vendredi 22 juin 2012

Le mouton rose

Le sommet euro-continental d'aujourd'hui à Rome est présenté chez nous comme une mise au pied du mur de la Chancellerie. Sans croissance, les économies malades de la Providence mettront l'Allemagne dans l'embarras deux fois : l'une par la récession générale détruisant les débouchés latins de la Deutschland AG, l'autre par le spectre d'une faillite emportant avec elle l'argent que l'Allemagne a consenti de leur donner. C'est faux.
L'accusé sera ce soir la France de M. Hollande, pour deux raisons pareillement.
L'une est que le programme politique annoncé - s'il est confirmé à Rome - va à l'encontre du bon sens dès que l'on sait qu'il n'y a pas de mine fiscale à creuser en France, celle-ci étant championne de pression fiscale (cf. Bernard Monassier dans Le Figaro de ce matin), l'autre que l'incrédibilité française est un ferment d'hystérie sur les marchés financiers. Personne au monde ne croit dans notre médecine socialiste, à tel point qu'on prend ça pour une blague électorale sans lendemain. Mais s'il est confirmé de la part de la délégation française que ce n'en est pas une, alors ce sera autre chose.

L'Allemagne avance sur un projet carré (que l'on peut détester) fondé sur la fédération des politiques économiques, fiscales et sociales, fédération qui une fois acquise ouvrira la porte à une mutualisation des problèmes rencontrés dans cet espace. Le dit-espace n'est pas prévu pour loger les 27 pays. C'est explicite.
Comme le décideur en filigrane de cette fédération est Berlin, la France a sans trop d'effort compris qu'elle y laissait sa souveraineté. A quoi les cousins germains répliquent : quelle souveraineté ? Vous n'en avez plus. Et c'est bien ce qui nous fait mal. Alors que nos cousins latins ont acté la perte de souveraineté dès lors qu'on téléphone partout pour faire l'échéance, la France, à qui reste un peu de l'ADN gaullien, se cabre... parce qu'elle n'a pas encore décroché le téléphone. Les débuts du gouvernement Ayrault, qui cherche déjà à combler un trou de 10 milliards cette année, nous promettent de bientôt tester la ligne.

Le chef de la Wilhelmstraße a tout à fait raison de dire que rien ne se redressera en Europe si le reste du monde continue à sérieusement douter de notre capacité à nous projeter concrètement dans le futur : « La réaffirmation du projet européen est la mesure déterminante pour restaurer la confiance et aussi pour surmonter la crise de la Dette. Aucun investisseur ne misera sur l'Europe s'il n'a pas le sentiment que l'Europe croit en elle et travaille pour la faire avancer [...] Elle est aussi notre meilleure garantie de prospérité dans un monde multipolaire qui se globalise, avec de nouveaux centres de pouvoir.»
On comprend maintenant que la réaffirmation du Projet européen actée dans une feuille de route signée par tous les participants est la condition sine qua non posée par la Chancellerie à ses partenaires pour simplement parler autour de la table. Même les mesures les plus urgentes concernant l'Espagne et la licence bancaire du FESF réclamée par l'Italie sont réglées par ce préalable.

Or la pragmatique Italie et la fière Espagne sont d'accord pour marcher à la fédération, pour des raisons différentes mais bien réelles ; l'une parce qu'elle doit absolument souder sa moitié utile, le Piémont-Lombardie-Emilie-Romagne, à la prospérité de l'arc alpin ; l'autre parce que son Etat central se délite sous les coups répétés de ses provinces industrielles séparatistes et qu'une fédération européenne lui donnerait de l'air en déplaçant la source de pouvoir hors d'atteinte et en élargissant le périmètre d'une solidarité coûteuse ; elle-aussi comme l'Allemagne est un Etat fédéral, mais non stabilisé.
La France, réticente malgré la liquéfaction de ses capacités, va donc être le mouton noir de la réunion en se payant de mots comme on en a entendus toute cette semaine.

Sans moyens décisifs, sans projet clair, lisible, résisterons-nous à l'Empire ? Nous ne pouvons pas y résister seuls. Ça se saurait.

Spéciale dernière (22/6-17:50)
A Rome, Mme Merkel a obtenu l'union politique et M. Hollande vient d'acheter la solidarité contre l'entrée dans une fédération à l'allemande. Extrait de la dépêche de Reuters :
Au fur et à mesure du renforcement de l'Union et de l'intégration européenne, « les eurobonds seront un instrument utile pour l'Europe et je continuerai à travailler dans ce sens », a ajouté le président français. Il a estimé que les abandons de souveraineté, que suppose le renforcement de l'intégration politique européenne, devaient être effectués en fonction du renforcement de la solidarité entre les membres de l'UE. « Les abandons de souveraineté ne sont pas possibles sans renforcement de la solidarité », a-t-il insisté. (fin du communiqué Reuters)
C'est exactement la formulation de l'exigence allemande : la solidarité contre l'union dans les règles. On saura le 29 juin à Bruxelles si la fédération est actée dans l'Eurogroupe.

11 commentaires:

  1. Votre pragmatisme m'étonnera toujours.
    A vous lire, on dirait que nous ne pouvons pas aller contre ce fédéralisme européen.
    Et le royalisme dans tout ça. Cette idée est plutôt liée à l'idée de patrie. Le roi de France n'était-il pas "empereur en son royaume? Que deviendrait une éventuelle restauration dans cet empire dont on sait qu'ils ne sont pas viables lorsque l'on regarde l'Histoire. Ils se sont tous écroulés.

