La campagne présidentielle fait rage pour le bien de tous parce que, nous dit-on, l'exercice démocratique du débat ne peut que l'élever (?!). Il suffit de suivre les émissions en plateaux pour s'en convaincre. La vision de la France y domine-telle ? Le rude combat de l'intérêt général contre les "entranchements" de tous ordres est-il perdu d'avance par le clientélisme essentiel à la procédure électorale ? Un parti doit battre l'autre, et ne peut qu'élargir sa zone de chalandise pour tous procédés de la mercatique. Donc il faut répondre adroitement aux inquiétudes une par une, sans dévoiler les incompatibilités au moment des promesses. Pour la suite, on verra ! Malheur aux piétons non fédérés gouvernés comme on canalise des rivières, en vrac ! On traite par grandes masses, mais qu'est-ce donc au fond que l'intérêt général ? Ça se touche du doigt ?
Pour dire vrai, la locution est un peu idiote, le seul intérêt qui prévale aux yeux de chacun est le sien propre, et ne peut être "général" sauf dans le monde des robots ou des lemmings. En revanche on comprend très bien le "bien commun". Et dans sa matérialité, et dans sa spiritualité. Le premier vient de loin, pensons au four banal de nos villages, à la vaine pâture des prés communaux, aux biens collectifs ; quand le second, le Bien, chacun le sait opposé au Mal et le définit souvent contre celui-ci. Mais le "bien - commun" est un peu plus compliqué. C'est Monsieur Cosseron de Villenoisy qui s'y colle et nous publions ici son analyse, parce qu'elle est cohérente et fouillée. Les titres de chapitre sont d'origine ; les intertitres en caractères "arial" sont de Royal-Artillerie.
Pour dire vrai, la locution est un peu idiote, le seul intérêt qui prévale aux yeux de chacun est le sien propre, et ne peut être "général" sauf dans le monde des robots ou des lemmings. En revanche on comprend très bien le "bien commun". Et dans sa matérialité, et dans sa spiritualité. Le premier vient de loin, pensons au four banal de nos villages, à la vaine pâture des prés communaux, aux biens collectifs ; quand le second, le Bien, chacun le sait opposé au Mal et le définit souvent contre celui-ci. Mais le "bien - commun" est un peu plus compliqué. C'est Monsieur Cosseron de Villenoisy qui s'y colle et nous publions ici son analyse, parce qu'elle est cohérente et fouillée. Les titres de chapitre sont d'origine ; les intertitres en caractères "arial" sont de Royal-Artillerie.
LE BIEN COMMUN
par Patrick de Villenoisy
par Patrick de Villenoisy
I.- Que doit-on entendre par "bien commun" ?
uelle définition générale peut-on avancer pour cette expression : on peut dire qu'il s'agit d'un bien qui n'est le propre de personne en particulier.
N'oublions pas que le mot bien a deux sens : l'un sert à désigner la possession d'un objet extérieur et l'autre la participation aux plus hautes valeurs de l'esprit. Le plus grand bienfait d'une vraie civilisation est de mettre le premier au service du second, autrement dit de faire en sorte que le bien (au sens de propriété matérielle) favorise l'épanouissement du bien au sens de vertu et de bonheur ...
Pour Yves-Marie Adeline, l'institution, ce qui est établi en-soi, hissé au-dessus de nos têtes, est un véritable bien commun.
Ceci revient à dire que, dans l'établissement des critères permettant de légitimer le pouvoir, le plus sage des philosophes comprend que sa raison, fût-elle brillante, ne suffit pas : l'exercice demandé outrepasse ses forces. L'institution, le bien commun exige, pour le profit de tous, une abdication préalable de toutes les volontés particulières, une abdication collective. La "volonté générale", qu'on l'entende au sens rousseauiste ou non, n'existe pas, ni dans l'espace et encore moins dans le temps : il faut des assurances plus fortes, de même que la morale la plus solide n'est pas celle que l'on prétend créer, mais celle devant laquelle on s'incline.
En d'autres termes, pour notre auteur préféré (ndlr: YMA), le bien commun ne peut se dégager d'un consensus, ce consensus que recherche la constitution au sens de constituer, cum statuere, établir ensemble, et qui prétend atteindre son idéal dès lors qu'on y serait parvenu (au consensus).
Pour saint Thomas, la société est une exigence de la nature humaine car l'homme est un être moral, raisonnable, religieux et social ; or pour vivre en société, il faut une autorité supérieure commandant à chaque membre de la société en vue du bien commun ; donc l'autorité est une exigence de la nature car la fin (la société) ne peut exister sans le moyen (l'autorité) ; la nature et ses exigences ayant été créées par Dieu, l'autorité procède de Dieu.
Il est donc évident que tout pouvoir est divin, non seulement par rapport à son origine, mais encore par rapport à ses fonctions. Dans l'Ecriture sainte, dit Suarez², "les rois de la terre sont appelés Ministres de Dieu. Donc ils n'ont qu'une autorité purement ministérielle par rapport à Dieu; et par conséquent encore, l'auteur premier de tout régime politique est Dieu".
Il faut avoir toujours à l'esprit une vérité essentielle : le pouvoir est une chose naturelle qui existe nécessairement, et indépendamment de toute théorie ; les hommes n'ont jamais eu à se réunir pour signer un contrat social et créer de toutes pièces un pouvoir qui n'aurait pas existé avant eux, car l'existence même des hommes suppose qu'ils soient nés et qu'ils aient grandi sous un pouvoir tutélaire - au minimum le pouvoir paternel. L'absence de pouvoir, l'an-archie au sens propre du terme, signifie la mort ; nulle famille, nul individu ne peuvent subsister dans un état d'anarchie durable.
Puisqu'il est évident que le pouvoir a toujours existé et qu'il existera tant qu'il y aura des hommes, cela signifie que le pouvoir n'est pas un accident de l'histoire, mais bien une nécessité de l'ordre naturel, voulue comme telle par Dieu qui est l'auteur de la nature; cela signifie également que la forme du pouvoir ne se construit pas dans l'abstrait, ni ne se déduit de la spéculation rationnelle, mais bien de l'observation du réel, donc de l'expérience et de la vie.
Un pouvoir qui serait issu d'un contrat social serait un phénomène anti-naturel; ce n'est pas ainsi que s'établissent les sociétés. En revanche c'est ainsi qu'elles se détruisent, car une société traditionnelle peut se détruire par une révolte contre le pouvoir légitime qui la régissait. Lorsque la révolte réussit, alors s'opère une Révolution qui va renverser l'ordre naturel des principes et des choses, en mettant en bas ce qui était en haut, et vice-versa. Il en sort une nouvelle société qui repose non plus sur l'ordre naturel, non plus sur la volonté de Dieu, mais sur une hérésie, une idéologie, une utopie - toutes choses purement humaines ! Le pouvoir n'est plus alors le résultat d'un processus naturel guidé par l'action de la Providence, mais le produit de la volonté des hommes. La société ne cesse pas d'exister, mais elle cesse de fonctionner pour le bien commun; elle va fonctionner pour le succès de la secte, ou de l'idéologie, qui s'est emparée du pouvoir, et naturellement pour le plus grand profit de l'oligarchie qui ne manque pas de se constituer à la faveur de toute révolution.
Le bien commun contient la patrie et dans les propos tant d'Aristote que de saint Thomas³, le bien commun est la cité :
On peut se poser la question en effet de savoir ce qu'est le sentiment national ? Cherchant à définir la nationalité française, Gaston Paris⁴ écrivait : "C'est l'amour que vous trouverez au fond de toute nationalité réelle. Ceux-là seuls sont frères et membres d'un même corps qui aiment quelque chose en commun". Comment pouvaient-ils se sentir une âme commune ? N'était-ce pas dans le culte de la royauté en tant qu'institution religieuse, en tant qu'image du Christ incarnant un idéal de justice et de paix ?
Pour Gustave Thibon⁵, "dans l'ordre social, l'équilibre ne suffit jamais à produire l'harmonie. Mais en revanche, l'harmonie suffit toujours à établir l'équilibre, car alors les individus et les groupes, au lieu de s'affronter dans un individualisme stérile, conjuguent leurs forces dans la recherche et au service du bien commun".
Considérée philosophiquement, la société est l'harmonie des volontés dirigées vers un même but : l'amélioration de l'homme et de sa condition sur la terre. La société suppose donc unité et variété : unité dans le but et l'ensemble, variété dans les éléments. Les hommes sont ces éléments. Aussi le problème le plus général de l'art de la politique est-il celui-ci : Comment peut-on donner à la société la plus grande unité possible en laissant, pour le bien, à chacun de ses membres la plus grande liberté ? Toutes les questions peuvent être ramenées à celle-là.
L'enseignement du Pape Léon XIII⁶ est clair sur l'unité et la variété de la société : "De même que la parfaite constitution du corps humain résulte de l'union et de l'assemblage des membres qui n'ont ni les mêmes forces ni les mêmes fonctions, mais dont l'heureuse association et le concours harmonieux donnent à tout l'organisme sa beauté plastique, sa force et son aptitude à rendre les services nécessaires, de même, au sein de la société humaine, se trouve une variété presque infinie de parties dissemblables. Si elles étaient toutes égales entre elles et libres d'agir à leur guise, chacune pour son compte, rien ne serait plus difforme qu'une telle société. Si, au contraire, par une sage hiérarchie des mérites, des goûts, des aptitudes, chacune d'elles concourt au bien commun, vous voyez se dresser devant vous l'image d'une société bien ordonnée et conforme à la nature".
C'est un fait : jamais peut-être, d'une classe à l'autre de la société ou entre les hommes de niveau culturel différent, on avait observé tant de distance et si peu d'échanges. L'influence humaine, positive des élites sur le peuple, est maintenant voisine du néant. On avait cru pourtant - et ce fut un des mythes majeurs du XIXème siècle - que la fraternité, la communion symphonique des hommes naîtrait du relâchement de l'esprit de classe et, à la limite, de la suppression des barrières sociales. Mais ce qui arrive n'est paradoxal qu'en apparence. La confusion n'unit pas, elle sépare : elle crée entre les éléments confondus des oppositions irréductibles. Toute réciprocité d'influence implique une solide diversité de nature et de position. C'est dans les sociétés fortement diversifiées et hiérarchisées où le passage d'un étage à l'autre est très difficile, voire impossible, que s'établissent, entre les membres de ces hiérarchies, les échanges les plus féconds et les plus durables : qu'on songe à l'influence séculaire de la monarchie, de la noblesse ou des castes sacerdotales sur le peuple... Dans de telles formations politiques, chacun, en raison même de la stabilité, de la "fatalité" de sa situation, est entièrement disponible pour travailler au bien commun. Les classes d'en haut ont les mains libres pour donner et celles d'en bas pour recevoir, et les échanges sont d'autant plus profonds que le fossé entre les divers milieux est plus difficile à franchir.
Montesquieu⁷ avait énoncé ce principe selon lequel "les bonnes institutions sont celles qui conduisent les intérêts particuliers à servir nécessairement le bien commun en poursuivant le leur propre".
N'oublions pas que le mot bien a deux sens : l'un sert à désigner la possession d'un objet extérieur et l'autre la participation aux plus hautes valeurs de l'esprit. Le plus grand bienfait d'une vraie civilisation est de mettre le premier au service du second, autrement dit de faire en sorte que le bien (au sens de propriété matérielle) favorise l'épanouissement du bien au sens de vertu et de bonheur ...
