Les billets commémoratifs de Royal-Artillerie publiés pour le onze novembre n'ont jamais fait sa part à la Marine nationale. Voici pour l'avant-dernier, une évocation des batailles navales de cette année 1917.
La Mission du Centenaire recadre la guerre maritime à l'intérieur d'une note donnée par le professeur Frank :
La France avait laissé l'Atlantique orientale et la Mer du Nord à la Royal Navy pour mettre ses plus gros moyens navals en Méditerranée afin de protéger ses convois coloniaux et le débouché du canal de Suez. En Méditerranée la 1ère Armée Navale fit face aux marines des empires centraux et jusqu'en 1915 à la marine italienne. Les Austro-hongrois opéraient à partir des ports de l'Adriatique-nord comme Trieste et Pola (à la pointe de l'Istrie) où ils hébergèrent deux croiseurs allemands venus en renfort.
Une curiosité d'abord : En avril 1917 arrive à Malte le contre-amiral japonais Kōzō Satō sur le croiseur Akashi avec deux flottilles de quatre destroyers japonais (9 navires en tout) pour libérer la Royal Navy de ses missions d'escorte au commerce. L'Akashi était un croiseur de la classe Suma sur plans japonais (post-Bertin) mais surentraîné par les dommages subis lors de la guerre russo-japonaise de 1905-1906, croiseur qui avait fait entre autres la bataille de Chemulpo, le blocus de Port-Arthur, la bataille de Tsushima, jusqu'au blocus de Tsingtao en 1914. Le 1er juin, une troisième flottille de quatre destroyers rejoint Malte derrière le croiseur Izumo qui relève l'Akashi. Fin 1917, la Marine française se fait livrer à Port Saïd douze destroyers de fabrication japonaise du type Kaba. Elle avait déjà acheté 34 chalutiers nippons en 1916 pour les transformer en patrouilleurs. Même si les choses se gâteront plus tard, il y avait à cette époque une proximité certaine entre les militaires français et nippons, depuis Napoléon III en fait. L'ingénieur naval Emile Bertin (1840-1924) travailla quatre ans aux arsenaux nippons pour construire la flotte de l'empereur Mutsuhito. Les Russes lui doivent le désastre de Tsushima où 45 navires du Czar furent coulés par les fabrications et copies "Bertin", mais surtout parce qu'il avait fait assimiler le combat d'escadre aux amiraux nippons.
Aujourd'hui nous allons évoquer la classe révolutionnaire* Danton, des cuirassés lancés à partir de 1909 dans le cadre du Plan naval de 1905. Cette série "surclassée" par les Dreadnoughts anglais fit quand même le job au convoyage et sur le barrage du canal d'Otrante ; le principe de la cuirasse compartimentée sauva des milliers de vies dont celles de l'équipage du Voltaire torpillé deux fois au large de Milos en Mer Egée, qui put rejoindre Toulon. Le Danton, premier de la série - sa fiche détaillée et ses campagnes sont ici - était un cuirassé de 145 mètres de long et 18500 tonnes, propulsé par les nouvelles turbines à vapeur Parsons donnant 22500 chevaux ; le monstre filait 19 nœuds mais était limité en rayon d'action par une forte consommation des soutes dans ses 26 chaudières à charbon. Son armement était composé de deux tourelles doubles de 305mm, six doubles de 240, seize canons Schneider de 75, dix canons rapides Hotchkiss de 47 et deux tubes à torpilles de 450mm.
Le cuirassé Danton, escorté par le contre-torpilleur Massue (un bâtiment de la classe Claymore lancé à Toulon en 1906 avec des tubes de 450mm, commandé par le Lieutenant de vaisseau Cantener), appareilla de Toulon le 18 mars 1917 à 17h30 pour Corfou avec 946 officiers, officiers-mariniers, matelots d'équipage et 155 marins passagers rejoignant leur bord en Adriatique. Le signalement de sous-marins ennemis en Mer Tyrrhénienne obligea le commandant, capitaine de vaisseau Delage, à modifier sa route en choisissant la côte occidentale de Sardaigne plutôt que de doubler le Cap Corse vers Messine, et à se prémunir contre toute surprise en doublant ses vigies ; le convoi avançait en zigzag ; ce qui ne suffit pas.
