lundi 5 novembre 2012

22 v'la le Gallois

On a eu le rapport Attila, voici le Gallois. Les Champs catalauniques ne sont plus très loin. Après une analyse du paysage industriel français qui convoque des réalités désagréables, et met le doigt sur l'incompétence des pouvoirs publics depuis longtemps, seulement vingt-deux mesures, intelligentes, concises et plus faciles à retenir que les 300 d'Attali qui est un romancier né.
A la lecture des attendus, on mesure la perte de niveau assez grave de notre pays par rapport à ses voisins et concurrents mais tout autant l'insuffisance crasse des hommes politiques qui se sont succédés à sa tête, se passant les marrons chauds. Nous sommes en station point fixe depuis la ré-élection de Jacques Chirac en 2002, soit 10 ans de perdus difficiles à rattraper avec la démobilisation morale d'une opinion revenue de tout. Peut-être que la gravité évoquée relativisera les bouleversements sociétaux derrière lesquels le pouvoir cache son impéritie.
Voici ces propositions telle que le rapport les résume à la fin, et nos commentaires brefs mais gratuits. Le rapport intégral est accessible en ligne.

1ère proposition :
l’État s’engage à ne pas modifier cinq dispositifs, au moins, au cours du Quinquennat :
- le crédit impôt recherche ;
- les dispositifs dits « Dutreil » favorisant la détention et les transmissions d’entreprises ;
- la contribution économique territoriale (68 modifications de la taxe professionnelle en 35 ans !) ;
- les incitations « sociales » aux jeunes entreprises innovantes, rétablies à leur niveau de 2010 ;
- les dispositifs en faveur de l’investissement dans les PME, notamment « l’IR PME » et « l’ISF PME » (annonce du Président de la République à la Remise des Prix de l’Audace Créative – le 20/09/2012).
Lutter contre la fébrilité des administrations harcelées par les cabinets ministériels est une priorité bienvenue, tout chef d'entreprise, petite ou grande, sait ce que cela veut dire en temps perdu et coût comptable de subir une bureaucratie tsariste.

2e proposition :
introduire dans les Conseils d’Administration ou de Surveillance des entreprises de plus de 5000 salariés, au moins 4 représentants des salariés, sans dépasser le tiers des membres, avec voix délibérative, y compris dans les comités des conseils.
Le travail doit entrer dans la chambre décisive comme en Allemagne. La mise à niveau des représentants des salariés se fera progressivement, au détriment peut-être des délégués syndicaux révolutionnaires. Tant mieux si on peut se défaire de cette gangrène typiquement française.

3e proposition :
créer un Commissariat à la Prospective, lieu d’expertise et de dialogue social. Accompagner chaque Loi de Finances d’un rapport sur la situation de l’appareil productif fondé sur les travaux du Commissariat.
Enfin un marqueur des réalités dans une enceinte idéologique quoique des rapports de commission parlementaire très pertinents n'aient jamais pu faire dévier la politique myope des gouvernements successifs.

4e proposition :
créer un choc de compétitivité en transférant une partie significative des charges sociales jusqu’à 3,5 SMIC – de l’ordre de 30 milliards d’euros, soit 1,5 % du PIB – vers la fiscalité et la réduction de la dépense publique. Ce transfert concernerait pour 2/3 les charges patronales, et pour 1/3 les charges salariales.
Prioriser la réduction drastique de la dépense publique aurait été plus sincère mais refusé d'entrée comme la proposition suivante. Par contre il vaut mieux revenir à une hausse de la TVA normale qui frappe aussi les importations alors que la CSG (flat tax) pèsera sur tous y compris les petits salaires.

5e proposition :
mener les recherches sur les techniques d’exploitation des gaz de schiste.
Impossible ! Les Verts vont devenir verts !

