vendredi 28 septembre 2018

Le Roi danse et ça explique tout !




Billet spécialisé. Dans un débat de cénacle, un contributeur musicien affrontait un doctrinaire de la transcendance qui fonde l'avenir de nos sociétés exclusivement sur le retour de l'hétéronomie (voir plus bas). Sauf si le talent d'un interlocuteur surpasse la moyenne, ce débat de casuistes épilés entre autonomie et hétéronomie n'a généralement que peu d'intérêt, sinon d'en comprendre les définitions pour les réutiliser dans un dîner en ville. Pourquoi ? les sociétés sont construites sur les deux principes de transcendance et de libertés horizontales, et leurs sources respectives changent à chaque époque. Les principes ne s'opposent pas, ne précipitent pas non plus dans un composé nouveau, ils cohabitent dans des sphères différentes (cité, individu, foi, commerce des âmes) et parfois se frottent comme l'huile et l'eau.

Pour avoir le dernier mot sur un contradicteur habitué à manier son esprit, le résident du légitimisme incandescent (minoritaire) qui n'accepte aucune dérive à peine d'excommunication (mais on leur a pris les allumettes, la poix et le bois) a ruiné sa dialectique éprouvée en arguant de sa science acquise et non infuse, signalant en cela une longue étude sous la lampe que l'autre n'avait pas endurée. Pour que les choses s'ordonnent sur un axe vertical, il confirmait dans la foulée que la vérité proférée tenait surtout de l'autorité indiscutable que lui confèrent ses responsabilités au sein d'un groupuscule de réflexion politique. Il en existe ci et là en province dans l'Union des cercles légitimistes de France et tous ne sont pas à brûler.

Mais loin de la boucler, comme le lui demandait l'inquisiteur au pied petit, le musicien s'est fendu d'une démonstration, parfois amusée, qu'on ne peut laisser croupir au fond de la crypte. Voila donc ce texte qui tient tout seul debout et que mon titre résume peut-être, voire autrement dit : quand le Roi danse, ce n'est pas gratuit !




Pour moi un homme politique est un peu comme un illusionniste. Il crée des illusions mais il ne faut pas qu'on voit le truc pour que le public s'émerveille et le suive.
Un musicien c'est différent. Il doit suivre la partition et ne peut pas cacher les fausses notes dans sa manche ou dans son chapeau.

Alors quand il transpose ses habitudes de justesse et de précision dans le langage il s'attend à ce que l'interlocuteur fasse de même. Mais l'homme politique n'a que faire des fausses notes car il y a des trucs pour les faire disparaître à la vue du public et il peut même répéter le truc plusieurs fois le public n'y verra en général que du feu.

C'est fascinant et avec le boniment qui accompagne le tout c'est encore plus efficace.
Alors oui je dois reconnaître que vous avez une sacré dextérité en politique que je n'aurais jamais et que je ne souhaite pas avoir d'ailleurs. J'aime trop la justesse pour me priver de ce plaisir.
J'ai vraiment admiré comment vous avez mis toutes les fausses notes que j'ai appelé cibles manquées dans le même sac pour les faire disparaître en un tournemain et non seulement vous usez avec un aplomb inouï des mêmes arguments que j'ai parfaitement réfutés pour répéter que je n'ai pas défendu des définitions que j'avais juste citées pour vous rappeler que la vôtre n'était pas la seule mais en plus vous n'hésitez pas après votre acrobatie de m'accuser moi de faire la pirouette que vous venez de réaliser vous-même sous les yeux du public.

Alors là oui, j'applaudis le "prestigiateur" comme on disait à l'époque.

Ceci dit, ne prenez pas mal mon observation, je sais que vous usez de votre art pour un bien car vous êtes dans un mouvement honorable et vous vous devez de garder une certaine position sur le Forum. Cela fait partie du jeu politique.

Vous avez raison de dire que votre mission est plus en adéquation que la mienne avec ce forum qui est politique et j'ai constaté effectivement que l'intérêt pour l'art est très limité. Des musiques sont mises en lignes parce qu'elles plaisent pour une raison ou une autre mais ça ne va pas beaucoup plus loin.