    D'autant que ce nouvel empire sera basé sur des fondations économiques et non sur une culture,une histoire, une religion (chrétienne) commune.

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    1. Cher jeff,
      Je ne donne pas mes préférences, j'essaie d'allumer le projecteur de mon pronostic (gratuit) sur deux sommets européens d'aujourd'hui et du 28 juin qui vont marquer leur temps puisqu'il faut décider maintenant : fédération ou confédération.
      Si le roi de France était empereur en son royaume, le président Hollande ne l'est pas plus que son prédécesseur. La souveraineté convoque des moyens que nous n'avons plus, par notre faute. Et notre propension à négliger l'économie au bénéfice de l'incantation politique nous a conduit à nous faire dicter nos lois de l'extérieur.
      L'économie d'abord ! S'il n'est pas trop tard.

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  2. Le dernier Président de la république industriel était Georges Pompidou. Il est mort il y aura bientôt 40 ans ! 40 ans de politiciens amusés aux jeux politiciens et qui se saoulent de discours ronflants en voulant imiter le général De Gaulle qui s'y connaissait en mots ronflants. Que voulez-vous avoir à la fin ? Derrière l'écran politique, il y a une économie immature et subventionnée, incapable de combattre dans la mondialisation.
    "Economie d'abord" n'est pas français.

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    1. Vous avez raison, mais le peuple français est d'une essence politique et l'économique a toujours été un accessoire du politique.
      Les territoires d'empire qui sont à l'est n'ont pas cultivé la fibre politique de leurs peuples puisque la fonction était remontée à la cour impériale. Ces pays se consacraient donc à l'industrie et au commerce, et à la recherche scientifique appliquée. Les fondeurs des canons Gribeauval de Louis XVI étaient suisses parce que les fondeurs français de l'ingénieur Vallière n'étaient pas bons !

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    2. Si on va plus loin, voulez-vous dire que l'état-nation jacobin est une régression ?
      Gérard

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  3. Sans doute pas une régression mais peut-être un handicap sur une grande superficie. L'Etat-nation est tabou à droite et on a tué jadis les Girondins qui le remettaient en cause. La République ne sait pas décentraliser car elle est d'essence coercitive et a peur de libérer les mauvaises idées si elle pousse trop à la subsidiarité.
    C'est pour ça aussi que les présidents de région sont toujours des seconds couteaux de division 2, en général des battus au plan national. Pas de "vedettes" ! Mais le schéma jacobin est en train de se déliter car le pouvoir central n'a pas le niveau intellectuel des enjeux de demain.

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  4. A Rome, Mme Merkel a obtenu l'union politique et M. Hollande vient d'acheter la solidarité contre l'entrée dans une fédération à l'allemande. Extrait de la dépêche de Reuters :
    Au fur et à mesure du renforcement de l'Union et de l'intégration européenne, « les eurobonds seront un instrument utile pour l'Europe et je continuerai à travailler dans ce sens », a ajouté le président français.
    Il a estimé que les abandons de souveraineté, que suppose le renforcement de l'intégration politique européenne, devaient être effectués en fonction du renforcement de la solidarité entre les membres de l'UE. « Les abandons de souveraineté ne sont pas possibles sans renforcement de la solidarité », a-t-il insisté.

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  5. Contrairement à vous, la presse d'aujourd'hui voit le résultat de la réunion de Rome avec des lunettes roses. Elle explique que Hollande a extorqué la croissance à Merkel !

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    1. Oui, j'ai vu, même Le Point est sur cette ligne du triomphe; ce qui ne laisse de m'étonner. Pourtant quand on va au-delà des fausses exégèses journalistiques et qu'on vérifie les assertions françaises à l'aune de leurs réponses italiennes, allemandes ou espagnoles, on voit que ce qui a avancé c'est d'une part l'union politique et d'autre part l'engagement de crédits et moyens qui étaient déjà acceptés (fonds inutilisés chez Barroso, effet-levier de la BEI). La licence bancaire du FESF, nein, l'union bancaire, nein, les euro-obligations, nein. C'est le 28 et le 29 juin qu'on connaîtra le programme et si Hollande se pliera à la Règle d'Or ou pas, avec les conséquences qu'on devine mais qui méritent d'être explicites.

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  6. Lu dans le Figaro.fr aujourd'hui! Effectivement, l'etape suivante c'est bel et bien la Bundeswehr sur les Champs Elysées!

    http://elections.lefigaro.fr/presidentielle-2012/2012/06/25/01039-20120625ARTFIG00756-bruxelles-va-pouvoir-surveiller-de-tres-pres-le-budget-francais.php

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    1. Hier soir à "C dans l'air", Elie Cohen a montré comment tourne le Rubik's cube de la marche à la fédération. Tantôt sous-jacent par les procédures bruxelloises, tantôt explicite comme aujourd'hui.
      Cette année sera une année de forte accélération par contrainte, mais il n'est pas si sûr que les "peuples" soient aussi contre qu'on ne le dit. L'euroscepticisme est une affaire d'éducation, ses ténors sont de l'élite, mais la grande majorité des politiques sont fédéralistes.

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