Pour Yves-Marie Adeline, l'institution, ce qui est établi en-soi, hissé au-dessus de nos têtes, est un véritable bien commun.
Ceci revient à dire que, dans l'établissement des critères permettant de légitimer le pouvoir, le plus sage des philosophes comprend que sa raison, fût-elle brillante, ne suffit pas : l'exercice demandé outrepasse ses forces. L'institution, le bien commun exige, pour le profit de tous, une abdication préalable de toutes les volontés particulières, une abdication collective. La "volonté générale", qu'on l'entende au sens rousseauiste ou non, n'existe pas, ni dans l'espace et encore moins dans le temps : il faut des assurances plus fortes, de même que la morale la plus solide n'est pas celle que l'on prétend créer, mais celle devant laquelle on s'incline.
En d'autres termes, pour notre auteur préféré (ndlr: YMA), le bien commun ne peut se dégager d'un consensus, ce consensus que recherche la constitution au sens de constituer, cum statuere, établir ensemble, et qui prétend atteindre son idéal dès lors qu'on y serait parvenu (au consensus).
Pour saint Thomas, la société est une exigence de la nature humaine car l'homme est un être moral, raisonnable, religieux et social ; or pour vivre en société, il faut une autorité supérieure commandant à chaque membre de la société en vue du bien commun ; donc l'autorité est une exigence de la nature car la fin (la société) ne peut exister sans le moyen (l'autorité) ; la nature et ses exigences ayant été créées par Dieu, l'autorité procède de Dieu.
Il est donc évident que tout pouvoir est divin, non seulement par rapport à son origine, mais encore par rapport à ses fonctions. Dans l'Ecriture sainte, dit Suarez², "les rois de la terre sont appelés Ministres de Dieu. Donc ils n'ont qu'une autorité purement ministérielle par rapport à Dieu; et par conséquent encore, l'auteur premier de tout régime politique est Dieu".
Il faut avoir toujours à l'esprit une vérité essentielle : le pouvoir est une chose naturelle qui existe nécessairement, et indépendamment de toute théorie ; les hommes n'ont jamais eu à se réunir pour signer un contrat social et créer de toutes pièces un pouvoir qui n'aurait pas existé avant eux, car l'existence même des hommes suppose qu'ils soient nés et qu'ils aient grandi sous un pouvoir tutélaire - au minimum le pouvoir paternel. L'absence de pouvoir, l'an-archie au sens propre du terme, signifie la mort ; nulle famille, nul individu ne peuvent subsister dans un état d'anarchie durable.
Puisqu'il est évident que le pouvoir a toujours existé et qu'il existera tant qu'il y aura des hommes, cela signifie que le pouvoir n'est pas un accident de l'histoire, mais bien une nécessité de l'ordre naturel, voulue comme telle par Dieu qui est l'auteur de la nature; cela signifie également que la forme du pouvoir ne se construit pas dans l'abstrait, ni ne se déduit de la spéculation rationnelle, mais bien de l'observation du réel, donc de l'expérience et de la vie.
Un pouvoir qui serait issu d'un contrat social serait un phénomène anti-naturel; ce n'est pas ainsi que s'établissent les sociétés. En revanche c'est ainsi qu'elles se détruisent, car une société traditionnelle peut se détruire par une révolte contre le pouvoir légitime qui la régissait. Lorsque la révolte réussit, alors s'opère une Révolution qui va renverser l'ordre naturel des principes et des choses, en mettant en bas ce qui était en haut, et vice-versa. Il en sort une nouvelle société qui repose non plus sur l'ordre naturel, non plus sur la volonté de Dieu, mais sur une hérésie, une idéologie, une utopie - toutes choses purement humaines ! Le pouvoir n'est plus alors le résultat d'un processus naturel guidé par l'action de la Providence, mais le produit de la volonté des hommes. La société ne cesse pas d'exister, mais elle cesse de fonctionner pour le bien commun; elle va fonctionner pour le succès de la secte, ou de l'idéologie, qui s'est emparée du pouvoir, et naturellement pour le plus grand profit de l'oligarchie qui ne manque pas de se constituer à la faveur de toute révolution.
Le bien commun contient la patrie et dans les propos tant d'Aristote que de saint Thomas³, le bien commun est la cité :
« La Cité, c'est le bien commun même et inversement, ce bien commun n'est pas la condition de biens multiples et essentiels à l'homme, mais il en est la cause, et ces biens multiples et essentiels que sont la culture, la civilisation, les lois ainsi que les mille et un facteurs d'union, en sont les effets »
Pour Gustave Thibon⁵, "dans l'ordre social, l'équilibre ne suffit jamais à produire l'harmonie. Mais en revanche, l'harmonie suffit toujours à établir l'équilibre, car alors les individus et les groupes, au lieu de s'affronter dans un individualisme stérile, conjuguent leurs forces dans la recherche et au service du bien commun".
Considérée philosophiquement, la société est l'harmonie des volontés dirigées vers un même but : l'amélioration de l'homme et de sa condition sur la terre. La société suppose donc unité et variété : unité dans le but et l'ensemble, variété dans les éléments. Les hommes sont ces éléments. Aussi le problème le plus général de l'art de la politique est-il celui-ci : Comment peut-on donner à la société la plus grande unité possible en laissant, pour le bien, à chacun de ses membres la plus grande liberté ? Toutes les questions peuvent être ramenées à celle-là.
L'enseignement du Pape Léon XIII⁶ est clair sur l'unité et la variété de la société : "De même que la parfaite constitution du corps humain résulte de l'union et de l'assemblage des membres qui n'ont ni les mêmes forces ni les mêmes fonctions, mais dont l'heureuse association et le concours harmonieux donnent à tout l'organisme sa beauté plastique, sa force et son aptitude à rendre les services nécessaires, de même, au sein de la société humaine, se trouve une variété presque infinie de parties dissemblables. Si elles étaient toutes égales entre elles et libres d'agir à leur guise, chacune pour son compte, rien ne serait plus difforme qu'une telle société. Si, au contraire, par une sage hiérarchie des mérites, des goûts, des aptitudes, chacune d'elles concourt au bien commun, vous voyez se dresser devant vous l'image d'une société bien ordonnée et conforme à la nature".
C'est un fait : jamais peut-être, d'une classe à l'autre de la société ou entre les hommes de niveau culturel différent, on avait observé tant de distance et si peu d'échanges. L'influence humaine, positive des élites sur le peuple, est maintenant voisine du néant. On avait cru pourtant - et ce fut un des mythes majeurs du XIXème siècle - que la fraternité, la communion symphonique des hommes naîtrait du relâchement de l'esprit de classe et, à la limite, de la suppression des barrières sociales. Mais ce qui arrive n'est paradoxal qu'en apparence. La confusion n'unit pas, elle sépare : elle crée entre les éléments confondus des oppositions irréductibles. Toute réciprocité d'influence implique une solide diversité de nature et de position. C'est dans les sociétés fortement diversifiées et hiérarchisées où le passage d'un étage à l'autre est très difficile, voire impossible, que s'établissent, entre les membres de ces hiérarchies, les échanges les plus féconds et les plus durables : qu'on songe à l'influence séculaire de la monarchie, de la noblesse ou des castes sacerdotales sur le peuple... Dans de telles formations politiques, chacun, en raison même de la stabilité, de la "fatalité" de sa situation, est entièrement disponible pour travailler au bien commun. Les classes d'en haut ont les mains libres pour donner et celles d'en bas pour recevoir, et les échanges sont d'autant plus profonds que le fossé entre les divers milieux est plus difficile à franchir.
Montesquieu⁷ avait énoncé ce principe selon lequel "les bonnes institutions sont celles qui conduisent les intérêts particuliers à servir nécessairement le bien commun en poursuivant le leur propre".
II.- Le mythe de l'homme bon est opposé au bien commun
Où il est dit que le Bon Sauvage est d'abord le dormeur de la jongle si la cueillette est facile, chargé en usine des cinq péchés capitaux et génétiquement mendiant. Seul l'intérêt personnel déclenche son concours à la collectivité.
(auteurs cités: Rousseau, Montesquieu, Maurras, Piou)
es hommes dans leur méfiance, ont cru que le christianisme était faux. Ils ont dit : l'homme naît bon ; ils ont dit : il est ici bas pour jouir ; ils ont dit : la richesse est toute faite ; ils ont dit : tous ont un égal droit ; ils ont dit : il faut l'égalité des salaires ; et l'on ouvrit les ateliers nationaux.
Et qu'a fait l'homme bon ? il a fait comme le sauvage, il s'est couché, déclarant que c'est à la société de le nourrir. Si la méthode avait été générale, le pain manquant, il eût fallu, comme dans l'antiquité, forcer les bras au travail. Eh! nous y voilà donc.... Ou le christianisme, ou l'esclavage.
Le socialisme suppose une immaculée conception de l'homme.
Si Jean-Jacques Rousseau⁸ avait raison ; si l'homme était naturellement bon; si l'envie du bien d'autrui, ou de sa supériorité, n'habitait pas, dès sa tendre enfance, sa pensée ; si la paresse, sous l'euphémisme de loi du moindre effort, ne freinait pas d'ordinaire son activité ; si aucune convoitise, aucune violence, aucun désir de nuire à son prochain ne se trouvaient en germe dans son cœur ; alors, évidemment, on pourrait imaginer une Société reposant sur le principe du collectivisme, autrement dit sur la mise en commun des efforts de chacun et sur la distribution des richesses créées par le travail de tous, entre chaque membre de la communauté, selon ses besoins.
Malheureusement, l'homme n'est pas né sans tache. Tous les péchés capitaux sommeillent en lui, et justement tout l'art des meneurs de peuples consiste à faire concourir au bien commun les défauts mêmes de l'humanité, comme un habile navigateur sait utiliser les vents contraires pour aller de l'avant. Si l'homme est certain d'avoir ses besoins essentiels assurés par la collectivité, quelle que soit sa propre activité, il se laissera aller à sa nonchalance naturelle, et la paresse de chacun engendrera vite la misère de tous. Mais si vous mettez en jeu son égoïsme inné en promettant à l'effort accru une rétribution supplémentaire, la perspective de pouvoir satisfaire des convoitises nouvelles forcera au labeur son indolence native. Etre intéressé est, certes, un vilain défaut; mais c'est un défaut que l'on peut faire servir à l'amélioration des conditions de vie d'un individu, d'une famille, voire d'une société.
Oui, nous le reconnaissons, le modèle chrétien de société que nous prônons n'est parfait qu'en théorie mais dans la pratique cette société faite d'hommes imparfaits présente inévitablement des défauts. Mais il ne faut pas pour autant tirer parti des lacunes de l'ordre établi pour contester et pour renverser les fondements mêmes de cet ordre, c'est-à-dire les valeurs traditionnelles de notre civilisation : la famille, la propriété privée et les communautés naturelles, la patrie, la religion, etc... en un mot, tout ce qui concourt au bien commun et qu'en général on renverse, pour ne les remplacer par rien ou plutôt par des systèmes qui introduisent le désordre dans ce qui était les fondements de l'ordre établi lui même. Ce travers de la critique on le rencontre souvent chez des gens instruits et intelligents, voire chez certaines personnes exceptionnelles, mais je n'admets pas que l'homme exceptionnel fasse la guerre à la règle - au lieu de comprendre que c'est le maintien de la règle qui conditionne l'exception... la haine de la médiocrité est indigne d'un philosophe ou d'un aristocrate, elle met presque en question son droit à la philosophie ou à l'aristocratie. C'est précisément parce qu'il est l'exception qu'il doit prendre la règle sous sa protection. C'est une des tares du monde moderne que de prétendre faire un usage de ce qui ne peut être qu'une exception, et en voulant généraliser ce qui est au-dessus de la règle, de tomber au-dessous de la règle.
