble et satellite TV5 diffusée dans presque tous les pays du monde. Il fut un temps où ses émissions étaient d'un ennui redoutable car recevant les invendus de ses fondateurs. Depuis 2006, la grille a été revampée par la concurrence de France24 (la CNN française).
(2) A Paris, M. Delanoë parle quelquefois de l'Association internationale des maires francophones, qu'il préside. Le défi urbain est l'un des plus terribles de ce siècle. Rares sont les voyants à s'en inquiéter, la mode étant à l'effet de serre et à l 'extinction des papillons bleus. Or le tsunami de la Pauvreté ne naîtra pas en Amazonie mais dans ces mégalopoles devenues ingouvernables, abandonnées parfois au crime organisé. Il est tout à fait pertinent, tant la gouvernance de ces ensembles devient complexe, que les maires des villes grandes ou petites (155 à ce jour) échangent leurs expériences dans un climat de confiance. En outre profitent-ils d'une banque d'experts AIMF, même dans des questions aussi triviales que la comptabilité.
(3) L'Agence universitaire de la Francophonie est le troisième opérateur. L'AUF est le pendant « universitaire » du précédent. Cette agence qui groupe 685 institutions dans 81 pays, actionne neuf bureaux sur la planète dans des coopérations sur programmes. C'est le pari de l'avenir.
(4) Le quatrième opérateur est l'Université Senghor d'Alexandrie tournée vers l'Afrique noire. Elle délivre six masters spécialisés. Ses effectifs modestes (149 pour 2009) sont en progression, mais il reste du travail pour émerger au niveau international.
A eux tous, les Francophoniens maintiennent cette complicité universelle dans la précision du trait, la finesse d'esprit et plus généralement le goût du beau, appelant au partage tous les hommes droits épris de culture riche. Appliquons-nous à bien parler, à mieux écrire.
(ce billet a paru sous le titre « Le français : un diamant culturel » dans l'AF2000 n°2767 du 19 mars 2009 - p.16)
Le cadre éditorial ne permettait pas d'insérer certains inquiétudes subliminales du secrétaire général de l'OIF, SE Abdou Diouf dans le segment politique de sa fonction. Ce complément finit d'une certaine manière l'article du journal.
« Qui oserait affirmer, aujourd’hui, que le droit à se nourrir, à se soigner, à se former, à travailler, à être protégé par la loi, à circuler librement, en d’autres termes que le droit à vivre dans le bien-être et la dignité est, partout dans le monde, réalisé ?
Qui oserait affirmer, aujourd’hui, que la liberté de pensée, de conscience, d’opinion et d’expression, que l’égalité entre les hommes et les femmes, est, partout dans le monde, réalisée ?
Qui oserait affirmer, aujourd’hui, que la pauvreté et la guerre, la dictature et l’oppression, l’esclavage et la torture, la xénophobie et le racisme, ont été partout dans le monde, éradiqués ? » (discours du Caire, 1/12/2008)
Le propos s'inscrit explicitement dans la pérennisation du dialogue entre le Monde arabe et l'Afrique noire (CLIC sur la fin du texte). Or le ressenti de la condescendance des puissances arabes d'Afrique du nord, le guide libyen - autoproclamé roi des rois nègres - en est l'archétype, n'est pas compensé par l'éclairement de ses despotes qui se méfient de la démocratie et de l'affichage des droits de l'homme dans leurs sociétés ébullientes. C'est bien là que se brise l'utopie de la Francophonie politique derrière laquelle courent tous ses responsables comme pour meubler un cadre trop grand.
La démocratie absolue a montré sa perversité en Algérie (FIS), en Palestine (Hamas) voire même en Turquie où le parti islamique a instrumentalisé l'illettrisme rural au bénéfice du fondamentalisme. Elle fonctionne néanmoins sous un type accepté par la communauté internationale comme une pièce du répertoire No, au Maroc, en Tunisie et en Égypte, avec de sévères coups de règle sur les doigts de ceux qui se laissent emporter par la vitesse de la pente libertaire.
Les fameux droits eux-mêmes sont contestés par les pouvoirs dans la lecture qu'en font les Occidentaux. Par l'aggravation de la crise mondiale qui relance la crise alimentaire, les peuples deviennent légions qui se moquent des libertés formelles si on leur assure le ravitaillement, un toit et le minimum syndical sanitaire. Même la Chine a dit « pouce » sur les Droits au spectacle prévisible de ses cohortes immenses de désœuvrés qui pourraient marcher à la famine et lancer la révolte des nouveaux boxers.
Alors la Francophonie katholikós conçue comme une fraternité n'a-t-elle pas dérapé de bonne foi sur un agenda politique qui la dépasse ? Dans son discours de clôture de la 28° Assemblée générale des maires francophones (16/10/08), le secrétaire général soulignait ce grand défi de l'urbanisation massive de l'espèce humaine dont 3,3 milliards (sur 6) vivent maintenant en ville, et donc coupés de leur racines. On en attend 5 milliards en 2030. Est-ce par la démocratie, l'équité et les « droits à » que nous pourrons administrer ces mégalopoles, pour certaines effrayantes, en demeurant sous le joug libérateur des préceptes essentiels de notre époque moderne et déjà révolue ?
Peut-être nous satisferons-nous d'une justice universelle de base dans un schéma de survie générale, où vraisemblablement la sélection naturelle perdue sera remplacée par le tri des embryons et la destruction des "bizarres" et des "énervés".
Contre l'avènement du Monstre, il reste une civilisation à inventer. Le génie de la Francophonie est convoqué à réussir sa partie, à défaut de quoi il se figera dans les limbes de l'immortalité par le déclin des Etats, comme le disait Rivarol.
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