Au milieu de la journée du lendemain (rapport du naufrage ici), par brise de nord-ouest, mer clapoteuse peu "lisible", au large de l'île San Pietro à la pointe occidentale de Sardaigne, la vigie de hune signala un sillage suspect à 500 mètres seulement. Un coup de canon de 47 fut tiré au jugé. A 13h17 selon la radio, le Danton recevait par son bâbord avant sous la chambre de commande de la tourelle de 305 puis en plein flanc au niveau des machines contre la chambre des dynamos, deux torpilles allemandes du sous-marin U-Boot 64 (Kapitänleutnant Robert Moraht - 1884-1956) qui sera grenadé et canonné ensuite le 17 juin 1918 par HMS Lychnis.
Le commandant Delage engagea le combat, mais les équipements électriques tombaient en panne les uns après les autres, jusqu'à la barre qui devint inopérante. Le contre-torpilleur qui ouvrait la route rebroussa chemin pour grenader le submersible. Dix minutes passées, le navire commençait à donner de la bande et les potences électriques des canots étaient inutilisables. L'équipage évacua sur ordre en se jetant à la mer pour rejoindre le Massue et un peu plus tard les chalutiers accourus sur zone. La ceinture d'acier alvéolée donna le temps nécessaire au Danton pour évacuer son équipage mais c'est l'honneur qui engloutit le commandant qui refusa de quitter la passerelle. Il y eut 296 morts, congestionnés ou noyés. Le grand Danton mit une demi-heure pour chavirer sur son bâbord et partir au fond, Delage restant cramponné à la passerelle criant "Vive la France". Ironie du sort : Delage était sous-marinier dans l'âme, ayant commandé auparavant le Gymnote, le Gustave-Zédé puis la 1ère Flottille sous-marine de Toulon en 1909.
Mais Joseph Delage (1862-1917) était plus que cela : il sortit de l'Ecole navale à dix-huit ans. Après une carrière dans l'Empire comme à l'Hôtel de la Marine à Paris, il entre en guerre à la tête du 1er régiment de fusiliers-marins et toujours devant aux combats d'Ypres, de l'Yser et de Dixmude, il est blessé le 23 octobre 1914, ce qui ne le prive pas de commander encore la manœuvre... Bref, un sacré tempérament de gaulois indestructible. On le retrouve en photo en août 1915 dans les tranchées à Furnes en conversation avec l'amiral Ronarc'h... puis il embarque à Toulon sur le Danton à la Noël 1915.
Des sondages hollandais pour un tracé de gazoduc repérèrent la gigantesque épave en 2008 par plus de mille mètres de fond. Bizarrement la descente du navire l'avait fait dériver de plusieurs nautiques, les coordonnées de 2008 ne correspondant pas à celles de 1917 (25 milles au SW du phare de Capo Sandalo), ce qui nous indique qu'il avait une carène fluide. La Marine de guerre perdit 19945 marins auxquels s'ajoutent 3200 marins au commerce (source Paul Chack). Quant à la brigade de fusiliers-marins de l'amiral Ronarc'h qui combattit sur l'Yser, elle fut consommée en totalité en seize mois (6500 hommes) selon ses propres mémoires. A l'armistice de 1918, les pertes matérielles françaises totalisaient 4 cuirassés, 5 croiseurs, 6 croiseurs auxiliaires, 23 contre-torpilleurs, 13 sous-marins, 75 avisos, patrouilleurs et chalutiers réquisitionnés. La guerre maritime ne s'achèvera pour la Royale qu'en mai 1919 quand cesseront les opérations de supériorité navale prévues en Mer Noire par l'armistice de Moudros entre les Forces de l'Entente et l'Empire ottoman (30 oct 1918).
La Mission du Centenaire recadre la guerre maritime à l'intérieur d'une note donnée par le professeur Frank :
« Les batailles en mer sont moins sanglantes mais décisives en 1917. La bataille du Jutland de la fin mai 1916 avait confirmé l’incapacité de la marine de surface allemande face à la supériorité de la marine britannique même si celle-ci avait subi des pertes plus importantes dans cet affrontement naval. Au blocus maritime infligé par la Grande-Bretagne qui provoque de graves pénuries, préjudiciables à ses industries de guerre, à son ravitaillement et au moral de sa population, l’Allemagne répond par l’attaque des navires de commerce par ses sous-marins. En janvier 1917, elle décrète même "la guerre sous-marine à outrance" dont les premiers succès sont indéniables. En avril, plus de 860000 tonnes de bâtiments marchands sont envoyés par le fond. Après les empires centraux, les alliés connaissent donc à leur tour de sérieux problèmes de ravitaillement. Mais, le Royaume-Uni, avec l’aide des Américains, gagnent cette bataille de l’Atlantique en organisant des convois pour protéger les navires civils. Les pertes tombent à 400000 tonnes en décembre et à 300000 au début de l’année suivante. La dissymétrie est rétablie : les pénuries frappent plus durement l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie que la France ou la Grande-Bretagne. Surtout, même si les Allemands en ont mesuré le risque, la guerre sous-marine provoque l’entrée en guerre des Etats-Unis contre eux.»
