jeudi 16 décembre 2010

Rue de la poste neuve

Ce billet paraît dans le journal L’Action Française 2000 daté du 16 décembre 2010. Cette livraison est augmenté d’une introduction et d'une note liant au code des Postes pour ceux qui souhaiteront creuser la question.

Avant-propos
Jusque-là établissement public industriel et commercial, La Poste devient par la loi du 9 février 2010 une société anonyme à capitaux publics, et ce, à partir du 1er mars 2010 (1). Ce changement de statut permettra un apport en fonds propres de 2,7 milliards d'euros (1,2 milliard à la charge de l'Etat, et 1,5 milliard venant de la Caisse des dépôts). L'Etat reste actionnaire majoritaire.
Outre le changement de statut de La Poste, le premier volet de cette réforme réaffirme les missions «d'intérêt général» de La Poste. A savoir le service universel postal (distribution du courrier), la contribution à l'aménagement du territoire à travers ses points de contact, le transport et la distribution de la presse, l'accessibilité bancaire, à travers le livret A. Le nombre de points de contact de La Poste sur le territoire est fixé à 17.000 au minimum. Les personnels fonctionnaires de La Poste gardent leur statut et un régime collectif obligatoire de protection sociale complémentaire sera mis en place au bénéfice des personnels.
Le deuxième volet de la réforme transpose la directive européenne sur l'ouverture totale à la concurrence du secteur postal en 2011.Le texte stipule qu'«il est garanti à tous les usagers (de) disposer de manière permanente et sur tout l'ensemble du territoire national des services postaux répondant à des normes de qualité».Il fait de La Poste «le prestataire de service universel pour une durée de quinze ans». Pour financer ce service universel, un «fonds de compensation» est alimenté par l'ensemble des opérateurs postaux, au prorata de leur chiffre d'affaires.


Dans une quinzaine de jours, La Poste affrontera les concurrents de tout son marché, celui du portage des biens et des idées. Si le transport des colis et plis de plus de 50 grammes était déjà hors-monopole par transposition de la directive européenne du 15 décembre 1997, l'ouverture définitive à la concurrence du courrier dès le début de 2011 laissera dorénavant toute lettre portable par quiconque. Qu'importe ! La mise à niveau des formules d'expédition de la Poste française est spectaculaire. L'usager est devenu un client. Par contre s’il reste un défi technique qui laisse perplexes les utilisateurs il faut le situer dans le système de l'Union Postale Universelle, qui transforme les prestations nationales en prestations internationales, mettant en jeu d'autres Postes parfois moins à la page. La Chine par exemple ne renvoie toujours pas d'accusé de réception de lettre recommandée, par contre elle perd rarement du courrier. Certains pays sont réputés pour « trier » le tri, etc.
Les intégrateurs privés(2) n'ont pas cet aléa des sas étrangers. Ils traitent plis et colis de bout en bout au sein de leur propre système, sur leurs propres avions, avec un seul logiciel mondial. Mais notre Poste, assise sur un minimum de dix sept mille guichets d'après la loi de banalisation du 9 février 2010(3), tiendra son rang. Elle a une tradition d'organisation complexe du même niveau technologique que ses concurrents, et la compétence de ses agents a fait des progrès visibles. Tout ira pour le mieux si l'inquiétude syndicale se tasse, et c'est peut-être beaucoup demander car le vrai défi n'est pas tout au niveau technique.

