samedi 7 janvier 2012
La flat tax hongroise
Quand on a lu l'indispensable billet de Jacques de Guillebon sur le Gengis Kahn nouveau est arrivé (clic clac), il faut parler de la "flat tax" hongroise (que nous traduisons par taux universel unique). C'est une vieille idée de Vauban, ressortie des cageots de l'histoire par les économistes américains qui lisent plus que nous nos bons auteurs. Il faut dire qu'avec l'intelligentzia parisienne qui abonde aux grands foudres de la propagande admissible, nous n'avons point besoin de lire mais seulement d'écouter ! Que disait-donc le Maréchal ? Nous y voilà ! En 1707, l'année où Rákóczi bat les impériaux pour se libérer du joug des Habsbourg - ça foirera quand il voudra libérer les paysans - Sébastien Le Prestre publie un pamphlet fiscal qui fit du bruit, la Dixme royale, projet de taxe universelle, donc n'épargnant personne ni le roi, pour remplacer équitablement le fatras de taxes, impôts et droits hérités du Moyen-Âge grevant principalement le Tiers et croissant en complexité à mesure des réformes de circonstances, ...comme il en va aujourd'hui sous la V° République. Interdit en France, traduit en anglais, l'ouvrage sulfureux fut l'outil des fiscalistes du XVIII° siècle (même chez nous) et l'on a pu dire que Vauban avait inventé l'impôt sur le revenu. Si le roi Louis XIV, qui avait subi un cycle de formation à la dîme royale - 3 soirées de 2 heures et demi chacune chez Mme de Maintenon, dit Vauban -, avait promulgué la réforme contre l'avis du Contrôleur général, le royaume s'achetait un garantie de paix sociale pour longtemps.
Turgot, plus tard, alla aussi sur cette pente de la redistribution fiscale universalisée - augmenter les recettes en baissant les taxes (effet de Laffer), mais la cour de Versailles eut facilement raison de ce provocateur. Et pourtant : « Pendant l'année 1774, il y avait un impôt considérable sur la marée fraîche ; il n'en vint pendant le Carême que 153 chariots. Le ministre dont je vous parle diminua l'impôt de moitié ; et cette année 1775, il en est venu 596 chariots ; donc le roi, sur ce petit objet, a gagné plus du double ; donc le vrai moyen d'améliorer le roi et l'Etat est de diminuer tous les impôts sur la consommation et le vrai moyen de tout perdre est de les augmenter » (Charles Coquelin sur le ministre Turgot).
Le "taux universel unique" n'est pas pour les vieux cons. Il est intéressant de voir qu'en Europe, il a été établi par les pays neufs, j'entends les pays de l'Est émancipés de la doxa soviétique, qu'ils soient ou non dans l'Union européenne. Estonie, Lettonie, Lithuanie, Russie, Slovaquie, Ukraine, Géorgie, Roumanie, Macédoine, Montenegro, Albanie, Tchéquie, Bulgarie sont passés à la taxe unique universelle. « Unique quel que soit le revenu considéré ou la transaction réalisée : sur les salaires, sur les pensions, sur les bénéfices, sur les intérêts, sur les fermages, etc. C’est simple, cela allège les déclarations des contribuables et la tâche des administrations. Surtout cela rend impossible les calculs savants et le temps perdu par les contribuables pour chercher les exemptions, les réductions, les exonérations : le cache-cache fiscal disparaît, et avec lui une grande partie du marché noir et des opérations douteuses.
Les mêmes pays ont refusé le bicamérisme de Westminster pour des raisons de coûts et pour prévenir les dérives parlementaristes. Il y a chez eux plus urgent que de parler des urgences.
« C’est simple, mais ça marche bien.» nous dit Victoria Curzon-Price, professeur à l’Université de Genève. Tout le monde utilise la société dans laquelle il vit. Le pourcentage unique ponctionne en valeur peu le citoyen pauvre, beaucoup le citoyen riche. Le taux universel unique hongrois est à 16%, un taux médian chez les pays de l'Est qui taxent de 10 à 25%. Au départ, le cabinet Orban avait fait une simulation à 12% que la crise eurolandaise emporta. En France, l'Institut des Recherches économiques et fiscales (IREF) calcule notre taux à 15%. Son étude complète est accessible en cliquant ici. Elle mérite le détour puisqu'aucun candidat à la présidentielle n'en parlera. Sud-Fisc est contre :).
C'est simple mais ça marche ! Sans doute est-ce la raison de la levée de boucliers en France, pays légalement à la merci des corporations d'experts retranchés en ordres. Que deviendraient l'armée immense des conseillers fiscaux et toute la bureaucratie associée si tout un chacun pouvait comprendre le code des impôts, comme le citoyen est en droit de l'exiger ? Dans un pays qui protège ses inutilités institutionnelles et politiques au motif de la République intouchable - on sait ce que le piéton pense du parlement pléthorique et de toutes les enceintes de bavardages subventionnées -, dans un pays qui brime pour le sauver tout ce qui ne dépend pas de l'Etat, la réforme fiscale ne peut être qu'une incantation. La classe politique se nourrit de la complication.
Il sera intéressant de jauger la résilience des instances européennes à l'effet hongrois "charbonnier maître chez soi" et quel registre du grand orgue sera joué. Sera-t-il constitutionnel ou hypocrite ? On se souvient de la mise en quarantaine décrétée par Chirac à l'endroit de la coalition ÖVP-FPÖ de 1999 en Autriche. Certains pays avaient mal pris l'imperium moral français hors de saison depuis Waterloo. Déjà, la Référence Humaniste Mondiale, Juppé et Fillon, vient d'interjeter appel auprès de la Commission de Bruxelles pour mettre le gouvernement Orban sur le grill de l'Inquisition revenue. Il est inacceptable qu'on puisse même imaginer que plus personne ne nous écoute. Barroso, sans attendre, avait déjà réagi en invoquant l'esprit des institutions, ce qui ne veut rien dire en droit. A suivre.
On ne peut terminer ce billet hongrois sans citer le titre ravageur de l'article de Slate.fr illustrant la réforme Orban par l'ombre portée du sceptre fameux : "La Hongrie se bordurise". On peut le lire par ici. « Amaïh Viktor !»
L'autre sujet du jour était le sauvetage de la SEAFRANCE.
Huit cent quatrevingt-quatre salariés portés par quatre bateaux à demi-pleins sur un marché saturé de capacités et sans croissance possible tient de la gageure. On comprend que les ouvriers n'y croient pas eux-mêmes, malgré les plans électoralistes de Paris. En plus la compagnie ressemble de plus en plus à la SNCM, à ce qu'on apprend des pratiques syndicales. Il n'y a aucun avenir pour ces fromages parapublics mis en concurrence internationale. Peninsular & Oriental (born 1840) y veille ! De quand leur dernière grève ?
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