mercredi 3 septembre 2014

Boutang, un fantôme ?

Au jour J, la 15 serrait à droite et s'arrêtait pile devant le point de presse et mon père restait au volant, moteur tournant, une habitude sans doute acquise au maquis où couper le contact pouvait être fatal, même si ce n'était plus la même traction. Je bondissais dans la boutique et arrachait une "Nation Française" au présentoir des hebdomadaires, elle venait d'arriver et il y en avait peu. Si je devais faire la queue pour payer, mon père m'interrogeait du retard pour savoir si le marchand de journaux avait fait quelque difficulté. Jamais ! Déçu, il embrayait et nous rentrions à la maison dévorer l'édito de Pierre Boutang. Provinciaux de la montagne à vaches, nous étions sciés par l'acuité de l'intelligence du maestro qui enterrait profond tout ce ce qui se publiait alors dans la mouvance royaliste.


- en préparation depuis de longues années - 

La maison d'édition Les Provinciales a toujours le projet de publier huit cents pages d'éditoriaux de la Nation Française. La Somme politique de Boutang. Voici comment ils présentent l'ouvrage et nous économiserons notre clavier :

De Pierre Boutang nous préparons le recueil d’une centaine des éditoriaux les plus lumineux de « La Nation Française » (1955-1967). Ce livre doit faire connaître à un large public cet homme de la trempe d’un Jünger : « L’un des plus grands esprits de ce siècle » (Le Figaro), « auteur d’une œuvre multiforme et tempétueuse… d’une force de conviction et cohérence peu communes, et d’une imprudence qui se souciait peu des modes » (Le Monde). « Tout ce qui touche Pierre Boutang m’honore », aime à dire George Steiner.

En octobre 1999, les Éditions des Syrtes avaient édité une partie de son œuvre de critique littéraire (Les Abeilles de Delphes), et un deuxième volume est paru en avril 2003 aux Éditions du Rocher. Les Éditions de La Table Ronde préparent un gros volume de ses « Cahiers » métaphysiques. Mais ce vrai politique (au sens du parti des « politiques » au temps du roi Henri IV) brise au fil de ces chroniques-là la réputation un peu facile de pamphlétaire ou d’hermétisme qu’on lui a faite, car il s’y montre plein de mesure et de tendresse, directement en prise avec les soucis de son temps – et du nôtre – dans une magnanimité émouvante et une parfaite clarté.

La puissance philosophique de cette sorte de Péguy fulgurant s’était nourrie d’abord de vie réelle, et de celle tourmentée de son journal, où il se livra à une confrontation permanente avec ses lecteurs dans l’indétermination du temps. Cela commence avec les épreuves si douloureusement actuelles de la guerre d’Algérie (terrorisme et intégration), et cela s’achève au moment de la guerre de six Jours, par une série de textes particulièrement audacieux. Avec une hauteur de vue qui enjambait toutes les apparences trompeuses du siècle, les textes de ce recueil emportés sans effort au pas de course par une immense culture constituent, presque quarante ans après, L’Héritage de la Nation Française – le seul hebdomadaire que la France de Pascal, de Péguy, de Bernanos ait produit…

Royal-Artillerie ne manquera pas de signaler la parution de l'ouvrage qui est déjà un "collector". L'insupportable Juan Asensio que je lis régulièrement pour m'éviter le gonflement de chevilles, annonçait sur Stalker la parution imminente... en septembre 2009. Le même nous offre aujourd'hui une recension de la dernière réédition de Boutang, La politique considérée comme souci, impeccable as usual. Peut-être Olivier Véron devrait-il envisager une diffusion numérique de la compilation des éditoriaux de la NF pour surmonter les obstacles matériels apparemment plus forts que lui. Ce bouquin est indispensable. Aussi me suis-je permis d'inquiéter l'impassibilité de l'éditeur qui à mon "quand" répond adroitement.... "au moment opportun", ce qui reste "classe" quand même :

Les éditions des Provinciales reconnaissent un certain délai de refroidissement du canon, mais...
(1) elles ont déjà publié un premier segment de la Somme dans La Guerre de Six jours ;
(2) elles ont réédité La Politique-souci, pour nous faire patienter ;
(3) elles prennent en compte la révolution dans la communication intervenue dans la décennie. "Pour qu'un livre paraisse, il faut des justifications faramineuses, à présent…" nous confie Olivier Véron.

L'audience anticipée est-elle suffisante, doit être la bonne question. La réponse est peut-être dans l'édition numérique comme nous le pensons. Les rats de bibliothèque y perdraient beaucoup, huit cents pages, ça pose sur l'étagère, mais nous avons besoin d'entendre à nouveau Pierre Boutang, maintenant que les lignes bougent et qu'un changement de paradigme politique n'est plus très éloigné.



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