On signale en vigie l'émergence du serpent de mer de la défense européenne. Ce sont les célébrations du centenaire de l'Armistice qui ont offert au président de la République l'occasion de se démarquer du consensus transatlantique en pressant le pas d'une intégration de nos forces militaires. Sauf que... nous sommes seuls de chez Seul dans ce registre, nul autre que nous ne croit en une armée européenne, y croyons-nous nous-mêmes ?
Certes il y a déjà des coopérations quasi-permanentes, toutes dans le cadre atlantique et ses codes d'emploi, et aussi des gesticulations comme la Brigade franco-allemande parfaitement inutilisable mais dont le financement était toléré parce qu'elle représentait les prémices d'une "prochaine" force européenne combinée. La BFA est le test-même que ça ne marche pas sauf pour les prises d'armes. Il y a coexistence, parfois cohabitation, mais les règles d'emploi restent différentes, les systèmes d'acquisition et de combat également, jusqu'à la doctrine qui interdit d'engager la brigade au complet dans un conflit impliquant une seule des deux nations participantes. Seule la logistique ou les missions de gendarmerie, neutres par définition, sont envisageables comme on le vit en Bosnie-Herzégovine lors des guerres de Yougoslavie, et un peu à Kaboul au sein de l'ISAF, mais c'était surtout pour entraîner l'état-major de Müllheim en lui faisant respirer la fine poussière afghane qui traverse les filtres des climatiseurs.
Ce n'est pas l'arrogance récente du président Macron à l'endroit de nos voisins qui mine son projet de force européenne. C'est intrinsèque aux nations auxquelles il s'adresse. Nul n'achète ! Eliminons de l'épure les orientaux. Aucun ne se fait prier pour abonder au T.E.D. NATO aussitôt que Mons le demande, et même en dehors de l'Alliance, ils ont répondu présent aux anglo-américains lors de l'affaire d'Irak. Ils n'ont aucune envie de distendre la ligne de vie qui les relient au Pentagone. Avec un voisin aussi agressif que Vladimir Poutine, ils estiment ne pas pouvoir se le permettre ; les Européens de l'Est ne diront jamais oui à une CED sauf si elle est montée par les Américains eux-mêmes. Et puis Munich 38 n'est pas si loin dans leurs esprits.
Mettons de côté la Scandinavie qui a une géographie spéciale et ses propres problèmes de cohésion avec trois pays dans l'Alliance (Norvège, Danemark et Estonie) et deux (Suède et Finlande) qui réactivent leur neutralité armée, au point de participer aux exercices OTAN en zone atlantique.
Le Benelux est un cas à part : c'est le carrefour chaque fois dévasté par la guerre et il ne lâchera pas la proie pour l'ombre ; outre les plus grands ports du monde au nord du tropique, il abrite en plus des commandements OTAN majeurs à Mons et à Brunssum. Donc ils renouvellent leur système d'arme aérienne par du F35 américain sans états d'âme.
Restent cinq pays, pas un de plus : l'Allemagne, le Royaume-Uni, la France, l'Italie avec le commandement naval de Naples et la Turquie qu'on oublie toujours. Le reste, c'est peanuts !
S'il fallait concrétiser l'ambition d'une force européenne active, nous devrions convaincre ces quatre pays. Oui, les quatre ! Voulez-vous les passer en revue ?
L'Allemagne héberge le commandement atlantique aérien à Ramstein et accueille pratiquement tous les stocks matériels des brigades américaines programmées pour l'Europe et stationnées aux Etats-Unis, en plus de la logistique de transport et sanitaire (Landstuhl). Après une période de transferts budgétaires vers la réforme sociale et le développement industriel, elle commence à reconstruire ses armées, ce qui lui est facile puisqu'elle dispose outre l'argent, d'usines d'armement si performantes qu'elle a ses clients dans le monde entier ; et jusqu'en France qui a choisi Heckler & Koch pour armer son infanterie. Les poilus de 14 ne le croiraient pas.
Le problème n'est pas dans ses capacités mais dans ses intentions. La fibre pacifiste vibre très bien dans l'opinion germanique qui garde encore la mémoire d'un pays complètement rasé par la dernière guerre mondiale. D'ailleurs le chancelier Schröder n'eut aucun mal à refuser d'entrer dans la querelle GW Bush-Sadam Hussein. Il n'eut pas même besoin d'invoquer la constitution fédérale qui l'empêchait alors d'exporter des troupes ; ce fut Nein !, ce qui mit en rage Condoleezza Rice, on s'en souvient. Mais tous les accès aux facilités atlantiques en Allemagne furent ouverts et sûrs, pour le plus grand bien de nos blackwaters français qui allèrent s'y faire recoudre.
Que la Chancellerie ou le Bendlerblock planchent sur des coopérations industrielles en Europe n'augure pas d'un progrès quelconque vers une force commune avec les quatre autres pays précités. Si l'Allemagne est le moteur économique de l'Union européenne, elle a une zone de chalandise qui va très loin vers l'Est et maintenant jusqu'en Chine par la nouvelle route de la Soie. Les pays est-européens sont ses clients obligés, ses sous-traitants, et la mise en valeur de la Russie post-Poutine n'attend qu'elle avec peut-être le Japon à l'autre bout.
S'impliquer dans une défense européenne puissante doit s'inscrire dans sa stratégie fondamentale qui n'est pas du tout belliqueuse. Donc, malgré les sourires et les poignées de main, le point d'interrogation est très gros ! Bien sûr si la défense intégrée faisait tourner à fond ses usines, on pourrait en rediscuter.