Ah, les aquarelles de marine ! |
La France avait laissé l'Atlantique orientale et la Mer du Nord à la Royal Navy pour mettre ses plus gros moyens navals en Méditerranée afin de protéger ses convois coloniaux et le débouché du canal de Suez. En Méditerranée la 1ère Armée Navale fit face aux marines des empires centraux et jusqu'en 1915 à la marine italienne. Les Austro-hongrois opéraient à partir des ports de l'Adriatique-nord comme Trieste et Pola (à la pointe de l'Istrie) où ils hébergèrent deux croiseurs allemands venus en renfort.
Une curiosité d'abord : En avril 1917 arrive à Malte le contre-amiral japonais Kōzō Satō sur le croiseur Akashi avec deux flottilles de quatre destroyers japonais (9 navires en tout) pour libérer la Royal Navy de ses missions d'escorte au commerce. L'Akashi était un croiseur de la classe Suma sur plans japonais (post-Bertin) mais surentraîné par les dommages subis lors de la guerre russo-japonaise de 1905-1906, croiseur qui avait fait entre autres la bataille de Chemulpo, le blocus de Port-Arthur, la bataille de Tsushima, jusqu'au blocus de Tsingtao en 1914. Le 1er juin, une troisième flottille de quatre destroyers rejoint Malte derrière le croiseur Izumo qui relève l'Akashi. Fin 1917, la Marine française se fait livrer à Port Saïd douze destroyers de fabrication japonaise du type Kaba. Elle avait déjà acheté 34 chalutiers nippons en 1916 pour les transformer en patrouilleurs. Même si les choses se gâteront plus tard, il y avait à cette époque une proximité certaine entre les militaires français et nippons, depuis Napoléon III en fait. L'ingénieur naval Emile Bertin (1840-1924) travailla quatre ans aux arsenaux nippons pour construire la flotte de l'empereur Mutsuhito. Les Russes lui doivent le désastre de Tsushima où 45 navires du Czar furent coulés par les fabrications et copies "Bertin", mais surtout parce qu'il avait fait assimiler le combat d'escadre aux amiraux nippons.
Aujourd'hui nous allons évoquer la classe révolutionnaire* Danton, des cuirassés lancés à partir de 1909 dans le cadre du Plan naval de 1905. Cette série "surclassée" par les Dreadnoughts anglais fit quand même le job au convoyage et sur le barrage du canal d'Otrante ; le principe de la cuirasse compartimentée sauva des milliers de vies dont celles de l'équipage du Voltaire torpillé deux fois au large de Milos en Mer Egée, qui put rejoindre Toulon. Le Danton, premier de la série - sa fiche détaillée et ses campagnes sont ici - était un cuirassé de 145 mètres de long et 18500 tonnes, propulsé par les nouvelles turbines à vapeur Parsons donnant 22500 chevaux ; le monstre filait 19 nœuds mais était limité en rayon d'action par une forte consommation des soutes dans ses 26 chaudières à charbon. Son armement était composé de deux tourelles doubles de 305mm, six doubles de 240, seize canons Schneider de 75, dix canons rapides Hotchkiss de 47 et deux tubes à torpilles de 450mm.
Le cuirassé Danton, escorté par le contre-torpilleur Massue (un bâtiment de la classe Claymore lancé à Toulon en 1906 avec des tubes de 450mm, commandé par le Lieutenant de vaisseau Cantener), appareilla de Toulon le 18 mars 1917 à 17h30 pour Corfou avec 946 officiers, officiers-mariniers, matelots d'équipage et 155 marins passagers rejoignant leur bord en Adriatique. Le signalement de sous-marins ennemis en Mer Tyrrhénienne obligea le commandant, capitaine de vaisseau Delage, à modifier sa route en choisissant la côte occidentale de Sardaigne plutôt que de doubler le Cap Corse vers Messine, et à se prémunir contre toute surprise en doublant ses vigies ; le convoi avançait en zigzag ; ce qui ne suffit pas.