D'ailleurs ça ne fait que refléter le monde actuel qui utilise la musique comme une distraction et qui se cache bien de dire aux gens : "quand vous écoutez une musique, essayez bien de sentir les sentiments qu'elle insuffle en vous car elle peut vous nourrir ou vous nuire."

Je voudrais juste vous dire quelque chose au sujet de la musique. Si à l'heure actuelle elle est considérée comme une distraction secondaire, ça n'a pas été le cas dans le passé et dans de nombreuses civilisations. Depuis le roi David souvent représenté avec sa harpe dans les cathédrales, en passant par les guitaristes de la cathédrale d'Angers entourant le Christ, les vestiges du passé nous donnent un message que le monde actuel ne sait plus guère décrypter.

Les premiers Chrétiens chantaient en allant au martyr et même les Templiers ont chanté au bûcher. Aucune religion ne peut exister sans musique. Les Sumériens disaient que lorsqu'ils mouraient ils allaient au paradis du chant. Et dans la Chine ancienne, une civilisation d'une grande stabilité politique au cours de ses cinq mille ans d'histoire, toute la construction de l'Etat reposait sur la divine musique, et même le mètre étalon était la longueur d'une flûte donnant le fa ; quant à l'empereur, il choisissait ses ministres parmi les musiciens et les danseurs parce qu'il avait compris que l'habitude de justesse et de perfection que donne cet art entraîne une plus grande capacité à faire rayonner l'ordre et la justice dans le royaume.

Louis XIV a été un grand roi qui a fait rayonner la France dans toute l'Europe. Il est rare de trouver des personnes qui comprennent que sans sa formation très poussée de musicien et de danseur pendant sa jeunesse il n'aurait sans doute pas été le grand roi qu'il a été.

La musique et la politique n'ont pas toujours été aussi séparées. Mais à l'heure actuelle on est habitué à une politique du réel comme on dit, qui pour être pratique manque de cette transcendance si indispensable à l'homme.

Vous même, qui êtes si sûr d'être à l'opposé de la politique de la République, n'êtes pas exempt de cette influence de la technique politique courante.

Ce que je voudrais arriver à vous dire c'est qu'en négligeant l'importance de l'art, vous vous privez d'un allié très puissant qui pourrait vous apporter beaucoup. Si Dieu est au sommet de la pyramide, la beauté est la première chose qui suit car la Création est d'abord une œuvre de beauté. L'Eglise et les rois par la même occasion l'ont bien compris depuis longtemps. Sorti des catacombes vers la lumière, l'Eglise du Christ s'est pourvue de tous les attributs sensibles pour toucher les cœurs. Que serait la religion chrétienne sans les cathédrales, magnifiques œuvres d'art ; que seraient les chants sans l'acoustique des dômes ; que serait-elle sans les peintures, les mosaïques, les statues, les autels, les orgues, enfin toutes ces choses qui ne sont que des œuvres d'art que les hommes ont créées pour remercier Dieu de sa création et montrer sa grandeur dans un endroit protégé du monde extérieur. Sans parler des costumes, des bannières, de l'encens, et bien sûr des textes des Evangiles qui sont une poésie de l'esprit.

L'église orthodoxe repart en flèche alors que l'église catholique est en déclin. Il suffit de changer quelques éléments importants, de dégrader la partie artistique de la religion pour que le contact se perde avec le peuple. La messe actuelle a perdu de sa grandeur et ce n'est pas un hasard mais une volonté qui l'a conduit à cela. Déjà nous avons perdu une force en simplifiant le chant chrétien à l'époque de Charlemagne par rapport au chant d'origine.

Enfin ce que je veux dire c'est que vous pouvez devenir un grand technicien de la politique, comme on peut devenir un grand technicien de la musique mais ce qui compte surtout c'est de l'utiliser avec un sens artistique, ce qui signifie pour moi élever la politique ou la musique au divin vertueux.

Pourquoi est-ce si important ? Parce que justement c'est la grande faiblesse de la République que tout le monde peut constater. La République se fiche de la beauté transcendante pour le peuple. Elle donne le confort, la nourriture, les plaisirs et ça fonctionne.

