Ch. Maurras à l'âge du procès Dreyfus |
La France de Charles Maurras (1868-1952) est antisémite, mais elle l'était depuis longtemps comme bien des pays voisins. Se considérant eux-mêmes "à part", les Juifs furent toujours considérés "à part" par les pouvoirs successifs. Il faudra l'holocauste industriel allemand pour déclencher à leur endroit une réaction positive des sociétés où ils vivaient. Diviser une nation par deux finit par secouer l'intelligence la moins réceptive.
Jusque là, l'antisémitisme de l'Action française était un parti-pris politique (clic), respectable diront certains, parmi eux Bernanos, qui dénonçait Hitler pour avoir « déshonoré » l'antisémitisme. En Afrique du nord (alors française), l'antisémitisme était par contre viscéral, en plus exacerbé par le décret Crémieux de 1870 qui les favorisait outrageusement au dépens des musulmans dont certains avaient combattu dans les régiments de Turcos du Second Empire. Le mépris le céda alors à la haine, comme le montre ce texte orientaliste de 1887 de Guy de Maupassant :
Les Mozabites et les Juifs sont les seuls marchands, les seuls négociants, les seuls êtres industrieux de toute cette partie de l’Afrique.
Dès qu’on avance dans le sud, la race juive se révèle sous un aspect hideux qui fait comprendre la haine féroce de certains peuples contre ces gens, et même les massacres récents. Les Juifs d’Europe, les Juifs d’Alger, les Juifs que nous connaissons, que nous coudoyons chaque jour, nos voisins et nos amis, sont des hommes du monde, instruits, intelligents, souvent charmants. Et nous nous indignons violemment quand nous apprenons que les habitants d’une petite ville inconnue et lointaine ont égorgé et noyé quelques centaines d’enfants d’Israël. Je ne m’étonne plus aujourd’hui ; car nos Juifs ne ressemblent guère aux Juifs de là-bas.
À Bou-Saada, on les voit, accroupis en des tanières immondes, bouffis de graisse, sordides et guettant l’Arabe comme une araignée guette la mouche. Ils l’appellent, essaient de lui prêter cent sous contre un billet qu’il signera. L’homme sait le danger, hésite, ne veut pas. Mais le désir de boire et d’autres désirs encore le tiraillent. Cent sous représentent pour lui tant de jouissances !
Il cède enfin, prend la pièce d’argent, et signe le papier graisseux.
Au bout de trois mois, il devra dix francs, cent francs au bout d’un an, deux cents francs au bout de trois ans. Alors le Juif fait vendre sa terre, s’il en a une, ou sinon, son chameau, son cheval, son bourricot, tout ce qu’il possède enfin.
Les chefs, Caïds, Aghas ou Bach’agas, tombent également dans les griffes de ces rapaces qui sont le fléau, la plaie saignante de notre colonie, le grand obstacle à la civilisation et au bien-être de l’Arabe.
Quand une colonne française va razzier quelque tribu rebelle, une nuée de Juifs la suit, achetant à vil prix le butin qu’ils revendent aux Arabes dès que le corps d’armée s’est éloigné.
Si l’on saisit, par exemple, six mille moutons dans une contrée, que faire de ces bêtes ? Les conduire aux villes ? Elles mourraient en route, car comment les nourrir, les faire boire pendant les deux ou trois cents kilomètres de terre nue qu’on devra traverser ? Et puis, il faudrait, pour emmener et garder un pareil convoi, deux fois plus de troupes que n’en compte la colonne.
Alors les tuer ? Quel massacre et quelle perte ! Et puis les Juifs sont là qui demandent à acheter, à deux francs l’un, des moutons qui en valent vingt. Enfin le trésor gagnera toujours douze mille francs. On les leur cède.
Huit jours plus tard les premiers propriétaires ont repris à trois francs par tête leurs moutons. La vengeance française ne coûte pas cher.
Le Juif est maître de tout le sud de l’Algérie. Il n’est guère d’Arabes, en effet, qui n’aient une dette, car l’Arabe n’aime pas rendre. Il préfère renouveler son billet à cent ou deux cents pour cent. Il se croit toujours sauvé quand il gagne du temps. Il faudrait une loi spéciale pour modifier cette déplorable situation.