Montesquieu⁷ disait "la tyrannie d'un prince ne met pas un Etat plus près de sa ruine, que l'indifférence pour le bien commun n'y met une république".
Mais ce serait une grande erreur de penser que les contingences, comme on dit, s'accommoderaient plus aisément d'un principe lâche et flottant : bien au contraire, toute indécision des principes complique l'étude des faits aussi bien que leurs traitements ; l'incertitude se trouve ainsi introduite au seul point d'où pourrait venir un peu de lumière, aux complexités de la terre se seront ajoutées les ombres du ciel.
Maurras ne disait-il pas : "Servir, j'écris avec plaisir ce mot". Il faut qu'un homme politique "serve". Non sa fortune, non le caprice des électeurs, non même leurs intérêts, mais le salut public.
Il faut reconstruire, sur des bases saines, la société qui est actuellement détruite. La royauté est la seule réponse car le temps n'est plus aux demi-mesures dès lors qu'on a bien compris que ce sont les institutions qui sont mauvaises et qu'il faut réformer. Il n'est plus temps de recourir au moindre mal dont Jacques Piou¹² disait : "le moindre mal, nous en mourrons ! le moindre mal peut être le pire des maux. Le pire des maux c'est l'effacement, l'abdication, la complaisance pour les méchants. Il y a quelque chose de pire que le reniement déclaré, c'est l'abandon souriant des principes, c'est le lent glissement avec des airs de fidélité".
Et qu'a fait l'homme bon ? il a fait comme le sauvage, il s'est couché, déclarant que c'est à la société de le nourrir. Si la méthode avait été générale, le pain manquant, il eût fallu, comme dans l'antiquité, forcer les bras au travail. Eh! nous y voilà donc.... Ou le christianisme, ou l'esclavage.
Le socialisme suppose une immaculée conception de l'homme.
Si Jean-Jacques Rousseau⁸ avait raison ; si l'homme était naturellement bon; si l'envie du bien d'autrui, ou de sa supériorité, n'habitait pas, dès sa tendre enfance, sa pensée ; si la paresse, sous l'euphémisme de loi du moindre effort, ne freinait pas d'ordinaire son activité ; si aucune convoitise, aucune violence, aucun désir de nuire à son prochain ne se trouvaient en germe dans son cœur ; alors, évidemment, on pourrait imaginer une Société reposant sur le principe du collectivisme, autrement dit sur la mise en commun des efforts de chacun et sur la distribution des richesses créées par le travail de tous, entre chaque membre de la communauté, selon ses besoins.
Malheureusement, l'homme n'est pas né sans tache. Tous les péchés capitaux sommeillent en lui, et justement tout l'art des meneurs de peuples consiste à faire concourir au bien commun les défauts mêmes de l'humanité, comme un habile navigateur sait utiliser les vents contraires pour aller de l'avant. Si l'homme est certain d'avoir ses besoins essentiels assurés par la collectivité, quelle que soit sa propre activité, il se laissera aller à sa nonchalance naturelle, et la paresse de chacun engendrera vite la misère de tous. Mais si vous mettez en jeu son égoïsme inné en promettant à l'effort accru une rétribution supplémentaire, la perspective de pouvoir satisfaire des convoitises nouvelles forcera au labeur son indolence native. Etre intéressé est, certes, un vilain défaut; mais c'est un défaut que l'on peut faire servir à l'amélioration des conditions de vie d'un individu, d'une famille, voire d'une société.
Oui, nous le reconnaissons, le modèle chrétien de société que nous prônons n'est parfait qu'en théorie mais dans la pratique cette société faite d'hommes imparfaits présente inévitablement des défauts. Mais il ne faut pas pour autant tirer parti des lacunes de l'ordre établi pour contester et pour renverser les fondements mêmes de cet ordre, c'est-à-dire les valeurs traditionnelles de notre civilisation : la famille, la propriété privée et les communautés naturelles, la patrie, la religion, etc... en un mot, tout ce qui concourt au bien commun et qu'en général on renverse, pour ne les remplacer par rien ou plutôt par des systèmes qui introduisent le désordre dans ce qui était les fondements de l'ordre établi lui même. Ce travers de la critique on le rencontre souvent chez des gens instruits et intelligents, voire chez certaines personnes exceptionnelles, mais je n'admets pas que l'homme exceptionnel fasse la guerre à la règle - au lieu de comprendre que c'est le maintien de la règle qui conditionne l'exception... la haine de la médiocrité est indigne d'un philosophe ou d'un aristocrate, elle met presque en question son droit à la philosophie ou à l'aristocratie. C'est précisément parce qu'il est l'exception qu'il doit prendre la règle sous sa protection. C'est une des tares du monde moderne que de prétendre faire un usage de ce qui ne peut être qu'une exception, et en voulant généraliser ce qui est au-dessus de la règle, de tomber au-dessous de la règle.
Montesquieu⁷ disait "la tyrannie d'un prince ne met pas un Etat plus près de sa ruine, que l'indifférence pour le bien commun n'y met une république".
Mais ce serait une grande erreur de penser que les contingences, comme on dit, s'accommoderaient plus aisément d'un principe lâche et flottant : bien au contraire, toute indécision des principes complique l'étude des faits aussi bien que leurs traitements ; l'incertitude se trouve ainsi introduite au seul point d'où pourrait venir un peu de lumière, aux complexités de la terre se seront ajoutées les ombres du ciel.
Maurras ne disait-il pas : "Servir, j'écris avec plaisir ce mot". Il faut qu'un homme politique "serve". Non sa fortune, non le caprice des électeurs, non même leurs intérêts, mais le salut public.
Il faut reconstruire, sur des bases saines, la société qui est actuellement détruite. La royauté est la seule réponse car le temps n'est plus aux demi-mesures dès lors qu'on a bien compris que ce sont les institutions qui sont mauvaises et qu'il faut réformer. Il n'est plus temps de recourir au moindre mal dont Jacques Piou¹² disait : "le moindre mal, nous en mourrons ! le moindre mal peut être le pire des maux. Le pire des maux c'est l'effacement, l'abdication, la complaisance pour les méchants. Il y a quelque chose de pire que le reniement déclaré, c'est l'abandon souriant des principes, c'est le lent glissement avec des airs de fidélité".
III.- La défense du bien commun
Noblesse oblige car le fruit des talents reçus sera pesé à la fin de l'histoire. Les émigrés de l'intérieur sont coupables de laisser croître par désenchantement les égoïsmes particuliers qui, comme flocons de neige tombant sur la montagne, finissent en avalanche qui emporte tout.
(auteurs cités: Chartier, saint Thomas, Pie XII, Horace)
our Alain Chartier⁹, "après le lien de la foi catholique, Nature ne nous a pas imposé d'obligation qui prime celle de travailler au salut commun (au bien commun) de notre pays natal. Ils sont dénaturés ceux qui ne mettent pas toutes leurs forces au service du bien commun".
Il rejoint ainsi Dr-Angélique puisqu'on lit sous la plume de saint Thomas³ que "selon l'inclination naturelle et selon la vertu politique, le bon citoyen s'expose au péril de mort pour le bien commun".
Mais c'est surtout dans l'enseignement des papes et tout particulièrement dans celui de Pie XII¹⁰ que l'on trouve les plus beaux passages sur ce sujet : "Un dévouement spécial au bien commun - notamment à ce qu'il a de plus précieux, l'empreinte chrétienne de la civilisation - est en effet indispensable pour attribuer quelque éclat noble à une élite."
Le Pape ne désire donc pas que la noblesse disparaisse du contexte social, profondément transformé aujourd'hui. Au contraire, il invite ses membres à appliquer les efforts nécessaires pour se maintenir comme classe dirigeante et dans le vaste ensemble des catégories qui orientent le monde actuel. Il laisse apparaître en outre, dans ce désir, une nuance particulière : « que la noblesse donne à son maintien parmi ces catégories un sens traditionnel, la valeur d'une continuité, le sens d'une permanence ? C'est-à-dire d'une fidélité à l'un des principes qui ont constitué la noblesse dans les siècles précédents : le lien entre les inégalités sociales qui les mettent en évidence et leurs obligations spécifiques au service du bien commun". Ainsi... "les changements de formes de vie peuvent, là où l'on veut, s'accorder harmonieusement avec les traditions dont les familles du Patriciat sont dépositaires".
"Faites, leur dit le Pape, que les autres classes s'aperçoivent du patrimoine de vertus et de qualités qui vous sont propres, fruit de longues traditions familiales. Tels sont l'imperturbable force d'âme, la fidélité et le dévouement aux causes les plus dignes, la piété tendre et généreuse envers les plus faibles et les pauvres, le comportement prudent et délicat dans les affaires difficiles et graves, ce prestige personnel, presque héréditaire dans les familles nobles, qui réussit à persuader sans opprimer, à entraîner sans contraindre, à conquérir sans humilier l'âme d'autrui, même des adversaires et des concurrents. L'utilisation de ces dons au service du bien commun et l'exercice des vertus religieuses et civiques sont la réponse la plus convaincante aux préjugés et aux méfiances, car ils manifestent l'extrême vitalité de l'esprit, d'où jaillissent toute vigueur et la fécondité des œuvres".
Il dit encore : "Promptitude dans l'action : dans la grande solidarité personnelle et sociale, chacun doit être prêt à travailler, à se sacrifier et se consacrer au bien commun. La différence ne réside pas dans le fait de l'obligation, mais dans la façon de la satisfaire. N'est-il pas vrai alors que ceux qui disposent le plus de temps et de moyens doivent être les plus assidus et les plus empressés à servir ? En parlant de moyens, Nous n'entendons pas seulement ni principalement les richesses, mais aussi tous les dons de l'intelligence, culture, éducation, connaissance, autorité, dons qui ne sont pas accordés à certains privilégiés du sort pour leur avantage exclusif ou pour créer une irrémédiable inégalité entre frères, mais pour le bien de toute la communauté sociale. Pour tout ce qui a trait au service du prochain, de la société, de l'Eglise, de Dieu, vous devez toujours être les premiers. En cela consiste votre véritable point d'honneur, en cela se trouve votre plus noble préséance... Car le juste jugement de Dieu sera beaucoup plus sévère envers ceux qui ont reçu davantage, qui sont mieux en mesure de connaître l'unique doctrine et de la mettre en pratique dans la vie quotidienne; envers ceux dont l'exemple et l'autorité peuvent plus facilement diriger les autres sur la voie de la justice et du salut, ou les perdre sur les funestes sentiers de l'incrédulité et du péché".
"Il est moins malaisé aujourd'hui de déterminer, parmi les différents modes d'action qui s'offrent à vous, quelle doit être votre conduite. Le premier de ces modes est inadmissible; c'est celui du déserteur, celui qui fut injustement appelé l'émigré de l'intérieur; c'est l'absentéisme de l'homme dégoûté ou irrité qui, par dépit ou découragement, ne fait pas usage de ses qualités et de ses énergies, ne participe à aucune des activités de son pays et de son temps, mais se retire - comme le grec Achille, sous sa tente, près des navires à traversée rapide, loin des batailles - tandis que sont en jeu les destinées de la patrie".