Alors croyez-vous qu'en insistant sur l'hétéronomie cela va vraiment attirer le peuple aujourd'hui ? Certaines personnes bien sûr seront impressionnées par le mot et la démonstration dans un premier temps mais que va faire la plupart des gens ensuite. Ils vont chercher par habitude et par facilité tout d'abord sur Internet et vont tomber en premier sur Wikipedia aux ordres et vont trouver comme définition :

L’hétéronomie est le fait qu'un être vive selon des règles qui lui sont imposées, selon une "loi" subie. L'hétéronomie est l'inverse de l'autonomie, où un être vit et interagit avec le reste du monde selon sa nature propre.
Chez l'être humain, l'hétéronomie représente l'impossibilité concrète ou l'incapacité morale à se donner ses propres lois et à se régir d'après elles ; l'autonomie est chez l'humain la faculté de vivre et d'agir selon ses propres forces, motivation et morale. Il y a ainsi un double aspect externe : violence concrète d'une relation ou d'un système de pouvoir ; et interne : endoctrinement idéologique, pression sociale. La notion d'hétéronomie est très proche de celle d’aliénation bien que celle-ci soit tenue pour plus floue, moins technique (sauf chez Marx). L'épître aux Galates est l'un des rares textes de l'Antiquité qui discute de l'hétéronomie religieuse.

Et là vous avez déjà la masse qui va tiquer parce qu'ils ont tellement pris l'habitude de se référer à cela qu'il vont vite prendre la porte de sortie en se disant : je n'ai pas envie d'être asservi.

C'est pourquoi je pense qu'il faut attaquer la République sur ces point faibles. Vous le faites parfaitement bien par la remise à jour de l'histoire cachée, par les informations mensongères corrigées, mais vous négligez l'art alors qu'il y a un terrain extrêmement intéressant à exploiter.

Vous me dites que l'aristocratie que j'imagine n'a jamais existé parce que vous pensez à l'aspect politique, mais moi je parle d'une aristocratie d'esprit qui avait de façon innée le sens de la beauté et de sa transcendance divine, et c'est aussi en cultivant cela qu'elle imposait naturellement au peuple ce respect et cette envie de s'élever, et que les artisans et les artistes créaient des merveilles éclairés par cette transcendance venue d'en haut qui les éloignait de la laideur et par conséquent du mal.
Vincent Chevalier

(texte diffusé sous licence Creative Commons)


Sur le sujet d'une politique de l'art tel que développé par notre musicien, les réponses en prêt-à-penser n'existent pas au catalogue dialectique de pleine application. Dès lors on biaise. L'art ? C'est secondaire ! La doctrine irréfragable n'en a pas besoin pour convaincre. D'essence divine, elle se suffit ; d'ailleurs son exégèse n'est pas en libre-service mais exclusivement dévolue à ses nouveaux prêtres. On ne débat pas, ni du fond ni des conséquences, on assène, on ne dévie jamais. On frise la secte. Dans sa diatribe, le musicien utilise à son insu des mots interdits comme "attirer" ou "la masse" en ignorant que convaincre le peuple en nombre c'est tomber dans le ravin de la démocratie et du rationalisme. Faudrait-il faire raisonner l'auditoire alors qu'il lui suffit de croire ?

D'aucuns dirent jadis que ces groupuscules fonctionnaient comme des écoles coraniques, face au mur. Le fil de discussion le prouve à l'envi, contredire déclenche les récitations habituelles. L'issue prévisible est en ce cas de franchir le seuil pour ne pas perturber l'entre-soi. Sauf à vouloir se convertir en robot pensant, il faut quitter l'arène où rien ne pousse jamais. Ce que le musicien a finalement fait, avec élégance.





Postscriptum : Pour ceux de nos lecteurs qui le découvrent, ce débat spécial "autonomie vs. hétéronomie" est [ici]. Âmes sensibles s'abstenir, on y brûle des petits enfants et on mange les captifs... (humour). Pour parfaire le divertissement de nos lecteurs fidèles, ce forum d'angle étroit vient d'être inscrit au Roycoland de ce site sous le nom de "Forum ultrabrite".




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