Nous sommes plus engagés par l'accord de coopération militaire franco-émirien de 1995 doublé d'un "partenariat stratégique" que par le traité de l'Atlantique Nord ou que par les accords de défense françafricains, car il s'agit en fait d'un accord de défense automatique : « Si l'Iran attaquait les Emirats, nous serions aussi attaqués !» reconnaît le porte-parole de l'Elysée, et M. Sarkozy de le confirmer avant-hier, en inaugurant la base Harpon d'Abou Dhabi : « c'est dans les coups durs qu'on reconnaît les vrais amis ».
Il est à souhaiter que le dauphin Jean de Neuilly garde près de lui son paquetage, car il n'est pas pensable que des calculs commerciaux exposent nos armées au feu des missiles iraniens sans que le pouvoir n'y mette le soupçon de patriotisme nécessaire en la personne du fils du président, comme le font les Britanniques.
Rappelons quand même que ces accords nous ont permis de vendre des Mirage 2000 que nous espérons remplacer par 60 Rafales, des hélicoptères Tigre et quatre centaines de chars Leclerc dans une configuration si avantageuse pour le client qu'elle a coulé le GIAT¹ de Roanne. Nous visions une coopération industrielle dans le nucléaire civil mais Obama nous a soufflé le marché le jour de l'Ascension (p...taing de pont !).
Le bâton merdeux (plus facile à prendre qu'à lâcher) de l'accord franco-émirien est un legs ... de Jacques Chirac, le même qui a fait constitutionnaliser le principe de précaution ! C'est son ministre dans le vent François Léotard qui en 1994 concocta le piège à dents où nous pouvions glisser le pied, dans une rédaction de cabinet, difficile à obtenir aujourd'hui ; cabinet où sévissait un certain Hervé Morin, conseiller technique des relations avec le parlement ; parlement tenu à l'écart comme il en va aujourd'hui même des conditions de rehaussement des accords émiriens antérieurs classées sujet sensible et confidentiel.
Si l'on observe l'exposition française sur le Golfe persique, on peut justifier le point d'appui aux Emirats comme participant à la sûreté de nos achats d'énergie et huilant nos exportations en tous genres, d'abord militaires ; à la réserve près que cette zone s'appelait encore il y a trente ans la "Côte des Pirates", sous domination anglaise. Il n'est à l'Arabe d'ami qu'arabe. La fraternisation d'avant-hier ne doit pas nous faire oublier que nos "frères" trafiquaient, il y a peu, dans les tapis, les blanches, l'or, les pistaches et l'opium, et que nos valeurs partagées sont en réalité très rares. Pour le huilage, ils s'y connaissent aussi.
Quant à soutenir comme le président béarnais du MoDem que « cela signifie que la France peut se trouver engagée dans un conflit sans l'avoir voulu », on objectera qu'il est bien fini le temps où nous "voulions" un conflit ! Se targuer d'une diplomatie universelle implique l'exposition à des conflits de toutes sortes. On peut aussi replier les ailes et ne promouvoir au-dehors que les pastourelles inégalées de nos vieilles provinces : pour vivre heureux, vivons cachés!
Revirement stratégique dit Bayrou ? Désaveu de la "politique chiraquienne" ? Plutôt, persistance de la politique arabe de la France, exaltée par ce même président Chirac comme l'avait expliqué en 2006 l'excellent bouquin d'Aeschimann et Boltanski.
Mais le volet bizness est plus visible aujourd'hui. Au moment où nous bombons le torse, nous aimerions que Téhéran baisse le son de ses centrifugeuses afin que Total puisse redémarrer le champ de gaz South Pars sans encourir les foudres de la Maison Blanche. Renault s'engouffrerait dans la brèche éthique pour accroître sa production iranienne de Tondar 90 (Logan rebadgée) à destination des marchés intérieur, irakien et afghan. Au nord, nous ne traitons plus le premier ministre irakien de trouduc (Kouchner, première visite à Bagdad débinant Jawad al-Maliki comme sursitaire) afin de renouer avec les coopérations sadammites interrompues par la paire infernale Bush-Cheney. S'ajoute à ce dispositif impressionnant celui du Quai d'Orsay traditionnel, bienveillance envers les Kurdes (legs de Pierre Rondot), ingérence pédagogique au Liban jusqu'au coeur du Hezbollah par le canal du général Aoun, indulgence vis à vis de la Syrie alaouite, miséricorde avec la Palestine émiettée par nos amis de toujours israéliens. Manquent à cette liste, nos amis francophiles d'Egypte et de Tunisie, en sus de nos relations spéciales avec le royaume chérifien qui a trébuché du pied gauche dans la confiance en achetant des F16 au lieu de nos Rafales, mais du pied gauche ça porte bonheur.
Ce panorama de la politique arabe de la France est un patchwork dans lequel nous ne distinguons pas d'axes structurants. Et pour cause ! Après analyse, ce désordre est justifié par l'absence de tout axe structurant dans le monde arabe, sauf une confrontation congénitale avec l'empire perse et une méfiance avérée vis à vis des héritiers de l'empire ottoman, nos deux alliés historiques (XVI° et XVII°).
Ainsi le monde arabe était-il pris jadis en tenaille dans les branches d'une pince, à l'ouest: la Sublime Porte et à l'est: la Perse. Nous avions nos entrées de longtemps quand par un heureux hasard les hégémonies autrichienne et anglaise n'en avaient pas. La liquéfaction de l'Empire ottoman dans les vapeurs des harems affaissa le niveau d'accès, ce qui provoqua l'invasion prussienne (Guillaume II) et l'expansion de l'empire britannique sur les champs de naphte, puis les accords Sykes-Picot au bénéfice de Londres.
Difficile donc de se réinsérer en situation d'influence comme autrefois, d'autant que notre loyauté a été remise en cause lors de la première guerre d'Irak (nous avons donné au Pentagone les codes des radars CSF irakiens), que notre pugnacité a été mise en doute par le refus à l'obstacle de Chirac et Villepin en 2003, et que le déploiement de nos "moyens" n'impressionnent plus grand monde s'ils le firent un jour, sur une zone envahie d'escadres. Nous sommes devenus un acteur technique, pas stratégique. Il vaudrait mieux jouer à fond la carte "expert" plutôt que celle des effusions dégoulinantes qui ne trompent plus personne, à commencer par les gens de notre protectorat libanais abandonnés aux bombardements israéliens pendant 34 jours en 2006, sous le menton vengeur de Pinarque d'Arabie, complètement gelé dans cette affaire, sans parler de la communauté copte persécutée en Egypte au motif scabreux de la grippe porcine sans que ne moufte le casher du Quai.
Aussi nos frères émiriens ne doivent-ils pas se faire trop d'idées quant au secours que nous leur apporterons en cas d'attaque frontale iranienne. Il nous faudra du temps pour mobiliser, si déjà Bayrou ne déclenche pas la grève générale des dockers de Bayonne.
Note (1): Groupement Industriel des Armements Terrestres devenu Nexter
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