L'Anneau du Pêcheur de Jean Raspail (Albin Michel, 1995) est une histoire forte qui narre la perdition du canal historique de la papauté dans les sables de la morale adaptative aux forces du siècle. La corruption de la Curie romaine étalée ces jours-ci nous rappelle d'où provient la lignée de papes en charge de l'Eglise depuis le grand schisme d'occident. Née de combats sanglants entre princes romains et cardinaux avides de recouvrer les ors et prébendes déportés en France, actée à l'issue des compromissions politiques européennes du concile de Constance entre parjures et trahisons, elle est issue de la pourriture originelle et en recrée en continu, comme s'en désolait SS Benoît XVI dans la première homélie de son pontificat. Il voulait en arracher le clergé mais cette pourriture est consubstancielle à la nature humaine, elle en est le substrat, la promesse de vie, le regain. Il n'est que de souhaiter qu'elle conserve une forme spirituelle, voire intellectuelle, et ne s'incarne pas dans la concupiscence et parfois le sordide. Que l'Eglise ne sache que pêcher des pécheurs valorise ce fumier, mais qu'elle veille à n'en point être le composteur.
Les oripeaux de la puissance matérielle dont se parent la Curie ne peuvent cacher l'indigence de la puissance spirituelle qui recule partout devant la démocratie des concurrents. Sauf le bouddhisme qui est une école d'introspection égocentrique dense et perforante, les religions de masse délaissent l'eschatologie fondamentale pour la convivialité, la compassion, la charité dont le carburant est l'émotion. La progression spectaculaire des temples évangéliques est un marqueur très évident de cette dégradation spirituelle, parfois mentale. La haine mise en culture dans les mosquées fait son pendant, et on en construit beaucoup, preuve que la régression est générale. La quête des faveurs célestes les plus triviales envahit les temples taoïstes que la Chine a rouvert. Comme un canard sans tête l'homme court vers le bruit de ses congénères, il n'est pas sûr qu'il y apaise ses appréhensions existentielles. La survie de l'homme, seule entité vivante à connaître ce seuil, ne peut être à la merci d'églises en toc.
Quand "Benoît", le pape errant, se dresse face à l'agent diplomatique du Vatican au dernier jour de son retour vers Rome, devant la petite cathédrale de Sénez, c'est pour mourir debout, comme un saint des légendes, un pieu de chair et d'os pétrifié par son âme encore captive. Il attend l'ascension qui conjure la tragédie humaine. La pièce ne commence vraiment qu'à l'acte II. Le dénouement choisi par l'auteur, une inhumation officielle et discrète du successeur des papes d'Avignon dans la crypte profonde de la basilique Saint-Pierre, vise à réconcilier l'impossible par la simple extinction du signe. Or le signe n'est pas à la merci d'une pierre tombale, il court les âmes comme un feu follet, on le croit disparu là qu'il renaît ici et saute chemin faisant sans but, pour nous dire qu'il n'y a rien à comprendre et tout à croire, ce qui n'est pas d'acception commune dans ce monde en preuves. Et finalement la geste est dérisoire, seul vaut l'esprit. L'Esprit.
Amen.
Je ne sais pourquoi ce billet, ce sermon de midi, revient en force dans les statistiques du blogue Royal-Artillerie. J'y apporte un codicille.
RépondreSupprimerJe me souviens de l'avoir rédigé après avoir subi l'homélie... comment dire, minable, d'un assomptionniste à la messe du dimanche, qui avait cru suffisant de ne rien préparer et de seulement délayer l'évangile du jour.
Et je m'étais dit que ce n'était pas si difficile de captiver un auditoire enfermé dans des bancs de bois ! C'est pourquoi il faut déclamer ce sermon pour en prendre sa saveur.
Merci de tous ces clics.
Ceci dit, je retourne en 2014 !