"Moins digne encore est l'abstention, quand elle provient d'une indifférence indolente et passive. Pire en effet que la mauvaise humeur, le dépit et le découragement, serait l'insouciance face à la ruine dans laquelle seraient près de tomber ses frères et son propre peuple. Cette indifférence tenterait en vain de se cacher sous le masque de la neutralité. Elle n'est aucunement neutre ; elle est, qu'elle le veuille ou non, complice. Chacun des légers flocons de neige qui reposent doucement sur le flanc de la montagne et l'ornent de leur blancheur, contribue, en se laissant entraîner passivement, à faire de la petite masse de neige détachée des cimes l'avalanche qui porte le désastre dans la vallée où elle s'abat en ensevelissant les paisibles demeures. Seule, la neige glacée qui fait corps avec le roc oppose à l'avalanche une résistance victorieuse qui peut en arrêter, ou du moins en freiner, la course dévastatrice".
"Il en est de même pour l'homme juste et ferme dans sa volonté de bien dont parle Horace en une ode célèbre (Carm.III, 3), qui ne se laisse pas ébranler dans son immuable façon de penser, ni par la colère des citoyens qui donnent des ordres criminels, ni par la fureur menaçante du tyran, mais qui reste au contraire impavide, même si l'univers vient à s'écrouler sur lui : «si fractus illabur orbis, impavidum ferient ruinae» - même si le monde tombait en ruine, ses décombres blesseraient l'homme de valeur sans l'ébranler. Mais si cet homme est un chrétien, il ne se contentera pas de rester debout, impassible au milieu des ruines : il se sentira dans l'obligation de résister et d'arrêter le cataclysme, ou tout au moins d'en limiter les dégâts; et s'il ne peut arrêter l'avalanche destructrice, il sera là pour reconstruire l'édifice abattu, pour ensemencer le champ dévasté. Telle doit être votre conduite. Elle consiste - sans devoir pour cela renoncer à la liberté de vos convictions et de vos opinions sur les vicissitudes humaines - à prendre l'ordre contingent des choses tel qu'il est, et à diriger son activité vers le bien, non d'une classe en particulier, mais le bien de la communauté entière : le bien commun".
Il rejoint ainsi Dr-Angélique puisqu'on lit sous la plume de saint Thomas³ que "selon l'inclination naturelle et selon la vertu politique, le bon citoyen s'expose au péril de mort pour le bien commun".
Mais c'est surtout dans l'enseignement des papes et tout particulièrement dans celui de Pie XII¹⁰ que l'on trouve les plus beaux passages sur ce sujet : "Un dévouement spécial au bien commun - notamment à ce qu'il a de plus précieux, l'empreinte chrétienne de la civilisation - est en effet indispensable pour attribuer quelque éclat noble à une élite."
Le Pape ne désire donc pas que la noblesse disparaisse du contexte social, profondément transformé aujourd'hui. Au contraire, il invite ses membres à appliquer les efforts nécessaires pour se maintenir comme classe dirigeante et dans le vaste ensemble des catégories qui orientent le monde actuel. Il laisse apparaître en outre, dans ce désir, une nuance particulière : « que la noblesse donne à son maintien parmi ces catégories un sens traditionnel, la valeur d'une continuité, le sens d'une permanence ? C'est-à-dire d'une fidélité à l'un des principes qui ont constitué la noblesse dans les siècles précédents : le lien entre les inégalités sociales qui les mettent en évidence et leurs obligations spécifiques au service du bien commun". Ainsi... "les changements de formes de vie peuvent, là où l'on veut, s'accorder harmonieusement avec les traditions dont les familles du Patriciat sont dépositaires".
"Faites, leur dit le Pape, que les autres classes s'aperçoivent du patrimoine de vertus et de qualités qui vous sont propres, fruit de longues traditions familiales. Tels sont l'imperturbable force d'âme, la fidélité et le dévouement aux causes les plus dignes, la piété tendre et généreuse envers les plus faibles et les pauvres, le comportement prudent et délicat dans les affaires difficiles et graves, ce prestige personnel, presque héréditaire dans les familles nobles, qui réussit à persuader sans opprimer, à entraîner sans contraindre, à conquérir sans humilier l'âme d'autrui, même des adversaires et des concurrents. L'utilisation de ces dons au service du bien commun et l'exercice des vertus religieuses et civiques sont la réponse la plus convaincante aux préjugés et aux méfiances, car ils manifestent l'extrême vitalité de l'esprit, d'où jaillissent toute vigueur et la fécondité des œuvres".
Il dit encore : "Promptitude dans l'action : dans la grande solidarité personnelle et sociale, chacun doit être prêt à travailler, à se sacrifier et se consacrer au bien commun. La différence ne réside pas dans le fait de l'obligation, mais dans la façon de la satisfaire. N'est-il pas vrai alors que ceux qui disposent le plus de temps et de moyens doivent être les plus assidus et les plus empressés à servir ? En parlant de moyens, Nous n'entendons pas seulement ni principalement les richesses, mais aussi tous les dons de l'intelligence, culture, éducation, connaissance, autorité, dons qui ne sont pas accordés à certains privilégiés du sort pour leur avantage exclusif ou pour créer une irrémédiable inégalité entre frères, mais pour le bien de toute la communauté sociale. Pour tout ce qui a trait au service du prochain, de la société, de l'Eglise, de Dieu, vous devez toujours être les premiers. En cela consiste votre véritable point d'honneur, en cela se trouve votre plus noble préséance... Car le juste jugement de Dieu sera beaucoup plus sévère envers ceux qui ont reçu davantage, qui sont mieux en mesure de connaître l'unique doctrine et de la mettre en pratique dans la vie quotidienne; envers ceux dont l'exemple et l'autorité peuvent plus facilement diriger les autres sur la voie de la justice et du salut, ou les perdre sur les funestes sentiers de l'incrédulité et du péché".
"Il est moins malaisé aujourd'hui de déterminer, parmi les différents modes d'action qui s'offrent à vous, quelle doit être votre conduite. Le premier de ces modes est inadmissible; c'est celui du déserteur, celui qui fut injustement appelé l'émigré de l'intérieur; c'est l'absentéisme de l'homme dégoûté ou irrité qui, par dépit ou découragement, ne fait pas usage de ses qualités et de ses énergies, ne participe à aucune des activités de son pays et de son temps, mais se retire - comme le grec Achille, sous sa tente, près des navires à traversée rapide, loin des batailles - tandis que sont en jeu les destinées de la patrie".
"Moins digne encore est l'abstention, quand elle provient d'une indifférence indolente et passive. Pire en effet que la mauvaise humeur, le dépit et le découragement, serait l'insouciance face à la ruine dans laquelle seraient près de tomber ses frères et son propre peuple. Cette indifférence tenterait en vain de se cacher sous le masque de la neutralité. Elle n'est aucunement neutre ; elle est, qu'elle le veuille ou non, complice. Chacun des légers flocons de neige qui reposent doucement sur le flanc de la montagne et l'ornent de leur blancheur, contribue, en se laissant entraîner passivement, à faire de la petite masse de neige détachée des cimes l'avalanche qui porte le désastre dans la vallée où elle s'abat en ensevelissant les paisibles demeures. Seule, la neige glacée qui fait corps avec le roc oppose à l'avalanche une résistance victorieuse qui peut en arrêter, ou du moins en freiner, la course dévastatrice".
"Il en est de même pour l'homme juste et ferme dans sa volonté de bien dont parle Horace en une ode célèbre (Carm.III, 3), qui ne se laisse pas ébranler dans son immuable façon de penser, ni par la colère des citoyens qui donnent des ordres criminels, ni par la fureur menaçante du tyran, mais qui reste au contraire impavide, même si l'univers vient à s'écrouler sur lui : «si fractus illabur orbis, impavidum ferient ruinae» - même si le monde tombait en ruine, ses décombres blesseraient l'homme de valeur sans l'ébranler. Mais si cet homme est un chrétien, il ne se contentera pas de rester debout, impassible au milieu des ruines : il se sentira dans l'obligation de résister et d'arrêter le cataclysme, ou tout au moins d'en limiter les dégâts; et s'il ne peut arrêter l'avalanche destructrice, il sera là pour reconstruire l'édifice abattu, pour ensemencer le champ dévasté. Telle doit être votre conduite. Elle consiste - sans devoir pour cela renoncer à la liberté de vos convictions et de vos opinions sur les vicissitudes humaines - à prendre l'ordre contingent des choses tel qu'il est, et à diriger son activité vers le bien, non d'une classe en particulier, mais le bien de la communauté entière : le bien commun".
IV.- La république ou la démocratie peuvent-elles permettre le bien commun ?
Où il est dit que la démocratie représentative favorise la médiocrité des pouvoirs vite subjugués par les oligarchies qui jouent de l'émiettement des intérêts individuels, bloquant ainsi toute convergence sociale vers un bien commun supérieur à leur fortune.
(auteurs cités: YMA, Kœstler, Guizot, Stuart Mill, A.France, B.Franklin, C.Périer, Malouet, Dutourd, Tardieu, Renan, Pompidou)
ommençons par voir ce qu'en pense Yves-Marie Adeline¹ : dans "Le Pouvoir légitime" il dit : "Maintenu par un mythe fondateur, parmi tant d'autres mythes comme le chef surhumain ou l'Etat-dieu, qui contredisent tous la nécessité de théoriser le pouvoir selon des critères admissibles et raisonnables, le démocratisme méconnaît les exigences du bien commun : car si le bien commun est tributaire de l'institution, le principe démocratique est évidemment, et par essence, antithétique de l'institution : en effet, il établit un régime politique extrêmement particulier, qui le différencie de tous les autres, puisqu'il prétend ordonner les cités en se nourrissant précisément de notre inaptitude à considérer au delà de notre nature imparfaite les questions relatives à cette ordonnance. En cela, le démocratisme met en place une nouvelle forme de naturalisme politique - qui s'ajoute à celui consacrant le pouvoir du fort sur le faible - puisque c'est la mesure de nos instincts politiques qui entraîne son fonctionnement. Ainsi, en exploitant ce que nous avons appelé le politique à l'état pur, le démocratisme s'éloigne de l'institution, laquelle s'efforce au contraire à purifier le politique.
On voit ainsi s'établir le pouvoir de l'argent : si sous prétexte de désintéressement et de justice sociale, on barre à tous l'accès à la fortune privée, on aboutit nécessairement au capitalisme d'Etat, c'est-à-dire à la généralisation de la condition prolétarienne. Ce qui entraîne trois conséquences :
1° - Suivant la belle formule de Kœstler¹¹, la mainmise absolue de l'Etat, qui représente l'infini, sur l'individu isolé et sans défense, égale à zéro.
2° - L'érosion de l'esprit d'initiative et du sens des responsabilités (avec l'inertie et le gaspillage qui en résultent), chaque travailleur étant inséré dans un engrenage trop vaste et trop anonyme pour qu'il puisse saisir le lien entre son intérêt personnel et le bien commun.
3° - La constitution d'une oligarchie de profiteurs grassement rétribués qui jouissent, par les avantages directs et indirects liés à leur fonction, de tous les privilèges de la fortune privée, à l'exception de ses risques et de ses devoirs. C'est la forme socialiste de l'exploitation de l'homme par l'homme : elle sévit dans les pays de l'Est et le monde libre, déjà largement socialisé, est bien loin d'en être exempt, comme nous le montre chaque jour l'impéritie et le désordre régnants dans certains de nos services publics.
