vendredi 2 mars 2012

Des divergences à l'échec


Dans le numéro 842 des Inrockuptibles (18 janvier 2012), le comte de Paris Henri d'Orléans disait sa lassitude envers les factions royalistes qui, pour capter toute son attention, barrent l'accès des forces vives du pays au prince. Elles s'imposent comme l'unique médium entre lui et le peuple, jusqu'à mieux savoir que quiconque quoi dire et taire en public. Il est aussi des "secrétariats" qui débitent des avis ou communiqués de leur propre allant, comme celui qui sert de relais au prince Louis de Bourbon et dont les cuirs sont parfois réjouissants.
Derniers barrages en date, d'un côté, le Cercle de l'Œillet blanc refuse l'épouse du comte de Paris à la messe, de l'autre côté, le secrétariat de l'Institut Duc d'Anjou rejette d'emblée la demande faite au prince par l'excellent trimestriel La Toile pour un article sur le développement durable. L'a-t-on consulté ? j'en doute. Le storytelling de sa biographie publiée sur le site institutionnel dévoile une certaine autonomie de la Cour dans sa créativité.

Ca fait deux siècles que dure le cirque royaliste pour le résultat que l'on sait. Positions effondrées, invisibilité, pénurie d'argent, querelle dynastique et divisions subalternes, éclosions fantaisistes de sous-groupuscules divisibles, ridicule de certaines postures.
Au centre, la piste ! S'y sont de tout temps pavanés les dresseurs de prétendants à la chambrière, qui à défaut d'impressionner les pères firent courir les fils. Et voilà que l'Institut de la Maison de Bourbon accapare l'orphelin, désobéissant aux conseils de sa mère qui lui disait de s'en méfier ; et voici la Restauration nationale qui prend fait et cause pour le jeune prince Jean, disqualifiant le vrai prétendant d'Orléans au motif de moeurs coupables à leurs yeux, et ignorant superbement le lignage qui désigne François. Puis le Bourbon déploie ses ailes et monte son propre club promotionnel, comme son alter ego d'Orléans qui reprend les choses en main dans son parti et devient patron. Le piéton veut bien dispenser son distingué lectorat du paragraphe interminable qui devrait suivre, contant par le menu l'affranchissement des titulaires de leurs chaînes courtisanes... pour aller à la conclusion.

Les disputes, à se prendre à la gorge parfois, sont vaines à deux motifs. A l'intérieur de la sphère royaliste elles ne servent que d'exutoire à un dépit de notoriété de la cause que chacun défend, et aucun ne changera d'idée. Pourquoi se disputer sur la couleur de la mer ? A l'extérieur, les arguments des uns et des autres passent à cent coudées au-dessus de l'attention disponible de l'Opinion, car ils apparaissent gratuits ! A quoi servirait-il au peuple de prendre parti ? La paix d'Utrecht pour les mieux informés n'eut pour effet tangible que la cession du rocher de Gibraltar à la couronne britannique. Le reste est... bidon aujourd'hui pour  le vulgum pecus.

Et si on parlait des institutions, une minute ?
Faut-il un troisième motif de déshérence de la cause royaliste, c'est le décalage entre l'offre institutionnelle des différents partis ou agences (comme on disait jadis) et la perception qu'a l'Opinion du rôle d'un roi (ou d'une reine d'ailleurs). La distance est grande. Le roi du sondage BVA-Alliance royale ne désignait pas un touche-à-tout fébrile à la Sarkozy ou quelque César génial, mais un roi digne et populaire, du modèle visible dans l'actualité. Très peu d'organes royalistes comblent ce fossé entre les dogmes et leur défaut de perception, et le Rassemblement démocrate pour la monarchie de Jean-Marie Wante est l'un de ces happy fews. Qu'il en soit salué. Ce n'est quand même pas pour rien que les princes donnent leur avis. Mais si, mais si ! Après la monarchie hors-sol, on veut nous vendre la monarchie sans-prince. Que disent-ils et pourquoi leur avis est-il convergent ?

Louis de Bourbon part sur une monarchie constitutionnelle à l'espagnole dans ses interviews, en faisant le projet de rassembler jusqu'aux républicains. Et Henri d'Orléans est, on ne peut plus, clair :
« Dans une royauté moderne, soit constitutionnelle et parlementaire, un Premier ministre gouverne, les Assemblées légifèrent et le roi règne. C'est le cas en Grande-Bretagne, en Espagne, en Belgique, dans l'Europe du Nord... Pourquoi régner, et comment ? Parce que le roi incarne l'identité de la nation, qu'il doit demeurer accessible à tous, qu'il ramasse en sa personne l'histoire et les racines du pays. Il est aussi là pour tempérer les excès des uns et des autres, droite ou gauche. L'homme politique ne peut plus rêver de toute puissance : il a un souverain au-dessus de lui ».

