Dans quelques jours, au château d'Ailly, le Secrétaire général du Centre royaliste d'Action française François Bel-Ker va dévoiler la stratégie du mouvement AF. Le programme du Camp 2018 est accessible en ligne en cliquant ici . Je ne suis pas le moins impatient à connaître enfin le projet concret du premier mouvement royaliste. Des lecteurs de ce blogue m'ont posé la question qui tue : "Ouvaton ?"
Bien en peine de leur répondre à mon niveau de perception, je m'autorise néanmoins à penser un faisceau d'objectifs possibles, ce qui ne préjuge pas de leur pertinence. Signalons aux jeunes lecteurs avant de commencer que dans l'esprit maurrassien, le retour du roi n'est pas le but ultime mais la queue de trajectoire d'une analyse politique construite sur le nationalisme intégral. Même si aucune sacralité n'est ôtée à la monarchie attendue, elle est avant tout raisonnée. C'est le résultat d'une équation. Notons en passant que d'autres penseurs modernes, dont ce blogue a parlé, sont parvenus à la même conclusion de la nécessité d'un roi ; Erik von Kuehnelt-Leddihn et Hans-Hermann Hoppe pour ne citer qu'eux. En plus en schpountz, ça pose ! Donc, on peut faire de la politique sans commencer par le roi.
Première question : il n'échappe à personne que l'époque remet en cause nos institutions, la révision constitutionnelle en discussion au parlement (que l'on veut réduire) et qui accroît la monarchisation de l'exécutif, est une réponse au projet de Sixième République populaire de la gauche. L'AF veut-elle s'insérer dans ce débat en proposant une étape jouable de la réforme car il est bien entendu que le retour du roi ex-nihilo est impossible encore, trop de politiques voulant faire le roi chacun à leur tour. Une stratégie de tout-ou-rien ne mènera nulle part ; mais des propositions étayées pourraient avoir de l'écho dans le microcosme politique tant les esprits sont en recherche d'une solution.
L'autre question prégnante est la coopération européenne qui est un des axes majeurs du programme Macron. L'AF semblerait privilégier des solutions radicales adossées à la charpente nationaliste de sa doctrine, comme le Frexit. Ce projet est inapplicable pour tout un tas de raisons, et il suffit pour s'en convaincre de voir les difficultés insurmontables que rencontre un pays coupé du continent, à la périphérie donc de l'Union européenne, dans son aventure du Brexit. Choisir de promouvoir le Frexit au cœur même de l'Union est entrer dans un tunnel qui ne débouche sur rien. Même si l'AF aime bien les causes perdues, je pense qu'elle y ruinerait son crédit. Il y a mieux à faire que de couper les ponts en conférence : organiser la réflexion sur des étages de dévolution-subsidiarité est plus compliqué que de dénoncer l'Europe en boucle, mais surtout permettrait de participer intellectuellement à la réforme.
La troisième et dernière question stratégique (il y a d'autres sujets, bien sûr) est celle de la défense, que ce blogue déconnecte de la construction européenne. La tentation est de vouloir tout faire par nous-mêmes alors que nous n'en sommes plus capables, surtout avec deux trillions de dette souveraine ! Quand on fait le tour de la question - il y a quarante billets OTAN en libellés - on en revient aux fondamentaux. Il faut penser à l'après-OTAN même si l'alliance concrète actuelle est le meilleur outil de défense sur étagère. La coopération militaire de substitution la plus sûre et la moins invasive est une alliance franco-anglaise. Outre la mise en commun de moyens dans le cadre atlantique d'emploi qui unifie déjà les procédures, elle apporterait une qualité qui nous fait défaut, celle de la modération.
La Grande Bretagne est toujours réticente à s'immiscer plus que de raison dans les conflits qui secouent son ancien empire - sauf la bêtise irakienne de Tony Blair en 2003 - mais frappe de toutes ses forces et sans retenue si elle y est contrainte. Nous avons le tort de toujours disperser de petits moyens (comme en zone Sahel) et de retenir les coups pour une guerre propre qui n'en finit pas. Cette retenue et cette brutalité anglaises sont dissuasives. Nous devons apprendre à faire peur.
HMS Queen Elizabeth à Portsmouth |
J'espère pour finir que la stratégie de l'Action française ne s'enferrera pas dans les sujets sociétaux plus loin que le juste bonheur des hommes à travers la question sociale que le mouvement avait beaucoup travaillée à la haute époque.
In cauda, pourquoi centrer la stratégie sur ces trois chapitres (institutions, Europe, défense) ? Pour une raison très simple : la propagande du roi doit être la plus large possible si l'on a l'ambition d'imprégner l'Opinion et il faut des sujets à large spectre. Ces trois chapitres ont le mérite d'être à la fois d'actualité pour les années qui viennent et suffisamment copieux pour y choisir sa place. Resterait à les aborder de manière responsable ; à moins que l'on ne veuille continuer de se réfugier dans l'opposition systématique, le dénigrement, la dénonciation perpétuelle, les récitations en boucle qui ont coulé le journal, toutes postures mal bâties qui ne mordent plus sur l'esprit des gens, ni sans doute aucun sur les meilleurs d'entre eux. Laissons de côté le pigeon de saint Rémi et au XXI° siècle, réveillons le chat de Schrödinger qui sommeille en chacun. Que l'école de pensée pense !
(donné à Bray-Dunes le 29 juillet 2018)