Ainsi, le mépris inconsidéré de l'argent risque d'aboutir à sa concentration absolue, c'est-à-dire à l'aggravation de sa pesanteur aliénante sur les plus faibles et les plus démunis.
Ce sont les principes libéraux actuels, découlant de la démocratie, qui entraînent ces résultats : en effet, les principes libéraux sont : la souveraineté absolue de l'individu, dans une entière indépendance de Dieu et de son autorité ; la souveraineté absolue de la société, dans une entière indépendance de ce qui ne procède pas d'elle-même ; la souveraineté nationale, c'est-à-dire le droit reconnu au peuple de faire des lois et de se gouverner, dans l'indépendance absolue de tout autre critérium que celui de sa propre volonté exprimée d'abord par le suffrage et ensuite par la majorité parlementaire ; la liberté de penser sans aucun frein ; ni en politique, ni en morale, ni en religion ; la liberté de la presse, absolue ou insuffisamment limitée, et la liberté d'association tout aussi étendue.
Tels sont les principes libéraux dans leur radicalisme le plus cru : leur fond commun est le rationalisme individuel, le rationalisme politique et le rationalisme social. Il convient donc de dire que le libéralisme dans l'ordre des idées est l'erreur absolue et dans l'ordre des faits l'absolu désordre : le contraire donc du bien commun.
Le libéralisme est donc l'affirmation dogmatique de l'indépendance absolue de la raison individuelle et sociale. Par rapport au césarisme qui est l'autorité humaine se déclarant la règle absolue et l'ordre social, et soustrayant tous ses actes au contrôle doctrinal de l'autorité religieuse, le libéralisme est la liberté humaine animée de la même prétention et réclamant pour la raison et l'esprit humain ce que de l'autre côté on réclame pour le pouvoir. Le catholicisme est le dogme de la sujétion de la raison individuelle à la loi de Dieu.
Relativement à l'aspect plus directement électoral, il n'est point de question militaire, financière ou sociale qui ne soit considérée d'abord sous l'angle de l'intérêt électoral. Cela signifie que, dans presque tous les votes, un débat cornélien peut s'ouvrir entre ce qu'exige l'intérêt public, le bien commun et ce que commande l'intérêt électoral. Dès que ce conflit est ouvert, l'intérêt public est en danger.
Les passions parlementaires sont de petites passions improductives... C'est une fourmilière d'intérêts microscopiques, qu'il est impossible de classer et qui, dans la platitude croissante du temps, ne peuvent pas aboutir à de grandes opinions communes... Il n'y a, à défaut d'opinions, que des intérêts, des passions, des ambitions... Il en résulte que le système représentatif apparaît comme une simple machine propre à faire dominer certains intérêts particuliers et à faire arriver toutes les places dans les mains d'un certain nombre de familles... Chacun en est venu à se faire de soi-même son propre principe...Ainsi tout homme, qui s'est fait une bonne place, croit combattre pour la bonne cause : grande conciliation des égoïsmes avec la morale.
Monsieur Guizot¹² confessait : "J'en ai assez de m'user dans cette lutte contre les bassesses humaines, tantôt pour les combattre, tantôt pour les ménager. J'ai depuis longtemps, un double sentiment : l'un que le mal est beaucoup plus grand que nous ne le croyons et ne le disons; l'autre que nos remèdes sont frivoles et ne vont guère au-delà de la peau. Pendant que j'ai eu mon pays et ses affaires dans les mains, ce double sentiment s'est accru de jour en jour".
Faut-il dire avec Monsieur Stuart Mill que "le gouvernement représentatif incline nécessairement, parce que représentatif, vers la médiocrité collective" ? Avec le radical Alain que, "dès que les hommes pensent en réunion, tout est médiocre" ? Avec Monsieur Anatole France, luxueux ami des souffrances populaires, "qu'un homme politique ne doit pas devancer les circonstances et qu'on ne fait pas d'affaires avec des penseurs" ? Faut-il expliquer le phénomène par l'invasion du matérialisme et par cette abusive primauté du primaire, dont Péguy fixait le début aux environs de 1880 ? Faut-il penser que les collectivités électives sont par nature incapables de réaliser l'effort d'abstraction, qu'exigent les notions d'intérêt général ?
Benjamin Franklin¹³ qui les regardait, disait : "Lorsque vous assemblez un certain nombre d'hommes, pour profiter de l'ensemble de leur sagesse, vous assemblez inévitablement, avec tous ces hommes, tous leurs préjugés, toutes leurs passions, toutes leurs fausses idées, tous leurs intérêts locaux, tous leurs égoïsmes".
On a bien compris en définitive que le bien commun dans la vie est lié à la notion de responsabilité, notion que l'on est bien obligé de concevoir tôt ou tard. Les uns la conçoivent tardivement devant la justice répressive. Les autres s'en avisent d'eux-mêmes, à l'appel de leur conscience. D'une façon ou d'une autre, on est fixé. La responsabilité, qu'elle soit pénale, civile, morale, apparaît comme liée à la liberté et à l'autorité. Quand on a autorité personnelle et légitime pour faire quelque chose, on est nécessairement responsable de la façon dont on le fait. Pas d'autorité sans responsabilité ; pas de responsabilité sans autorité.
L'immoralité démocratique tient d'abord au régime des assemblées, au gouvernement collectif, car l'initiative, le contrôle, y sont divisés entre tant de têtes qu'aucune d'elles n'en supporte le vrai poids. Il ne peut exister de véritable responsabilité gouvernementale sans un gouvernement personnel qui la concentre.
Montalembert¹⁴ disait : "Tant qu'on aura pas réussi à confondre dans une réprobation commune la révolution et la démocratie, tant qu'on aura pas reconnu que le dogme de l'égalité n'est autre chose que la consécration impie et monstrueuse de l'orgueil, le salut social sera impossible".
Nous voyons donc par là que la société, pour régler les actions de ses membres nécessite deux autorités. L'une, qui règle les actes à travers les volontés, ou plus brièvement, qui discipline les volontés : c'est l'autorité spirituelle, qui cherche à s'imposer par la parole, par la persuasion, par l'amour. L'autre, qui règle directement les actes sans passer par les volontés : c'est l'autorité politique, qui contraint, qui impose au besoin par la force. Voilà comment ont toujours fonctionné les sociétés humaines, en tout temps et en tout lieu. Or, la liberté, telle que l'a entendue la Révolution de 1789, consiste tout simplement à nier ces deux autorités.
"Ce qu'on veut, disait, en 1832, Monsieur Casimir Perier¹⁵, c'est un ministère qui parle ; une majorité qui vote ; une minorité qu'on force à se taire". Ce qui était vrai en 1832 n'a pas cessé d'être vrai.
Ainsi la société française, qui devrait être la somme de désintéressements, est devenue un total d'égoïsmes dressés contre le bien commun.
Quand la loi a parlé, prononçait en 1906 le sénateur Lintilhac, la conscience n'a qu'à se taire. Si le Roi Louis XIV pouvait dire "L'Etat, c'est moi", les majorités parlementaires disent "Le peuple c'est nous". La France a fait trois révolutions pour conquérir le droit politique, ou ce qu'elle appelait ainsi. Elle n'a rien conquis du tout. Mais elle a créé la profession parlementaire. Ce qui avait fait dire le 5 août 1791 à Malouet¹⁶ : "Vous donnez continuellement au peuple la tentation de la souveraineté sans lui en confier l'exercice". La France est le pays au monde qui accepte le mieux le fait accompli.
Jean Dutourd¹⁷ ne se fait aucune illusion sur le système démocratique qui écrit : "Ce qui est décourageant dans les démocraties, où l'on vit sous le régime des partis, c'est que les leçons toutes simples sont toujours perdues. Il ne s'agit pas d'être raisonnable, c'est-à-dire d'œuvrer en commun pour le bien de la nation, mais de mettre des bâtons dans les roues à l'ennemi. Cette guerre ou cette guérilla perpétuelle fait du régime démocratique l'un des plus lourds et des plus lents que l'on ait inventé. Peut-être aussi l'un des plus immoraux, vu qu'il n'y est question, en fin de compte, que de conquérir le pouvoir afin d'accomplir soi-même ce qu'on a empêché les autres de faire".
Je voudrais, s'il se peut, ouvrir les yeux à la France écrivait André Tardieu¹⁷ : "Notre pays qui, d'après le vieux Grotius, est «le plus beau royaume du monde après le ciel», a, en politique, des habitudes et pas de principes. Plus propre à s'adapter aux dictatures individuelles ou plurales qu'à pratiquer la liberté, il a toujours tout supporté". Monsieur Louis Blanc, après la révolution de 1848, parlait de la "stupeur des départements" et Monsieur de Lamartine y notait "une impression de trouble, de doute, d'horreur et d'effroi". Cette passivité n'a fait que croître. On subit les régimes, sans en rien attendre. Monsieur Renan¹⁹ disait que la légende de l'Empire a été détruite par Napoléon III ; la légende de 1792, par Gambetta ; la légende de la Terreur, par la commune. Peut-être ! On ne peut de toute façon pas parler de la légende du régime actuel et la question ne se pose donc pas de savoir qui l'aurait détruite puisqu'il n'y en a pas.
De fait, le peuple français, domestiqué par les politiques et abêti par le matérialisme, n'espère pas grand'chose de sa république. Il s'occupe quelquefois des effets, jamais des causes. Il a le vague sentiment que les lois, qui le régissent, si pauvres de substance, ont enregistré les quatre faillites de la noblesse, de la bourgeoisie, de la royauté et du césarisme. Il ne devrait compter que sur lui-même et il n'y compte pas. Il s'abandonne. Le problème n'est pas que politique. Il est moral.
En exposant le commencement et le pourquoi des choses ; en disant qu'il y a une révolution à refaire, je ne pense pas seulement aux institutions. Je crois avec Monsieur Bergson, avec le Président Pompidou, qu'il faudrait à la France "un supplément d'âme".
Il faut lire en effet cette analyse du Président Pompidou¹⁹ après les événements de 1968 : "Notre civilisation traverse une crise spirituelle. Les mutations économiques, l'accélération du progrès scientifique et technique, l'ébranlement des croyances et des contraintes traditionnelles, le bouleversement des mœurs, tout contribue à entraîner la société dans une course éperdue vers le progrès matériel, progrès dont on n'aperçoit pas les limites mais dont il apparaît qu'il développe les besoins plus encore qu'il ne les satisfait et ne fournit aucune réponse aux aspirations profondes d'une humanité désorientée. Le monde a besoin d'une renaissance et aucun de ceux qui détiennent des responsabilités, qu'elles soient politiques, économiques, sociales, intellectuelles ou proprement spirituelles, n'a le droit de penser qu'il n'est pas concerné" (message au parlement du 25 juin 1969).
On voit ainsi s'établir le pouvoir de l'argent : si sous prétexte de désintéressement et de justice sociale, on barre à tous l'accès à la fortune privée, on aboutit nécessairement au capitalisme d'Etat, c'est-à-dire à la généralisation de la condition prolétarienne. Ce qui entraîne trois conséquences :
1° - Suivant la belle formule de Kœstler¹¹, la mainmise absolue de l'Etat, qui représente l'infini, sur l'individu isolé et sans défense, égale à zéro.