Pourquoi convergent-ils ? Ce sont des hommes responsables qui peuvent être appelés à assumer une charge écrasante, aussi convoquent-ils leurs fidèles au "possible" afin qu'au bout du bout, il ne puisse pas être dit en cas d'échec que l'affaire n'était pas jouable parce qu'utopique. La monarchie constitutionnelle du modèle éprouvé dans ce siècle est un projet faisable. En fait, ils y croient !

Si les royalistes étaient conséquents, ils devraient s'en tenir là, apprendre par cœur la formule du comte de Paris et travailler sur ces axes. Au lieu de quoi, on fouille greniers et grimoires à la recherche d'un monde disparu dans ses codes non écrits, plaquant sur le pays des dogmes déconnectés des réalités, mais avec la certitude perverse que la perte de temps de ces travaux de vulgarisation d'idées échouées ne portera de toute façon aucun préjudice à une cause il y a longtemps perdue. C'est de l'autoprédiction. Je tue le projet pour constater qu'il est mort. A dire vrai, et je voulais le faire dans le billet des 1001 nuits, depuis dix ans que mes activités professionnelles relâchées m'ont permis de revenir à la promotion de la cause monarchiste, j'en serais presque à partager l'avis des princes : le problème, c'est les royalistes !




La solution n'est pas ailleurs que dans la prise de commandement du mouvement par le prince. Le "royalisme" ce n'est que ça, finalement. La publication d'une note hebdomadaire d'Henri d'Orléans sur le site du CRAF est une contribution enrichissante, mais surtout positionne le prince au bon endroit. A bon entendeur, salut.


9 commentaires:

  1. J'ai lu avec attention votre billet et je dois dire que je suis partagé.
    D'un côté je partage votre analyse du mouvement royaliste qui est le principal fossoyeur du retour du roi et de l'autre, mon éducation,ma formation intellectuelle, mon adhésion au catholicisme plutôt "tradi" ou du moins conservateur, font que j'ai du mal avec le mariage de la démocratie et de la royauté.
    Je ne vois pas la différence entre la Belgique et la France, si ce n'est que le roi est l'arbitre de son pays et qu'il l'incarne... C'est tout !
    Même si j'apprécie beaucoup vos billets,je suis obligé de reconnaître qu'entre vous et moi, il y a un abîme. Ne serait-ce que parce que je crois à la Providence, pas vous. Même si elle est actuellement aux abonnés absents, il y a certainement une raison. Je ne la connais, mais je m'y soumets.
    Pour en revenir au sujet, tant que les princes ne prendront pas en main leur destin, d'autres le prendront en leur nom.
    Il nous manque un capitaine. Nous n'avons que de petits sergents-chefs qui se disputent la gouvernance.
    Bien à vous !

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  2. Je vous remercie de votre commentaire avisé, mais à attendre la Providence, le pays aura terminé sa page d'histoire. D'autres y viendront écrire la leur. Et je ne sais ce que nous aurions mérité si fort pour en arriver là. Aussi promeus-je d'aller au rayon frais et de faire du neuf, du moins d'essayer, sachant que les monarchies constitutionnelles du Nord sont des réglages fins peu adaptés à notre tempérament "tout-ou-rien".
    Merci encore.

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  3. C'était bien l'avis de l'ancien Comte de Paris, que les royalistes étaient ce qui gênait la cause royale !
    Celui-ci a redit la même chose dans une émission.
    Les princes doivent se défaire d'un entourage donnant une image plus que désastreuse. C'est le cas aussi chez Jean d'Orléans. Ou quand ça devient beaucoup plus scabreux, déclarations apparemment publiées au nom de Louis de Bourbon mais qui contrecarrent ses déclarations antérieures, ou comportements inconcevables pour le moins de la part d'un certain proche entourage...
    Le prince, lorsqu'il est inactif, ne doit pas être doublé par son entourage, malgré toute sa sincérité ! Se reposer sur lui est naturel pour l'ordinaire, mais celui-ci ne doit pas être chargé de missions de haut niveau.
    Si les princes choisissent d'agir, ils doivent instruire et contenir leurs troupes y compris ceux qui se réclament d'eux.

    Pour ce que vous appelez la prise de commandement du prince, je ne la trouve utile que si elle recouvre toutes les situations, et aujourd'hui je pense que ces princes, de par leur personne, ne sont pas en mesure... Trop d'incertitudes aussi, manque de projet en dehors d'un idéal très théorique nourri de principe. Le risque de se muer en chef de parti, voire pire.
    Il doit exister un autre que le prince, pour ce rôle de permettre la transformation effective vers une monarchie, le prince vient ensuite. Il s'agit du gêne manquant de la cause royale pour la réalisation efficiente. Et pour assembler ce qui est bien perçu de l'extérieur comme une nébuleuse. Elle aurait tout avantage à accepter les dynamiques qui se présenteront pour la mettre en orbite.

    Mais si la prise de commandement du prince intervient cependant : - soit pour rassembler ses fidèles peu nombreux - voire, les diviser comme récemment...
    - soit pour se manifester au-delà, par-dessus la tête du royalisme, sans l'ignorer bien sûr, mais en le transformant en serviteur utile.

