Par égard pour les royalistes gaullistes qui suivent la politique française derrière une canne blanche, nous laisserons le "je vous ai compris" historique du balcon d'Alger aux explications filandreuses des godillots qui hantent toujours les caves, et nous évoquerons l'Algérie telle que l'ont ressentie bien des soldats débarqués. A tout seigneur, c'est Hélie de Saint-Marc qui nous dit "son" Algérie, et me fait souvenir des récits de veillée de mon adjoint méhariste au camp de Stetten am kalten Markt. L'un et l'autre ont les mêmes yeux qui détecte l'oreille d'un fennec à quinze cents mètres :
« Au fil des mois, nous avons appris à connaître l’Algérie, si tant est que l’on puisse maîtriser un jour les mystères de ce pays. Notre apprentissage fut d’abord physique.
Je me souviens du jour où nous avons croisé, dans un murmure, les premières caravanes. Le visage figé des nomades, creusé par le vent et le dénuement, marchant avec une noblesse venue du fond des âges. C’était l’Algérie du silence et de l’absolu. Les réminiscences nous accompagnaient : « Jacob fit monter ses enfants et ses femmes sur les chameaux et il emmena son troupeau ». Les nomades portaient des tuniques bleues et le chèche du désert. Les chameaux au pas lent, les chèvres aux côtes saillantes se déplaçaient comme si nous n’existions pas.
Nos opérations prolongées dans l’Algérie des montagnes nous mettaient en contact avec la pauvreté parfois moyenâgeuse des douars reculés. Dans ces régions, les colons étaient rares, l’administration lointaine, l’école absente, l’agriculture élémentaire. Les villages, écrasés par la canicule, étaient peuplés de vieillards assis contre les murs, suivant l’ombre, d’enfants mal vêtus et de femmes travaillant dur. La terre craquelée donnait un orge famélique et nourrissant mal les chèvres. Chaque été, l’espoir partait en poussière. Bien sûr, la colonisation n’était pas responsable de la pauvreté du sol, ni du climat, ni des siècles de solitude. Mais la beauté des grandes réalisations coloniales de la côte et de la Mitidja accentuait le contraste entre une Algérie privilégiée et une Algérie laissée-pour-compte.
Je découvris la capitale algéroise, qui allait si profondément marquer ma vie. La ville était entièrement dédiée au ciel et à la mer. J’aimais les chemins du haut d’Alger, parmi les cyprès, les lentisques et les oliviers. Le choc visuel était doublé d’un choc sensuel : fleurs sucrées des acacias au printemps, figuiers centenaires de l’automne, pins du gouvernement général, eucalyptus de Télemly, bouquets de bananiers, seringas et magnolias de l’été, pâtisseries luisantes d’huile et de miel des vendeurs de rue, effluves de girofle, d’anis et de café venus des échoppes ou senteurs d’huile d’olive et de poivrons grillés échappées des cuisines… A Alger, la vie avait une odeur...»
Je me souviens du jour où nous avons croisé, dans un murmure, les premières caravanes. Le visage figé des nomades, creusé par le vent et le dénuement, marchant avec une noblesse venue du fond des âges. C’était l’Algérie du silence et de l’absolu. Les réminiscences nous accompagnaient : « Jacob fit monter ses enfants et ses femmes sur les chameaux et il emmena son troupeau ». Les nomades portaient des tuniques bleues et le chèche du désert. Les chameaux au pas lent, les chèvres aux côtes saillantes se déplaçaient comme si nous n’existions pas.
Nos opérations prolongées dans l’Algérie des montagnes nous mettaient en contact avec la pauvreté parfois moyenâgeuse des douars reculés. Dans ces régions, les colons étaient rares, l’administration lointaine, l’école absente, l’agriculture élémentaire. Les villages, écrasés par la canicule, étaient peuplés de vieillards assis contre les murs, suivant l’ombre, d’enfants mal vêtus et de femmes travaillant dur. La terre craquelée donnait un orge famélique et nourrissant mal les chèvres. Chaque été, l’espoir partait en poussière. Bien sûr, la colonisation n’était pas responsable de la pauvreté du sol, ni du climat, ni des siècles de solitude. Mais la beauté des grandes réalisations coloniales de la côte et de la Mitidja accentuait le contraste entre une Algérie privilégiée et une Algérie laissée-pour-compte.
Je découvris la capitale algéroise, qui allait si profondément marquer ma vie. La ville était entièrement dédiée au ciel et à la mer. J’aimais les chemins du haut d’Alger, parmi les cyprès, les lentisques et les oliviers. Le choc visuel était doublé d’un choc sensuel : fleurs sucrées des acacias au printemps, figuiers centenaires de l’automne, pins du gouvernement général, eucalyptus de Télemly, bouquets de bananiers, seringas et magnolias de l’été, pâtisseries luisantes d’huile et de miel des vendeurs de rue, effluves de girofle, d’anis et de café venus des échoppes ou senteurs d’huile d’olive et de poivrons grillés échappées des cuisines… A Alger, la vie avait une odeur...»
On connaît la suite¹, ... le gouvernement du double langage, l'accession du cynisme au pouvoir, l'abandon programmé, puis, contre le cabrage des gens d'honneur, la logique des assassinats par la raison d'Etat, pour finir dans la frime grandiose des leçons données au Monde.
Si l'on a pas mal écrit sur la guerre en Algérie, il reste à pousser les feux sur l'histoire de cette guerre dans les cercles du pouvoir français, quand bien sûr seront levés par la grâce de Dieu miséricordieux qui les rappellera, les obstacles à l'analyse de celui que certains d'entre nous et pas des moindres prirent pour Monk.
Cinquante-et-un ans plus tard, ne me restent de ce jour précis que les nouvelles crachotantes données par radio Sottens² et un silence général en ville où, dans l'attente de la Solution, beaucoup de gens bandaient le ressort de leur enthousiasme. Trois ans plus tard, j'avais déjà acheté le seau, les brosses, la peinture, et des baskets de sprint.
Note (1): le Cdt Denoix de Saint Marc, commandant le 1er REP par interim, répondra positivement au putsch des généraux Salan, Challe, Jouhaud et Zeller le 23 avril 1961. Ce sera le 3ème putsch d'Alger et le seul qui ne fut pas gaulliste (gag!).
Note (2): Quand quelque chose d'important se passait, mon vieux rad-soc de grand père basculait sur radio Sottens et ne revenait à Paris-Inter que pour la bourse, car on ne pouvait mal entendre.
Note (3) sur image du Djurdjura : exactement à Taouriat Ali ou Nsseur, commune de Iferhounene (Willaya de Tizi-Ouzou)
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Un récit assez détaillé du "complot" est en ligne ici.
RépondreSupprimerJe partage votre sentiment rétrospectif sur l'ambiance du 13 mai, en ajoutant qu'il y avait un élan généreux parmi les Français, qui applaudissaient à l'intégration complète des 3 départements algériens dans la République française, sans trop savoir peut-être les conséquences, et sans doute non plus les conditions déplorables de la "pacification".
RépondreSupprimerBravo pour cet article interessant !
RépondreSupprimerPeut-on espérer un article sur le sous-lieutenant François d'Orléans ?
RépondreSupprimerOn pourrait faire quelque chose à la date anniversaire du 11 octobre, mais il faut réunir auparavant du matériau.
RépondreSupprimerBonne idée.