2° - L'érosion de l'esprit d'initiative et du sens des responsabilités (avec l'inertie et le gaspillage qui en résultent), chaque travailleur étant inséré dans un engrenage trop vaste et trop anonyme pour qu'il puisse saisir le lien entre son intérêt personnel et le bien commun.
3° - La constitution d'une oligarchie de profiteurs grassement rétribués qui jouissent, par les avantages directs et indirects liés à leur fonction, de tous les privilèges de la fortune privée, à l'exception de ses risques et de ses devoirs. C'est la forme socialiste de l'exploitation de l'homme par l'homme : elle sévit dans les pays de l'Est et le monde libre, déjà largement socialisé, est bien loin d'en être exempt, comme nous le montre chaque jour l'impéritie et le désordre régnants dans certains de nos services publics.
Ainsi, le mépris inconsidéré de l'argent risque d'aboutir à sa concentration absolue, c'est-à-dire à l'aggravation de sa pesanteur aliénante sur les plus faibles et les plus démunis.
Ce sont les principes libéraux actuels, découlant de la démocratie, qui entraînent ces résultats : en effet, les principes libéraux sont : la souveraineté absolue de l'individu, dans une entière indépendance de Dieu et de son autorité ; la souveraineté absolue de la société, dans une entière indépendance de ce qui ne procède pas d'elle-même ; la souveraineté nationale, c'est-à-dire le droit reconnu au peuple de faire des lois et de se gouverner, dans l'indépendance absolue de tout autre critérium que celui de sa propre volonté exprimée d'abord par le suffrage et ensuite par la majorité parlementaire ; la liberté de penser sans aucun frein ; ni en politique, ni en morale, ni en religion ; la liberté de la presse, absolue ou insuffisamment limitée, et la liberté d'association tout aussi étendue.
Tels sont les principes libéraux dans leur radicalisme le plus cru : leur fond commun est le rationalisme individuel, le rationalisme politique et le rationalisme social. Il convient donc de dire que le libéralisme dans l'ordre des idées est l'erreur absolue et dans l'ordre des faits l'absolu désordre : le contraire donc du bien commun.
Le libéralisme est donc l'affirmation dogmatique de l'indépendance absolue de la raison individuelle et sociale. Par rapport au césarisme qui est l'autorité humaine se déclarant la règle absolue et l'ordre social, et soustrayant tous ses actes au contrôle doctrinal de l'autorité religieuse, le libéralisme est la liberté humaine animée de la même prétention et réclamant pour la raison et l'esprit humain ce que de l'autre côté on réclame pour le pouvoir. Le catholicisme est le dogme de la sujétion de la raison individuelle à la loi de Dieu.
Relativement à l'aspect plus directement électoral, il n'est point de question militaire, financière ou sociale qui ne soit considérée d'abord sous l'angle de l'intérêt électoral. Cela signifie que, dans presque tous les votes, un débat cornélien peut s'ouvrir entre ce qu'exige l'intérêt public, le bien commun et ce que commande l'intérêt électoral. Dès que ce conflit est ouvert, l'intérêt public est en danger.
Les passions parlementaires sont de petites passions improductives... C'est une fourmilière d'intérêts microscopiques, qu'il est impossible de classer et qui, dans la platitude croissante du temps, ne peuvent pas aboutir à de grandes opinions communes... Il n'y a, à défaut d'opinions, que des intérêts, des passions, des ambitions... Il en résulte que le système représentatif apparaît comme une simple machine propre à faire dominer certains intérêts particuliers et à faire arriver toutes les places dans les mains d'un certain nombre de familles... Chacun en est venu à se faire de soi-même son propre principe...Ainsi tout homme, qui s'est fait une bonne place, croit combattre pour la bonne cause : grande conciliation des égoïsmes avec la morale.
Monsieur Guizot¹² confessait : "J'en ai assez de m'user dans cette lutte contre les bassesses humaines, tantôt pour les combattre, tantôt pour les ménager. J'ai depuis longtemps, un double sentiment : l'un que le mal est beaucoup plus grand que nous ne le croyons et ne le disons; l'autre que nos remèdes sont frivoles et ne vont guère au-delà de la peau. Pendant que j'ai eu mon pays et ses affaires dans les mains, ce double sentiment s'est accru de jour en jour".
Faut-il dire avec Monsieur Stuart Mill que "le gouvernement représentatif incline nécessairement, parce que représentatif, vers la médiocrité collective" ? Avec le radical Alain que, "dès que les hommes pensent en réunion, tout est médiocre" ? Avec Monsieur Anatole France, luxueux ami des souffrances populaires, "qu'un homme politique ne doit pas devancer les circonstances et qu'on ne fait pas d'affaires avec des penseurs" ? Faut-il expliquer le phénomène par l'invasion du matérialisme et par cette abusive primauté du primaire, dont Péguy fixait le début aux environs de 1880 ? Faut-il penser que les collectivités électives sont par nature incapables de réaliser l'effort d'abstraction, qu'exigent les notions d'intérêt général ?
Benjamin Franklin¹³ qui les regardait, disait : "Lorsque vous assemblez un certain nombre d'hommes, pour profiter de l'ensemble de leur sagesse, vous assemblez inévitablement, avec tous ces hommes, tous leurs préjugés, toutes leurs passions, toutes leurs fausses idées, tous leurs intérêts locaux, tous leurs égoïsmes".
On a bien compris en définitive que le bien commun dans la vie est lié à la notion de responsabilité, notion que l'on est bien obligé de concevoir tôt ou tard. Les uns la conçoivent tardivement devant la justice répressive. Les autres s'en avisent d'eux-mêmes, à l'appel de leur conscience. D'une façon ou d'une autre, on est fixé. La responsabilité, qu'elle soit pénale, civile, morale, apparaît comme liée à la liberté et à l'autorité. Quand on a autorité personnelle et légitime pour faire quelque chose, on est nécessairement responsable de la façon dont on le fait. Pas d'autorité sans responsabilité ; pas de responsabilité sans autorité.
L'immoralité démocratique tient d'abord au régime des assemblées, au gouvernement collectif, car l'initiative, le contrôle, y sont divisés entre tant de têtes qu'aucune d'elles n'en supporte le vrai poids. Il ne peut exister de véritable responsabilité gouvernementale sans un gouvernement personnel qui la concentre.
Montalembert¹⁴ disait : "Tant qu'on aura pas réussi à confondre dans une réprobation commune la révolution et la démocratie, tant qu'on aura pas reconnu que le dogme de l'égalité n'est autre chose que la consécration impie et monstrueuse de l'orgueil, le salut social sera impossible".
Nous voyons donc par là que la société, pour régler les actions de ses membres nécessite deux autorités. L'une, qui règle les actes à travers les volontés, ou plus brièvement, qui discipline les volontés : c'est l'autorité spirituelle, qui cherche à s'imposer par la parole, par la persuasion, par l'amour. L'autre, qui règle directement les actes sans passer par les volontés : c'est l'autorité politique, qui contraint, qui impose au besoin par la force. Voilà comment ont toujours fonctionné les sociétés humaines, en tout temps et en tout lieu. Or, la liberté, telle que l'a entendue la Révolution de 1789, consiste tout simplement à nier ces deux autorités.
"Ce qu'on veut, disait, en 1832, Monsieur Casimir Perier¹⁵, c'est un ministère qui parle ; une majorité qui vote ; une minorité qu'on force à se taire". Ce qui était vrai en 1832 n'a pas cessé d'être vrai.
Ainsi la société française, qui devrait être la somme de désintéressements, est devenue un total d'égoïsmes dressés contre le bien commun.
Quand la loi a parlé, prononçait en 1906 le sénateur Lintilhac, la conscience n'a qu'à se taire. Si le Roi Louis XIV pouvait dire "L'Etat, c'est moi", les majorités parlementaires disent "Le peuple c'est nous". La France a fait trois révolutions pour conquérir le droit politique, ou ce qu'elle appelait ainsi. Elle n'a rien conquis du tout. Mais elle a créé la profession parlementaire. Ce qui avait fait dire le 5 août 1791 à Malouet¹⁶ : "Vous donnez continuellement au peuple la tentation de la souveraineté sans lui en confier l'exercice". La France est le pays au monde qui accepte le mieux le fait accompli.
Jean Dutourd¹⁷ ne se fait aucune illusion sur le système démocratique qui écrit : "Ce qui est décourageant dans les démocraties, où l'on vit sous le régime des partis, c'est que les leçons toutes simples sont toujours perdues. Il ne s'agit pas d'être raisonnable, c'est-à-dire d'œuvrer en commun pour le bien de la nation, mais de mettre des bâtons dans les roues à l'ennemi. Cette guerre ou cette guérilla perpétuelle fait du régime démocratique l'un des plus lourds et des plus lents que l'on ait inventé. Peut-être aussi l'un des plus immoraux, vu qu'il n'y est question, en fin de compte, que de conquérir le pouvoir afin d'accomplir soi-même ce qu'on a empêché les autres de faire".
Je voudrais, s'il se peut, ouvrir les yeux à la France écrivait André Tardieu¹⁷ : "Notre pays qui, d'après le vieux Grotius, est «le plus beau royaume du monde après le ciel», a, en politique, des habitudes et pas de principes. Plus propre à s'adapter aux dictatures individuelles ou plurales qu'à pratiquer la liberté, il a toujours tout supporté". Monsieur Louis Blanc, après la révolution de 1848, parlait de la "stupeur des départements" et Monsieur de Lamartine y notait "une impression de trouble, de doute, d'horreur et d'effroi". Cette passivité n'a fait que croître. On subit les régimes, sans en rien attendre. Monsieur Renan¹⁹ disait que la légende de l'Empire a été détruite par Napoléon III ; la légende de 1792, par Gambetta ; la légende de la Terreur, par la commune. Peut-être ! On ne peut de toute façon pas parler de la légende du régime actuel et la question ne se pose donc pas de savoir qui l'aurait détruite puisqu'il n'y en a pas.
De fait, le peuple français, domestiqué par les politiques et abêti par le matérialisme, n'espère pas grand'chose de sa république. Il s'occupe quelquefois des effets, jamais des causes. Il a le vague sentiment que les lois, qui le régissent, si pauvres de substance, ont enregistré les quatre faillites de la noblesse, de la bourgeoisie, de la royauté et du césarisme. Il ne devrait compter que sur lui-même et il n'y compte pas. Il s'abandonne. Le problème n'est pas que politique. Il est moral.
En exposant le commencement et le pourquoi des choses ; en disant qu'il y a une révolution à refaire, je ne pense pas seulement aux institutions. Je crois avec Monsieur Bergson, avec le Président Pompidou, qu'il faudrait à la France "un supplément d'âme".
Il faut lire en effet cette analyse du Président Pompidou¹⁹ après les événements de 1968 : "Notre civilisation traverse une crise spirituelle. Les mutations économiques, l'accélération du progrès scientifique et technique, l'ébranlement des croyances et des contraintes traditionnelles, le bouleversement des mœurs, tout contribue à entraîner la société dans une course éperdue vers le progrès matériel, progrès dont on n'aperçoit pas les limites mais dont il apparaît qu'il développe les besoins plus encore qu'il ne les satisfait et ne fournit aucune réponse aux aspirations profondes d'une humanité désorientée. Le monde a besoin d'une renaissance et aucun de ceux qui détiennent des responsabilités, qu'elles soient politiques, économiques, sociales, intellectuelles ou proprement spirituelles, n'a le droit de penser qu'il n'est pas concerné" (message au parlement du 25 juin 1969).