6e proposition :
aligner les conditions de crédit et des garanties export, en volume, quotité et taux
sur le meilleur niveau constaté dans les pays avancés et créer un « prêteur direct » public.
Tout exportateur réclame cela et un assouplissement des lignes de crédit export à sa banque, lignes gérées par des comptables en lustrines déconnectés des réalités. Voir le E-Hermes allemand qui fonctionne en régie.

7e proposition :
sanctuariser le budget de la recherche publique et celui du soutien à l’innovation sur la durée du quinquennat.
Assez de yoyo, assez de caprices, la R&D c'est du temps long qui doit être stabilisé. mais qui empêchera un sous-ministre d'avoir aussitôt une mùeilleure idée que son prédécesseur. Solution ? Supprimer ce sous-ministre.

8e proposition :
créer un mécanisme d’orientation de la commande publique vers des innovations
et des prototypes élaborés par des PME : objectif de 2 % des achats courants de l’État.
C'est dans le détail qu'est le diable, il faut voir le mécanisme démonté sur la table.

9e proposition :
créer, au sein de la BPI, un produit constitué d’actions de préférence sans droit de vote (bénéficiant en contrepartie d’une rémunération privilégiée).
Pas d'avis.

10e proposition :
élaborer un équivalent du « Small Business Act », comme cadre de cohérence des dispositifs en faveur de la croissance des PME.
A mon avis c'est le voeu pieux avec un parti politique aussi loin des réalités entrepreneuriales.

11e proposition :
conditionner les soutiens de l’État aux actions des grandes entreprises à leur capacité à y associer leurs fournisseurs et sous-traitants.
Cette solidarité sur plusieurs axes est nécessaire. Si elle fonctionne dans des pays à l'esprit caporalisé, il m'étonnerait qu'elle prospère en france où le moindre succès monte à la tête.

12e proposition :
renforcer la gouvernance et les moyens des comités de filières de la Conférence nationale de l'industrie.
Pas d'avis.

13e proposition :
donner aux Régions la responsabilité de coordonner l’action des différentes structures régionales en charge de promouvoir l’innovation et le développement de l’industrie, ainsi que d’animer le dialogue social.
Les institutions régionales ne disposent pas dans leur recrutement des compétences requises. C'est peu dire. Il faudra sous-traiter la coordination ce qui implique un prix difficile à assumer.

14e proposition :
systématiser la présence des entreprises dans la gouvernance de l’enseignement technique et professionnel au niveau des établissements (Conseils d’administration), des Régions (établissement des cartes de formation) et au niveau national.
Bien évidemment, n'en déplaise aux syndicats d'enseignants... électeurs de M. Hollande. La proposition sera donc vidée de sens avant d'être appliquée.

15e proposition :
doubler le nombre de formations en alternance sur la durée du quinquennat.
Excellente disposition où l'on mesurera la prise de conscience des entreprises dans le pacte global.

16e proposition :
demander aux partenaires sociaux de négocier les modalités de mise en oeuvre d’un compte individuel de formation, « crédité » soit au début de la vie active, soit chaque année, et attaché non au statut, mais à la personne.
Je croyais que cette bonne mesure était déjà sur les rails. Des syndicats l'avaient proposée.

17e proposition :
confirmer aux Commissaires aux comptes qu’ils doivent obligatoirement joindre à leur avis sur les comptes de l’entreprise, un rapport sur le crédit interentreprises. Prévoir des sanctions administratives (DGCCRF) en cas de manquement aux règles sur les délais de paiement.
Les commissaires aux comptes français sont des compères. Il faut trouver autre chose pour que le crédit inter-entreprises reviennent à des délais soutenables.

18e proposition :
allonger la « durée » des contrats d’assurance vie par une adaptation de leur régime fiscal ; avantager fiscalement les contrats en unités de compte (c'est-à-dire investis en actions) et les « contrats diversifiés » par rapport aux contrats dits en euros (placements essentiellement obligataires).
Pas d'avis.