Au milieu de la journée du lendemain (rapport du naufrage ici), par brise de nord-ouest, mer clapoteuse peu "lisible", au large de l'île San Pietro à la pointe occidentale de Sardaigne, la vigie de hune signala un sillage suspect à 500 mètres seulement. Un coup de canon de 47 fut tiré au jugé. A 13h17 selon la radio, le Danton recevait par son bâbord avant sous la chambre de commande de la tourelle de 305 puis en plein flanc au niveau des machines contre la chambre des dynamos, deux torpilles allemandes du sous-marin U-Boot 64 (Kapitänleutnant Robert Moraht - 1884-1956) qui sera grenadé et canonné ensuite le 17 juin 1918 par HMS Lychnis.
Le commandant Delage engagea le combat, mais les équipements électriques tombaient en panne les uns après les autres, jusqu'à la barre qui devint inopérante. Le contre-torpilleur qui ouvrait la route rebroussa chemin pour grenader le submersible. Dix minutes passées, le navire commençait à donner de la bande et les potences électriques des canots étaient inutilisables. L'équipage évacua sur ordre en se jetant à la mer pour rejoindre le Massue et un peu plus tard les chalutiers accourus sur zone. La ceinture d'acier alvéolée donna le temps nécessaire au Danton pour évacuer son équipage mais c'est l'honneur qui engloutit le commandant qui refusa de quitter la passerelle. Il y eut 296 morts, congestionnés ou noyés. Le grand Danton mit une demi-heure pour chavirer sur son bâbord et partir au fond, Delage restant cramponné à la passerelle criant "Vive la France". Ironie du sort : Delage était sous-marinier dans l'âme, ayant commandé auparavant le Gymnote, le Gustave-Zédé puis la 1ère Flottille sous-marine de Toulon en 1909.
Mais Joseph Delage (1862-1917) était plus que cela : il sortit de l'Ecole navale à dix-huit ans. Après une carrière dans l'Empire comme à l'Hôtel de la Marine à Paris, il entre en guerre à la tête du 1er régiment de fusiliers-marins et toujours devant aux combats d'Ypres, de l'Yser et de Dixmude, il est blessé le 23 octobre 1914, ce qui ne le prive pas de commander encore la manœuvre... Bref, un sacré tempérament de gaulois indestructible. On le retrouve en photo en août 1915 dans les tranchées à Furnes en conversation avec l'amiral Ronarc'h... puis il embarque à Toulon sur le Danton à la Noël 1915.
Des sondages hollandais pour un tracé de gazoduc repérèrent la gigantesque épave en 2008 par plus de mille mètres de fond. Bizarrement la descente du navire l'avait fait dériver de plusieurs nautiques, les coordonnées de 2008 ne correspondant pas à celles de 1917 (25 milles au SW du phare de Capo Sandalo), ce qui nous indique qu'il avait une carène fluide. La Marine de guerre perdit 19945 marins auxquels s'ajoutent 3200 marins au commerce (source Paul Chack). Quant à la brigade de fusiliers-marins de l'amiral Ronarc'h qui combattit sur l'Yser, elle fut consommée en totalité en seize mois (6500 hommes) selon ses propres mémoires. A l'armistice de 1918, les pertes matérielles françaises totalisaient 4 cuirassés, 5 croiseurs, 6 croiseurs auxiliaires, 23 contre-torpilleurs, 13 sous-marins, 75 avisos, patrouilleurs et chalutiers réquisitionnés. La guerre maritime ne s'achèvera pour la Royale qu'en mai 1919 quand cesseront les opérations de supériorité navale prévues en Mer Noire par l'armistice de Moudros entre les Forces de l'Entente et l'Empire ottoman (30 oct 1918).
Hommage à nos marins morts pour la France !
19 mars 1917, le cuirassé Danton va chavirer par bâbord |
* Six cuirassés : Danton, Voltaire, Diderot, Condorcet, Mirabeau, Vergniaud
** Source principale Marine nationale
*** Ndlr : les billets du Onze Novembre sont tous libellés "1111"
** Source principale Marine nationale
*** Ndlr : les billets du Onze Novembre sont tous libellés "1111"
Epave du Danton latitude: 38°45'51'' longitude: 8°11'01'' |
Le nom de DELAGE Joseph est inscrit sur le grand monument aux morts de Rochefort-sur-Mer érigé en ville (dernière ligne de la plaque 1/4) avec son grade CAP. DE VAI.
RépondreSupprimer