V.- Le Roi est-il contre toute forme de démocratie ?
Le suffrage universel des atomes sociaux égalisés est bien inférieur dans le gouvernement des nations à l'expression de choix collectifs par une représentation organique de la société qui garde les pieds sur terre. La représentation ethérée (non impérative) du peuple est une idéologie dont les effets se combattent à chaque retournement de majorité.
(auteurs cités: Cochin, Maritain)
ien au contraire, comme le montre Augustin Cochin²⁰, dans la société organique de l'Ancienne France "la liberté française fait la plus grande part à la souveraineté populaire puisqu'elle lui attribue un rôle actif, positif, direct, mais à la condition d'ignorer l'individu et de ne s'adresser qu'à "des corps organisés". C'est à l'intérieur de ces corps intermédiaires qui se sont constitués spontanément, et conformément à la nature des choses, que la société "est souveraine et maîtresse d'elle même" et c'est là une souveraineté concrète, utile et même indispensable au bien commun.
Il est révélateur que, sur ce point précis, le philosophe Jacques Maritain²², malgré sa conversion à la démocratie, en arrive à la même conclusion qu'Augustin Cochin : "Actuellement, je vote comme un atome, dans un cadre géographique abstrait... Supposez que tous les citoyens soient répartis en grandes catégories sociales disposant chacune d'un nombre de représentants proportionné au nombre des membres, et que je vote comme membre d'une telle communauté. Mon vote a plus de chances d'être raisonnable dans le second cas que dans le premier. Et la représentation de la nation assurée d'une façon plus organique et plus vraiment politique".
Nous dirons donc qu'une société parfaite est une société qui obéit librement, en vue du bien commun, à un pouvoir légitime qui travaille à sa conservation et à sa prospérité ; cette société est organisée et hiérarchisée en corps intermédiaires conformes à sa nature et à ses besoins, corps qui jouissent d'une souveraineté aussi complète que le bien commun le permet, selon le principe de subsidiarité qui veut que le pouvoir supérieur laisse agir les pouvoirs inférieurs dans les domaines où ils sont plus compétents que lui.
On voit donc que l'institution monarchique est opposée au suffrage universel, où les électeurs sont assemblés uniquement par leur domicile, sans qu'il soit tenu compte ni de leur travail, ni de leur famille, ni de leur fonction dans la société, ce qui aboutit à ne représenter que des désirs individuels, des ambitions personnelles et finalement des passions faciles à exciter pas des démagogues exercés...
Nous devons éliminer de nos institutions tout ce qui favorise la division entre citoyens comme le parlementarisme tel qu'il existe (non la représentation), la multiplicité des syndicats (non la participation), car "toute société divisée contre elle-même périra".
Il faut donc avoir le courage de mettre en cause le mandat représentatif qui confère à un député un blanc-seing. Il représente non les doléances des électeurs, mais un intérêt général idéologique qui se retourne contre eux par le jeu des majorités fluctuantes.
Il faut lui substituer le mandat "impératif" qui fait du député l'avocat et le négociateur des intérêts particuliers de ses mandants. L'organe garant du bien commun national se situe à un autre niveau, dans une ou des instances supérieures et différentes de ce parlement, qui pourrait être une chambre des Sages ou des Pairs, choisis pour leur indépendance, leur valeur morale et leur sens de la justice, en conformité avec la loi naturelle.
A une assemblée de partis il faut substituer une "assemblée d'Etats régionaux", économiques, sociaux, familiaux... expression du pays réel et des corps intermédiaires qui en sont les réalités vivantes. Seule une institution séculaire, issue de notre patrimoine historique, pourrait assurer cette fonction en la réactualisant : les Etats Généraux.
Il est révélateur que, sur ce point précis, le philosophe Jacques Maritain²², malgré sa conversion à la démocratie, en arrive à la même conclusion qu'Augustin Cochin : "Actuellement, je vote comme un atome, dans un cadre géographique abstrait... Supposez que tous les citoyens soient répartis en grandes catégories sociales disposant chacune d'un nombre de représentants proportionné au nombre des membres, et que je vote comme membre d'une telle communauté. Mon vote a plus de chances d'être raisonnable dans le second cas que dans le premier. Et la représentation de la nation assurée d'une façon plus organique et plus vraiment politique".
Nous dirons donc qu'une société parfaite est une société qui obéit librement, en vue du bien commun, à un pouvoir légitime qui travaille à sa conservation et à sa prospérité ; cette société est organisée et hiérarchisée en corps intermédiaires conformes à sa nature et à ses besoins, corps qui jouissent d'une souveraineté aussi complète que le bien commun le permet, selon le principe de subsidiarité qui veut que le pouvoir supérieur laisse agir les pouvoirs inférieurs dans les domaines où ils sont plus compétents que lui.
On voit donc que l'institution monarchique est opposée au suffrage universel, où les électeurs sont assemblés uniquement par leur domicile, sans qu'il soit tenu compte ni de leur travail, ni de leur famille, ni de leur fonction dans la société, ce qui aboutit à ne représenter que des désirs individuels, des ambitions personnelles et finalement des passions faciles à exciter pas des démagogues exercés...
Nous devons éliminer de nos institutions tout ce qui favorise la division entre citoyens comme le parlementarisme tel qu'il existe (non la représentation), la multiplicité des syndicats (non la participation), car "toute société divisée contre elle-même périra".
Il faut donc avoir le courage de mettre en cause le mandat représentatif qui confère à un député un blanc-seing. Il représente non les doléances des électeurs, mais un intérêt général idéologique qui se retourne contre eux par le jeu des majorités fluctuantes.
Il faut lui substituer le mandat "impératif" qui fait du député l'avocat et le négociateur des intérêts particuliers de ses mandants. L'organe garant du bien commun national se situe à un autre niveau, dans une ou des instances supérieures et différentes de ce parlement, qui pourrait être une chambre des Sages ou des Pairs, choisis pour leur indépendance, leur valeur morale et leur sens de la justice, en conformité avec la loi naturelle.
A une assemblée de partis il faut substituer une "assemblée d'Etats régionaux", économiques, sociaux, familiaux... expression du pays réel et des corps intermédiaires qui en sont les réalités vivantes. Seule une institution séculaire, issue de notre patrimoine historique, pourrait assurer cette fonction en la réactualisant : les Etats Généraux.
VI.- Le Roi garant du bien commun.
Où il est expliqué que la formation des chambres et des gouvernements résulte chaque fois d'une coalition d'intérêts antagonistes dont la promotion lamine l'intérêt de l'individu-électeur encagé dans un corpus de lois qui le brident, quand le roi dans sa souveraineté réelle reste capable de transcender la justice humaine selon les circonstances pour la sauvegarde de chacun et de tous.
(auteurs cités: Louis XIV, Renan, O-Martin, La Tour du Pin, YMA, V.Cordonnier, Maistre, Bossuet, Maurras, Gilson)
ans ses "Mémoires", Louis XIV écrit notamment : "Notre Etat nous doit être plus précieux que notre famille qui n'en fait qu'une légère partie. Et le titre de père de nos peuples nous doit être beaucoup plus cher que celui de père de nos enfants". Et encore : "Car enfin, mon fils, nous devons considérer le bien de nos sujets bien plus que le nôtre propre. Il semble qu'ils fassent une partie de nous-mêmes, puisque nous sommes à nos peuples comme nos peuples sont à nous".
Renan¹⁸ va jusqu'à affirmer que ce fut un véritable sacerdoce : "A toute nationalité correspond une dynastie en laquelle s'incarne le génie et les intérêts de la nation. Une conscience nationale n'est fixe et ferme que quand elle a contracté un mariage indissoluble avec une famille, qui s'engage par le contrat à n'avoir aucun intérêt distinct de celui de la nation. Jamais cette identification ne fut aussi parfaite qu'entre la Maison Capétienne et la France. Ce fut plus qu'une loyauté, ce fut un sacerdoce".
François Olivier-Martin²¹ écrit :"Le Roi est persuadé, et son peuple l'est également avec lui, qu'il y a conformité entre le bien commun et sa volonté de roi. C'est dans la croyance en cette conformité que gît le mystère de la monarchie".
L'autorité est nécessaire pour sauvegarder la liberté de l'Etat, garantie des libertés individuelles, en face des coalitions d'intérêts particuliers. Un peuple n'est plus libre, en dépit de ses bulletins de vote, dès que le gouvernement qu'il a librement porté au pouvoir devient prisonnier de ces coalitions.
La Tour du Pin²² a fait ressortir l'erreur qu'il y avait à prendre les mots individu et société dans un sens abstrait et trop rigoureux. "Il n'existe pas d'individu qui puisse être considéré comme indépendant d'une société. En un certain sens, on pourrait dire qu'il n'y a pas d'individus, mais seulement des membres de la société. Tout rapport entre les individus est donc un rapport social qui retentit sur la société tout entière et ne peut être inorganique sans être anarchique. Au sein de la société humaine les facteurs d'antagonisme l'emportent le plus souvent sur les facteurs d'union, d'où la nécessité d'une organisation sociale où prédomine la notion du bien commun".
Yves-Marie Adeline là encore précise dans "La Droite piégée", que selon la logique de la droite, l'homme est libre, mais il n'est pas parfait. Sa liberté doit donc être soumise, en matière morale, à des obligations - selon la définition qu'il donne à ce mot : ob-ligere, un lien au-dessus de nous - et en matière politique, assujetti à un bien supérieur à chacun d'entre nous. Un bien commun, disaient les Anciens, mais cela ne suffit pas : il faut que ce bien commun soit hors de portée, même si un consensus croit pouvoir y toucher. C'est la grande différence entre l'institution, qui tempère la liberté, et la constitution, qui l'émancipe et l'organise.
La vraie utopie révolutionnaire est donc d'encourager tous les citoyens à se prendre pour le nombril du monde et à imaginer qu'ils pourront ensuite vivre en paix les uns à côté des autres. La civilisation occidentale avait en somme consisté depuis ses origines à domestiquer l'hubris de l'individu ; la Révolution française a été d'abord une révolution philosophique, une révolution qui a substitué à la tempérance, à la prudence, au sens de la justice et même au courage, l'impudence de l'egolâtrie. Elle a, comme disait Joseph de Maistre²³ quoique en un sens un peu différent, quelque chose de satanique : car il est bien satanique de vouloir être comme des Dieux.
A l'encontre des révolutionnaires, les penseurs de l'ancienne France avaient démontré que le pouvoir du Roi était la garantie des libertés de la nation. Car c'est ce pouvoir indépendant (ab-solu) qui permet au Roi de châtier aussi bien les grands seigneurs que les grands financiers. C'est lui qui permet au Roi de tenir tête aux ingérences du clergé dans la politique ; c'est lui qui lui permet de proclamer, en temps de guerre, le principe du bien commun, au-dessus des innombrables factions, écartelant la France. Bossuet²⁵ a démontré magistralement que l'absence de pouvoir, à la tête du peuple, amène en réalité l'absence de liberté pour tous : "Où tout le monde veut faire ce qu'il veut, nul ne fait ce qu'il veut; où il n'y a point de maître, tout le monde est maître; où tout le monde est maître, tout le monde est esclave".
