Quand M. Sarkozy réclame des frontières, je n'en crois pas un mot pour la simple raison que l'éloignement glissant de telles frontières lui apporte une certaine distance entre les problèmes créés et son coeur de cible politique qui est l'électorat présidentiel français. On l'a vu dans l'affaire du gaz russe, la question survenue au cours de notre présidence semestrielle a été sous-traitée aux Allemands.
Par contre quand le chancelier Merkel s'oppose à l'intégration de la Turquie, alors que la République fédérale est une manufacture turque¹ depuis les accords d'importation de labeur de 1961 (loi des Gastarbeiter), je suis tenté d'écouter.
La réticence du parti démocrate-chrétien est provoquée par l'entrisme turc, non par le biais de la réislamisation des communautés turques expatriées, mais par l'appel à la subversion du pays d'accueil fait à la Kölnarena de Cologne devant 16000 personnes le 10 février 2008 par le premier ministre Erdogan qui disait (source Diplo) : « Je peux sentir les parfums et la sensibilité d’Anatolie que vous avez apportés jusqu’ici. Partout où nous allons, nous apportons l’amour et l’amitié. Nous n’avons rien à faire avec la haine et la violence. Je comprends que vous soyez chatouilleux quand on vous parle d’assimilation, personne n’a le droit de vous imposer ça. Vous n’êtes pas ici de passage. Les cinq millions de Turcs qui vivent en Europe ne sont pas des invités (Gastarbeiter), mais une part constituante de la société européenne.» Et d'inciter les familles à pousser leurs enfants vers l'université afin que les Turcs prennent des postes de commande et conservent leur spécificité.
Le problème n'est pas tant que les Turcs prennent l'ascenseur social allemand mais qu'ils le fassent dans une optique de noyautage légal en restant indéfectiblement fidèles à leur patrie. Ce qui n'a pas échappé à Angela Merkel qui s'est fendue d'une réplique à la prussienne : « Qui possède la nationalité allemande est un citoyen sans réserve, dont la loyauté s’exerce à l’égard de l’Etat allemand. Je crois que nous devrons en discuter à nouveau avec le premier ministre turc.» C'est peut-être de ce jour que date le "niet", les projections démographiques allemandes étant extrêmement pessimistes. C'est aussi une critique de la réforme socialiste du code de nationalité opérée par son prédécesseur Shroeder et une pierre dans le jardin du ministre fédéral de l'Intérieur Schäuble qui travaille à officialiser une représentation politique des communautés turques dans le style du CFCM sarkozien.
L'Opinion allemande est sur la même longueur d'onde que l'Opinion française, c'est pourquoi M. Sarkozy est parti faire un peu de télé à Berlin. Le premier argument allemand (géographique) n'en est pas un qui masque simplement une aversion nette pour le peuple des kébabs qui grouille dans certains quartiers. L'Allemand moyen est xénophobe de construction et déteste surtout les peuplades opposées au naturalisme, au laisser-aller moral (en vacances), au nudisme² tudesque qui est une institution héritée de l'empire, à la gastronomie porcine qui est basique outre-rhin et à l'alcoolisme bon enfant de l'Oktoberfest. En fait les Turcs sont tout l'opposé des Allemands, et ne sont pas miscibles dans la "grande nation" revenue. C'est tout. Il faut dire à leur décharge que l'islamisation rampante des sociétés anglaise et française peut leur donner à réfléchir.
Cherchez d'autres motifs que ce motif élémentaire dans la presse et vous risquez de tourner en rond. En revanche, notre belle patrie d'asile et droits est le cul entre deux chaises, car nous les détesterions presque autant d'après les sondages, mais ne pouvons le dire, encore moins l'écrire dans un journal, à peine de ruiner notre réputation de conscience morale universelle sans laquelle le Monde n'aurait plus d'âme.
Qu'en dit l'Alliance Royale ?
Les Etats européens doivent reconnaître dans l’Europe un espace naturel d’intérêt commun dans lequel ils doivent exercer leur solidarité. Beaucoup d’intérêts divergent entre les différents pays européens. La Grande-Bretagne tourne sont regard vers le Commonwealth, tandis que l’Espagne est attirée par l’Amérique latine. L’Allemagne et la Grèce entretiennent avec la Turquie des relations complètement opposées. La Pologne, enclavée entre l’Allemagne et la Russie, l’Italie au cœur de la Méditerranée, ou la Norvège postée au grand large et regorgeant de pétrole, n’ont pas les mêmes intérêts. Mais l’Europe est un espace naturel, une communauté d’intérêt, dans lequel les différents pays ont avantage à collaborer, malgré de flagrantes différences.
Dans son argumentaire fondé sur les acquits communs et intitulé "L'espace naturel européen", l'Alliance place avec juste raison l'indivision civilisationnelle en quatrième position, après la proximité géographique qui aujourd'hui est secondaire (ex. DOM-TOM), la proximité des niveaux de revenus chère à Maurice Allais mais qui n'est pas réalisée en Europe occidentale. En effet, le creuset civilisationnel est le maillon faible de la stratégie anti-turque, car volens nolens les Turcs et la cavalerie arabe ont beaucoup impacté ce domaine dans leurs conquêtes européennes en forme de pince, de l'Espagne aux Balkans, sauf à déclasser la péninsule ibérique en Afrique de l'extrême nord et à mettre les Balkans en Barbarie.
In cauda, reconnaissons quand même que le Kosovo de la Chrétienté est justement cette Asie mineure que M. Sarkozy, qui séchait beaucoup de cours au lycée, exclut de notre sphère d'intérêts sans trop savoir pourquoi sur le fond ! C'est justement sans fond. Les tonnes d'arguments pour et contre s'équilibrent.
L'Alliance Royale refuse donc la Turquie à un motif assez subtil : l'image que le reste du Monde se fait de la vieille Europe n'inclut pas la Turquie qui est classée au Moyen-Orient, même si cela agace les Turcs qui ne le veulent pas ! Pour préservez une image consistante aux yeux des autres mondes, il est contre-productif d'agréger à la péninsule européenne l'Anatolie de M. Erdogan même si l'héritière de la Sublime Porte occupe encore notre bonne vieille Thrace orientale. Les Byzantins ne pouvaient imaginer l'énorme responsabilité de leur décadence.
Le coup de l'image internationale est assez rusé. Imaginez-vous Jaguar faire des camionnettes ou Petrossian mettre son caviar en pack de yaourt par 16 ?
Et bien, c'est pareil pour l'Europe occidentale : même bourrés, les noceurs ne se massacrent pas jusqu'au score de 44 morts ! C'est bien la preuve. Non ?
Clic : programme européen de l'Alliance Royale.
Note (1): l'Allemagne compte 2,5 millions de Turcs (à 20% kurdes) dont 0,5 million ont été naturalisés. Les liens économiques entre les deux pays sont très forts malgré la distance, l'Allemagne représentant 13% des importations turques et achetant 19% des exportations turques. Les flux financiers et les investissements industriels allemands en Turquie concernent environ 2700 entreprises teutonnes, certaines très grosses comme Daimler-Benz, Badische Aniline ou MAN. Les chemins de fer turcs sont de construction et technologie allemandes.
Note (2): le nudisme est né sous Guillaume II qui prisait les combats de lutte gréco-romaine de jeunes gens en slip. Ce "naturisme" est spécifique aux Allemands. Le tour-opérateur OssiUrlaub a des vols "nudistes" à son catalogue de voyages.
ADDITION du 14 mai:
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