Le Juif, d’ailleurs, dans tout le Sud, ne pratique guère que l’usure par tous les moyens aussi déloyaux que possible ; et les véritables commerçants sont les Mozabites. Quand on arrive dans un village quelconque du Sahara, on remarque aussitôt toute une race particulière d’hommes qui se sont emparés des affaires du pays. Eux seuls ont les boutiques ; ils tiennent les marchandises d’Europe et celles de l’industrie locale ; ils sont intelligents, actifs, commerçants dans l’âme. Ce sont les Beni-Mzab ou Mozabites. On les a surnommés les "Juifs du désert".
(Au Soleil, récit d'un voyage en Algérie publié dans Le Gaulois par épisodes, Victor Havard Paris, 1884)
Concernant Charles Maurras, on peut dire à la lecture de ses nombreux pamphlets dans l'Action française, que les suites du combat perdu contre Dreyfus avaient transformé une hystérie lamentable qu'il s'est sans doute reproché sur le tard, en un antisémitisme logique comme le montre la coupure de journal ci-dessous saluant en 1941 le nouveau Commissariat général aux Questions juives (CGQJ) qui va traiter la complexité de leur séparation du reste de la société civile (il faut lire lentement) :
- Extrait de l'Action française du Mercredi 2 avril 1941 - |
Que l'antisémitisme maurrassien soit d'Etat, nul n'en doute, mais il aurait bien été le seul Français à ne pas éprouver également ce racisme social, alors que passé les boulevards des maréchaux, l'immense majorité des gens méprisait les Juifs et leurs spécificités visibles. Il suffit d'avoir connu des contemporains de Maurras pour s'en convaincre. Au triste privilège de l'âge, le Piéton a cet avantage.
Ça ira jusqu'à l'obsession quand on l'entendra s'écrier au verdict du procès de Lyon en 1945 : « C'est la revanche de Dreyfus ». En fait, la vraie revanche était passée par les cheminées du III° Reich en ce qu'elles sanctifiaient par le martyre et pour longtemps les descendants du peuple hébreu et assimilés, mais il ne pouvait déjà plus le comprendre, enfermé dans un système de combat obsolète, incapable de réévaluer un demi-siècle de polémiques lancées par lui-même. Qui l'aurait pu ?
Même si l'esprit de Charles Maurras n'était pas occupé du matin au soir par la question juive, tout ceci entame le crédit de l'œuvre mais ne l'anéantit pas, comme le voudrait la bien-pensance en cour. Des quatre tomes des Œuvres Capitales, un seul est consacré à la politique (le deuxième) et il contient des bases inexpugnables pour l'étude de la physique sociale. Si l'œuvre de Maurras est un océan, l'antisémitisme n'en est que sa mer noire. Il y a tout le reste, qui sans être de la meilleure fraîcheur en 2018, apporte bien des réponses aux défis qu'affronte aujourd'hui notre pays, comme se plairont à le démontrer les orateurs du camp Maxime Real del Sarte à venir. Il serait peut-être temps d'éditer le programme, chers amis !
En conclusion, défendre l'antisémitisme strictement d'Etat de Charles Maurras est contreproductif, une faiblesse dialectique. Il faut en convenir carrément pour désamorcer la mine et passer à autre chose selon le vent du moment. Faire attention quand même aux amalgames douteux, aux financiers cosmopolites, à la banque sans frontières, capital apatride et autres substituts sémantiques qui ne trompent personne mais affaiblissent le débat public et la communication de celui qui le mène. Que l'on déplore ou qu'on minimise l'antisémitisme de Charles Maurras, il nous faut faire avec, car il est bien là. A nous de trouver voies et moyens de le contourner pour accéder à la monarchie raisonnée du nationalisme intégral, dépouillée des scories qui l'encrassent. Il ne peut y avoir d'atermoiements, d'excuses, de coupable compréhension, l'image du Martégal dut-elle en souffrir.
Il faut prendre la crème du meilleur et jeter le reste sauf à vouloir entrer dans le tunnel des études comportementales du racisme ordinaire dans la France profonde de la Belle Epoque... Bon courage et temps perdu pour le futur !