"La prétention de tout traiter régulièrement, judiciairement et en forme, aura pour effet de fausser la justice et de faire recevoir pour l'expression pure de la loi ce qui en sera le travesti" nous dit Vincent Cordonnier²⁶. Et encore : "seul, un Etat très personnel, très pénétré de ses responsabilités personnelles peut exercer utilement les hautes prérogatives extra-judiciaires ou, si l'on veut, hyper-judiciaires, qui lui sont dévolues". Ici, Maurras²⁴ revendique l'Esprit vivant et incarné.
Car, entre cette rigidité de la lettre qui n'est pas sans rappeler celle des pharisiens de l'Ancien Testament, et les Béatitudes célestes, il reste un vide tragique, il manque sur terre l'intermédiaire indispensable d'un homme de pouvoir, vivant, souple, incarné et capable de transcender l'apparente incompatibilité de la justice et de l'amour. C'est le domaine d'une haute politique qui n'abolit certes pas la science politique et juridique comme point de départ nécessaire, naturel, réaliste, positif, mais qui peut accompagner les hommes dans leurs dépassements avec leur esprit, leur âme et leurs Dieux.
Si l'on ne peut demander au juge de s'évader de la loi écrite, il faut bien que quelqu'un puisse le faire parfois, non pour l'abolir, mais pour la transcender en vue d'un but qui la dépasse et cela n'est possible qu'au sacré dans l'optique d'une cause finale qui est le bien commun. Cette justice supérieure est une amitié ; elle ne trouve sa raison d'être, sa légitimité et son libre épanouissement que dans cette commune transcendance du sacré. Toutes les libertés y sont laissées "sur la terre comme au ciel", devant Dieu. Gilson²⁷ dit superbement : " La loi naturelle est à la loi éternelle comme l'être est à l'Etre" (Eléments de philosophie médiévale). Sur la terre, mais sur une terre sacrée, on peut transposer : "La loi laïque est à la loi vivante comme le robot est à l'être".
Le pouvoir politique est légitime et digne d'un humanisme libre et complet s'il peut assurer le passage d'une loi à une autre et représenter la synthèse et l'incarnation des deux justices. C'est existentiellement la fonction royale. Une fois au moins sur la terre de France, le miracle de la justice parfaite a été réalisé et proposé comme modèle, sous le chêne de Vincennes. Nous en gardons le projet.
Renan¹⁸ va jusqu'à affirmer que ce fut un véritable sacerdoce : "A toute nationalité correspond une dynastie en laquelle s'incarne le génie et les intérêts de la nation. Une conscience nationale n'est fixe et ferme que quand elle a contracté un mariage indissoluble avec une famille, qui s'engage par le contrat à n'avoir aucun intérêt distinct de celui de la nation. Jamais cette identification ne fut aussi parfaite qu'entre la Maison Capétienne et la France. Ce fut plus qu'une loyauté, ce fut un sacerdoce".
François Olivier-Martin²¹ écrit :"Le Roi est persuadé, et son peuple l'est également avec lui, qu'il y a conformité entre le bien commun et sa volonté de roi. C'est dans la croyance en cette conformité que gît le mystère de la monarchie".
L'autorité est nécessaire pour sauvegarder la liberté de l'Etat, garantie des libertés individuelles, en face des coalitions d'intérêts particuliers. Un peuple n'est plus libre, en dépit de ses bulletins de vote, dès que le gouvernement qu'il a librement porté au pouvoir devient prisonnier de ces coalitions.
La Tour du Pin²² a fait ressortir l'erreur qu'il y avait à prendre les mots individu et société dans un sens abstrait et trop rigoureux. "Il n'existe pas d'individu qui puisse être considéré comme indépendant d'une société. En un certain sens, on pourrait dire qu'il n'y a pas d'individus, mais seulement des membres de la société. Tout rapport entre les individus est donc un rapport social qui retentit sur la société tout entière et ne peut être inorganique sans être anarchique. Au sein de la société humaine les facteurs d'antagonisme l'emportent le plus souvent sur les facteurs d'union, d'où la nécessité d'une organisation sociale où prédomine la notion du bien commun".
Yves-Marie Adeline là encore précise dans "La Droite piégée", que selon la logique de la droite, l'homme est libre, mais il n'est pas parfait. Sa liberté doit donc être soumise, en matière morale, à des obligations - selon la définition qu'il donne à ce mot : ob-ligere, un lien au-dessus de nous - et en matière politique, assujetti à un bien supérieur à chacun d'entre nous. Un bien commun, disaient les Anciens, mais cela ne suffit pas : il faut que ce bien commun soit hors de portée, même si un consensus croit pouvoir y toucher. C'est la grande différence entre l'institution, qui tempère la liberté, et la constitution, qui l'émancipe et l'organise.
La vraie utopie révolutionnaire est donc d'encourager tous les citoyens à se prendre pour le nombril du monde et à imaginer qu'ils pourront ensuite vivre en paix les uns à côté des autres. La civilisation occidentale avait en somme consisté depuis ses origines à domestiquer l'hubris de l'individu ; la Révolution française a été d'abord une révolution philosophique, une révolution qui a substitué à la tempérance, à la prudence, au sens de la justice et même au courage, l'impudence de l'egolâtrie. Elle a, comme disait Joseph de Maistre²³ quoique en un sens un peu différent, quelque chose de satanique : car il est bien satanique de vouloir être comme des Dieux.
A l'encontre des révolutionnaires, les penseurs de l'ancienne France avaient démontré que le pouvoir du Roi était la garantie des libertés de la nation. Car c'est ce pouvoir indépendant (ab-solu) qui permet au Roi de châtier aussi bien les grands seigneurs que les grands financiers. C'est lui qui permet au Roi de tenir tête aux ingérences du clergé dans la politique ; c'est lui qui lui permet de proclamer, en temps de guerre, le principe du bien commun, au-dessus des innombrables factions, écartelant la France. Bossuet²⁵ a démontré magistralement que l'absence de pouvoir, à la tête du peuple, amène en réalité l'absence de liberté pour tous : "Où tout le monde veut faire ce qu'il veut, nul ne fait ce qu'il veut; où il n'y a point de maître, tout le monde est maître; où tout le monde est maître, tout le monde est esclave".
"La prétention de tout traiter régulièrement, judiciairement et en forme, aura pour effet de fausser la justice et de faire recevoir pour l'expression pure de la loi ce qui en sera le travesti" nous dit Vincent Cordonnier²⁶. Et encore : "seul, un Etat très personnel, très pénétré de ses responsabilités personnelles peut exercer utilement les hautes prérogatives extra-judiciaires ou, si l'on veut, hyper-judiciaires, qui lui sont dévolues". Ici, Maurras²⁴ revendique l'Esprit vivant et incarné.
Car, entre cette rigidité de la lettre qui n'est pas sans rappeler celle des pharisiens de l'Ancien Testament, et les Béatitudes célestes, il reste un vide tragique, il manque sur terre l'intermédiaire indispensable d'un homme de pouvoir, vivant, souple, incarné et capable de transcender l'apparente incompatibilité de la justice et de l'amour. C'est le domaine d'une haute politique qui n'abolit certes pas la science politique et juridique comme point de départ nécessaire, naturel, réaliste, positif, mais qui peut accompagner les hommes dans leurs dépassements avec leur esprit, leur âme et leurs Dieux.
Si l'on ne peut demander au juge de s'évader de la loi écrite, il faut bien que quelqu'un puisse le faire parfois, non pour l'abolir, mais pour la transcender en vue d'un but qui la dépasse et cela n'est possible qu'au sacré dans l'optique d'une cause finale qui est le bien commun. Cette justice supérieure est une amitié ; elle ne trouve sa raison d'être, sa légitimité et son libre épanouissement que dans cette commune transcendance du sacré. Toutes les libertés y sont laissées "sur la terre comme au ciel", devant Dieu. Gilson²⁷ dit superbement : " La loi naturelle est à la loi éternelle comme l'être est à l'Etre" (Eléments de philosophie médiévale). Sur la terre, mais sur une terre sacrée, on peut transposer : "La loi laïque est à la loi vivante comme le robot est à l'être".
Le pouvoir politique est légitime et digne d'un humanisme libre et complet s'il peut assurer le passage d'une loi à une autre et représenter la synthèse et l'incarnation des deux justices. C'est existentiellement la fonction royale. Une fois au moins sur la terre de France, le miracle de la justice parfaite a été réalisé et proposé comme modèle, sous le chêne de Vincennes. Nous en gardons le projet.
Cosseron de Villenoisy
Paris, 2002
Paris, 2002
Patrick Cosseron de Villenoisy est candidat de l'Alliance Royale à la prochaine élection présidentielle d'avril 2012 afin de promouvoir une plateforme politique royaliste au milieu du vacarme clientéliste qui est la règle du genre. Il a été présenté sur ce blogue le 24 octobre dernier et nous vous avons offert une de ses contributions à l'ANF dans un récent billet Noblesse & Aristocratie. Royal-Artillerie continuera de soutenir cette démarche intelligente et courageuse qu'Yves-Marie Adeline avait inaugurée avant l'élection présidentielle de 2007, et qui nous change, ô combien, du circuit "messe-galette-jeanne-invalides". On va commencer à faire un peu de politique du côté des gens au roi.
Bibliographie
1* Le Pouvoir légitime, Yves-Marie Adeline, Paris 2001
2* Opera Omnia vol.13 (p.401) de Francisci Suárez, sj (Apud Ludovicum Vives) Paris 1859
3* Somme théologique de saint Thomas d'Aquin
4* La Poésie du Moyen-Âge, leçons et lectures de Gaston Paris, 1887
5* L'Equilibre et l'harmonie de Gustave Thibon, Fayard 1976
6* Humanum Genus de Léon XIII, Rome 1884
7* De l'Esprit des lois, Montesquieu
8* Discours sur les sciences et les arts (1750) et Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755), Jean-Jacques Rousseau
9* Le Quadrilogue invectif, d'Alain Chartier 1422
10* Pie XII, Allocution au Patriciat et à la Noblesse romaine, 1952
11* Le Zéro & l'Infini d'Arthur Koestler, Londres 1941
12* Discours du député Jacques Piou¹⁷ au banquet de la Presse régionale, Paris 1911
13* Vie de Benjamin Franklin par lui-même, Paris An VI
14* Lettre de Charles de Montalembert à Diane de Saint-Bonnet
15* Opinions & discours de M. Casimir Perier, collationnés par Lesieur, Paris 1838
16* Opinion de M. Malouet sur l'acte constitutionnel, commencée et interrompue dans la séance du lundi 8 août 1791, par Pierre-Victor Malouet
17* La Révolution à refaire d'André Tardieu, Paris série 1936-1937
18* La Réforme intellectuelle & morale de Renan, Paris 1871
19* Séance du 25.06.1969 au Palais Bourbon, message du Président Pompidou
20* Les Sociétés de pensée et la démocratie moderne d'Augustin Cochin, reprint Copernic 1978
21* L'Organisation corporative de la France d'Ancien Régime, François Olivier-Martin, Paris 1938
22* Etudes sociales & politiques de René de La Tour du Pin, Paris 1930
23* Considérations sur la France de Joseph de Maistre, Londres 1796
24* Nos raisons de Charles Maurras, Paris 1933
25* Politique tirée des propres paroles de l'Ecriture sainte de Bossuet, Paris 1709
26* Le roi existe, au-dessus de nos guerres civiles de Vincent Cordonnier, Paris 1986
27* The Elements of christian philosophy d'Etienne Gilson, New York reprint 1960