La Poste a un supplément d'âme que n'aura jamais aucun intégrateur. De toujours, elle fut la manifestation la plus évidente d’un Etat serviable au plus près du citoyen, la fonction noble des postiers. Les petites gens vont souvent au bureau de poste pour expédier du courrier, retirer un mandat, faire une opération sur leur CCP. En zone rurale, bien des conseils s’échangent au guichet, le guichetier ayant encore l’aura du fonctionnaire recruté sur concours difficile comprenant une épreuve de géographie ! Et nous ne parlerons pas de la fonction sociale du facteur en tournée qui ressemble souvent au veilleur de jour. Les « comptables » s'interrogent justement sur la rentabilité de l'âme, d'autant que six mille guichets seulement sur dix-sept mille sont déclarés rentables, et que la tentation sera forte de lisser les déficits dans les régions les moins actives. Pour répondre à la directive européenne il suffirait de neuf mille bureaux !
La menace la moins hypothétique vient tout bonnement du marché lui-même. Les voies modernes de télécommunications ont emporté les idées depuis longtemps. Dans le trafic de masse ne restent que les colis et une publicité envahissante. La Poste de Louis XI ne peut pas lutter contre les e-mails, les SMS, les tweets. La correspondance professionnelle est depuis longtemps électronique et les signatures ont une garantie légale. L’Administration marche d’un bon pas vers la dématérialisation des procédures déclaratives et de recouvrements. Les établissements financiers font pareil, on règle en ligne par virement. Le papier recule, nos forêts croissent. Il est à parier que les plis de correspondance se feront plus rares et que le prix du port augmentera corrélativement, ce qui aggravera le déséquilibre de ce segment des plis ordinaires.
En revanche, la dispersion de l’habitat, telle qu’elle est envisagée par les projections démographiques de l'INSEE, va impulser le transport de biens (petits paquets et colis) qu’il sera plus facile de recevoir chez soi plutôt que d’aller les chercher en zone commerciale distante. Déjà, une fraction mesurable de consommateurs achète sur Internet et aucun secteur industriel n’est dédaigné. Or tous ces biens doivent être livrés physiquement. Les intégrateurs sont sur ce segment du petit paquet depuis le débridage du monopole et ont ouvert des sections nationales et intra-européennes qui travaillent à haute vitesse. La Poste développe elle-aussi le portage rapide (avec un suivi en temps réel par code-barre) au moyen de ses systèmes colissimo, affranchissables en ligne à des prix abordables. Les lecteurs sont invités à consulter la nouvelle gamme de services colis soit au bureau de poste, soit en ligne. Ils seront le plus souvent étonnés par la mutation technologique opérée par la vieille maison.
L’avenir de la poste française est prometteur même si les segments d’activité traditionnels sont modifiés, à charge pour ses agents et sa direction de répondre aux défis économiques tels des professionnels aguerris, en s’adaptant en continu à la modernisation impliquée par le progrès des nouvelles technologies de l’information et de la communication. La question ressortit donc au domaine des relations humaines dans une culture d’entreprise privée. Libéralisme quand tu nous tiens.
Notes
(1) La Poste est régie par le Code des postes et des communications électroniques (clic) qui est amendé au fil des lois votées par le parlement. La prochaine version sera celle du 31 décembre 2010 qui actera la mutation.
(2) : les intégrateurs les plus connus en France sont UPS (United Parcel Service – Seattle 1907), TNT (Thomas Nationwide Transport – Redfern (Australie) 1946), DHL (Dalsey, Hillblom & Lynn – San Francisco 1969), FedEx (Federal Express – Memphis 1971), France Express (1971), Chronopost (ex-Touraine Air Transport 1985, aujourd’hui Géopost) et un groupement d’indépendants Exapaq (1995) appartenant à la filiale colis de La Poste, Géopost.
(3) : la loi votée définitivement le 12 janvier 2010 sécurise le réseau et organise les relations de proximité du service postal avec les collectivités territoriales. Elle encadre aussi la capitalisation de la société anonyme. L’art. 2 est déterminant : « La Poste et ses filiales constituent un groupe public qui remplit des missions de service public et d’intérêt général et exerce d’autres activités dans les conditions définies par la présente loi et par les textes qui régissent chacun de ses domaines d’activité. Les réseaux postaux ont une dimension territoriale et sociale importante qui permet l’accès universel à des services locaux essentiels ».

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