19e proposition :
doubler en cinq ans la capacité de France Investissement (BPI) à développer des partenariats public-privé dans le domaine du capital-investissement pour soutenir les entreprises ayant de forts besoins d’investissement au moment de l’industrialisation de leurs innovations.
Pas d'avis motivé.

20e proposition :
donner au Commissariat général à l'investissement la mission de porter trois priorités techniques et industrielles :
(1) les technologies génériques, (2) la santé et l’économie du vivant et (3) la transition énergétique.
C'est un choix qui se défend. Pourquoi 3 et pas 2 ou 4 ? Rien pour l'économie numérique, c'est une lacune relativement grave !

21e proposition :
accompagner toutes les décisions européennes concernant la concurrence d’un avis d’experts économiques et industriels extérieurs à la Commission ; cet avis serait public.
Les Etats disposent déjà d'experts comme un chien des puces, il suffit de les impliquer directement dans les décisions de concurrence et non-concurrence en raccourcissant en même temps la laisse du commissaire ad hoc.

22e proposition :
autoriser les entreprises qui le souhaitent à faire présider le Comité d’Entreprise par un représentant des salariés.
La compétence doit primer partout. Si un travailleur est plus intelligent, plus résilient qu'un capitaliste, alors il doit assurer le job.


outil d'application



Comme le disait Jacques Attali du sien en 2008, ce genre de rapport tient par sa cohérence, c'est un tout, à prendre ou à laisser. Dans son passage à la télévision ce soir, Louis Gallois a affirmé sa pleine liberté de jugement et moins brutalement que son prédécesseur, a dit que la balle était dans le camp des politiciens, se retenant sans doute d'ajouter qu'elle était au fond des filets.

Les premières réactions sont celles de politicards enfermés dans des combinaisons d'appareil. On saura demain soir le parti que le gouvernement prendra. Ces gens sont un peu dépassés, comme le président Hollande qui se réfugie derrière la théorie des cycles économiques et nous disait tantôt d'attendre le renversement de phase qui apporterait la croissance. Les agences de notation sont aux aguets. Les voyantes doivent se faire un fric fou.


6 novembre 2012 - 16h00. Premier retour de Matignon:
M. Gallois a rendu la politesse en déclarant que le gouvernement avait pris la mesure du problème. On peut néanmoins penser que le pouvoir, acculé au mur des réalités par le réquisitoire impitoyable du rapport, prend son temps désormais, non pour afficher sa détermination qui est urgente, mais pour la mettre en oeuvre, ce qui l'est moins.
Louis Gallois jugeait hier que l'affaire devrait être bouclée en un an, voire deux au grand maximun pour certaines mesures un peu plus imbriquées ; le gouvernement dérive déjà vers du moyen terme et les usines à gaz annoncées fonctionneront autant que les décrets d'application seront "applicables".
Les 30 milliards destinés à compenser seulement pour moitié la perte de marge de l'industrie française deviennent 20 milliards, dont 10 seront servis en 2014 par la hausse des taux et 10 en 2015 par le rabotage de la dépense publique des collectivités territoriales. D'ici là de l'eau sera passée sous le Pont Neuf.
Les apprentis passeront de 420000 à 500000 d'ici à 2017 quand le rapport demandait un doublement des contrats d'alternance. Ni fait ni à faire, le morne Ayrault ce soir nous vendra, en termes pesés depuis dix jours, la procrastination normale de son maître ahuri, adepte des cycles économiques, mais avec de nombreux détails pour noyer l'incurie. Pas de choc, ni de confiance, ni de compétitivité. La politique chamallow continue.

2 commentaires:

  1. Ce matin, sur la chaîne Public Sénat, intéressante communication de Louis Gallois à la Commission conjointe des finances, malgré les ruptures de rythme imposées par le sénateur Marini, tout à sa boursouflure.
    Les questions et réponses étaient d'un bon niveau. Nous mettrons le lien de rediffusion quand il sera édité par PS.

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