    Vous avez raison d'appeler au centrage sur les institutions ! C'est là seulement que le public peut attendre le royalisme. Elles lui donnent son sens qui ne réside pas dans des combats qui ne le concernent pas, dans lesquels il se complaît pour mieux demeurer dans cette spirale de l'échec que vous décrivez depuis longtemps.

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    1. Vous analysez bien la situation. Je pense qu'à 79 ans bientôt, Henri d'Orléans va se mouler dans une position de sagesse qui lui va bien car il est très cultivé et a un sens indéniable de la vulgarisation de ses idées.
      Jean d'Orléans est plus enclin à se battre sur le terrain et il a renouvelé son profil facebook. Il a besoin de muscler ses convictions politiques et économiques pour présenter une offre crédible. On en reste pour le moment dans les généralités. Mais sa volonté inlassable augure d'un meilleur avenir. Il doit s'entourer de compétences réelles, ce qu'il n'aura aucun mal à trouver dans la société civile en dehors du mouvement royaliste car il y est bien accueilli.
      Reste le cas de Louis. Quand il parle impromptu, son message est clair mais limité. La question est de savoir qui rédige les textes lus - ça sonne parfois bizarrement - et quelle est la licence octroyée à son secrétariat pour communiquer en son nom. Et là, il y a des bourdes inquiétantes.
      Au résumé, dans l'axe de ce billet, il n'y a que Jean d'Orléans en ce moment.
      Merci de votre contribution indispensable.

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    2. Il est clair que si Louis à la droit d'aînesse pour lui ça ne pèsera pas lourd en cas de restauration. On le sens très hésitant comme s'il reculait à aller à l'ouvrage. Ce qui n'est pas le cas de son cousin Jean d'Orléans.

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    3. Les Lois ne sont pas irréfragables, en cas de péril.

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  4. Repris sur le forum VLR aujourd'hui (pour achivage):

    Si le droit du prince naît du besoin du peuple, il doit bien reconnaître lui-aussi que ce besoin doit s'exprimer et être porté au pied de l'exécutif par des représentants mandatés. L'art du reste est comme pour la guerre, tout d'exécution.

    Les monarchies du Nord sont elles-aussi menacées par l'ordinaire du jeu démocratique mais elles ont leur pointe de pyramide, leur clef de voûte qui tient l'ouvrage, alors que les républiques voisines (sauf la Suisse) voient le civisme et le patriotisme monter et passer le toit troué de l'édifice comme la fumée sort de la yourte mongole.

    Le possible est donc bien un roi dans son domaine régalien, présidant au destin de la nation au fur et à mesure de l'alternance des politiques publiques que le peuple est libre de choisir par la détestable loi du Nombre. Mais Churchill l'adouba au motif du régime le moins pire. Faut-il encore que dans ce régime du moins pire la représentation démocratique corresponde au pays réel, ce qui est loin d'être le cas en France où l'escroquerie est flagrante.
    [cf. RA 18/6/11]

    Comment y parvenir ? Mais les princes ont la réponse. Quand ils sentiront le consensus du mouvement sur ce projet, ils auront envie de l'expliquer. Jusqu'à présent leurs convictions sont bafouées. Voir l'affaire de l'Oeillet Blanc, mais surtout le ton des supporters de chaque bord à l'endroit de l'autre bord, on se croirait sous la Convention.
    Il y a beaucoup plus de gens en vue qu'on ne croit, qui économiseraient le désordre extravagant de la présidentielle en pérennisant la clef de voûte, et laisseraient le gouvernement gouverner. C'est un bon début.

    En attendant, notre action la plus rémunératrice en termes de propagation de nos idées est de graver précisément dans l'Opinion les limites de ce domaine régalien, jusqu'à proposer d'arracher à la Dispute parlementaire les pouvoirs ainsi désignés, afin de mettre l'essentiel de notre Etat en sûreté.

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  5. Le "mouvement" royaliste n'est le fossoyeur de rien du tout, car il n'existe pas. Ce n'est qu'une somme d'individualités certes divisées mais si peu nombreuses que c'en est risible.

    Le problème de la monarchie est qu'elle n'intéresse plus grand monde car la société a changé : entre les monarchistes à l'ancienne, préoccupés de préserver un mode de vie qui va en disparaissant, et les monarchistes modernes qui voudraient couronner la république et ses valeurs (on se demande bien pourquoi), il n'y a guère de place pour une idéologie cohérente et séduisante.

    Le seul espoir de la monarchie, c'est désormais l'effondrement systémique de ce que nous connaissons !

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    1. "La" cohérence n'existe plus dans les pays sophistiqués (ou développés) mais on peut trouver "des" cohérences parallèles ou affrontées comme on les discerne dans la mondialisation appliquée.
      Au bord du gouffre, l'Occident ne sautera pas. Il mutera et je crois bien que personne ne sait vers quoi.
      Merci de votre commentaire, Lorenz, ce n'est pas si souvent :)

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