L'Italie héberge à Naples la 6è Flotte américaine et le commandement OTAN interarmées qui va avec. Elle est l'acteur incontournable en Méditerranée parce qu'elle y dispose d'une flotte performante et moderne et surtout de chantiers navals technologiques de grande capacité qui travaillent bien. Les armées de l'air et de terre sont au niveau OTAN depuis toujours, parfaitement réglées et intégrables rapidement dans tout dispositif. C'est l'allié sur qui compter à la mer, et c'est aussi la bévue de Sarkozy que de l'avoir méprisé dans l'affaire de Libye. Aujourd'hui encore il sera très difficile au gouvernement français d'appeler l'Italie à collaborer sur une maquette de défense européenne, surtout après les insultes de Macron et de Lemaire vis à vis de la coalition au pouvoir à Rome.
Disons que l'Italie sera à convaincre quand nous en aurons fini avec tous les autres. Mais de but en blanc, ils vont nous envoyer "siffler là-haut sur la colline"... ! On terminera par le Royaume-Uni.
La Turquie d'Erdogan est le mouton noir de l'Alliance, mais outre que le sultan n'est pas éternel, la fondation stratégique de la coopération turco-américaine est solide. Les armées turques doivent tout aux Américains qui leur ont appris la guerre moderne et leur ont donné accès aux états-majors les plus avancés au monde. Même si Donald Trump a fait fuiter le retrait des soixante ogives nucléaires de la base d'Incirlik près d'Adana pour menacer de débrancher la Turquie du poumon d'acier américain si elle exagérait en Syrie, les relations restent normales car le Pentagone, sur site depuis 2003, sait combien est ingérable la situation régionale et comprend les obsessions d'Ankara. Il se souvient aussi que la chasse turque a descendu un Soukhoï russe en 2015 pour préciser de quel côté se battaient les Turcs. Rappelons aux étourdis que la Turquie contrôle le Bosphore et les détroits des Dardanelles et de ce fait la sortie de la flotte russe de la Mer noire sous le régime de la Convention de Montreux de 1936. Elle tient en plus deux milles kilomètres de côte face au nord, autant dire qu'elle partage avec la Russie à Sébastopol le contrôle de la mer.
Si l'adversaire à surveiller avant qu'il ne devienne un ennemi en vrai est la Russie - qui d'autre sinon pour l'instant - une défense européenne ne peut faire l'économie de la Turquie qui tiendrait le sas de protection du front sud d'Europe occidentale. Avec les deux riverains européens (Roumanie et Bulgarie) elle boucle l'arc d'écoute et de renseignement, le dispositif d'alerte. Qu'il y ait des questions à résoudre avant que de l'inviter à rejoindre n'étonnera personne mais est-ce indispensable d'être dans l'Union européenne pour participer à la défense européenne ? La Norvège et demain le Royaume-Uni nous prouveront un jour le contraire. Quant à ceux de nos stratèges qui pensent qu'inclure la Turquie est mettre un pied dans l'Orient compliqué, nous leur signalerons que nous n'avons pas eu besoin d'elle pour nous mettre tout seuls dans les embarras.
Le Royaume-Uni après avoir été l'ennemi héréditaire est devenu l'allié héréditaire. Son format équivaut le nôtre tant dans les capacités d'armement que dans celles d'entrer en premier sur un théâtre désigné. Elle est l'alliée privilégiée des Etats-Unis pour qui elle contrôle la mer de Norvège et le détroit de Danemark. Sa force nucléaire est sous double clé, elle met en œuvre une missilerie américaine et maintenant des avions américains. S'il n'est pas question de la détacher des liens spéciaux anglo-américains, le Royaume Uni peut être un renfort de poids comme l'élément atlantique le plus avancé des Etats-Unis vers l'Est. Sans mouiller l'Oncle Sam, elle peut réaliser ses vues en participant à des actions militaires ou de guerre avec nous. C'est une vieille nation guerrière invaincue depuis 1781 (Yorktown).
Elle dispose d'une industrie d'armement performante qui collabore déjà avec les missiliers français et reste très forte en aéronautique et en sous-marins. Au sol c'est un renfort apprécié, tellement qu'il lui échoit souvent la partie difficile des opérations (le Chatt-el-Arab en Irak, le Helmand en Afghanistan). Si une défense européenne intégrée n'exige pas de rompre avec les Etats-Unis - pourquoi le faudrait-il - le Royaume Uni est le contributeur décisif, mais à ses conditions bien sûr, comme toujours.
On fera grand profit du dossier publié par l'Institut Montaigne en appui du groupe de travail Cazeneuve-Robertson et que l'on peut consulter in extenso (100p.) ou dans un simple résumé en cliquant ici.
OK. On voit bien jusqu'ici les atouts des pays composant une hypothétique défense intégrée mais on ne sent pas l'élan ni l'écho du projet français chez aucun d'eux. Tout le monde a la coopération en tête mais les interdits et arrière-pensées sont nombreux, et finalement la convergence est faible. Alors que faire pour défendre l'Europe ?
Commençons par le plus évident, le plus simple à définir, le plus petit dénominateur commun : REARMONS !
Un état-major intégré, comme il est très facile d'en monter un, c'est prouvé, ne servira pas à grand chose s'il faut téléphoner chaque jour aux Etats-Unis pour enrôler des moyens de logistique, communications, cyberguerre, couverture aérienne ou satellitaire etc...
Le président Trump a les idées simples et favorisera le réarmement européen dès lors qu'il allège le fardeau transatlantique américain et évite de traverser l'océan au moindre pet de travers de l'ours russe. Exemple concret: la déstabilisation des Etats baltes et de la Pologne aurait dû être contrée par les armées résidentes en Europe et ne pas appeler la 3è Brigade blindée américaine stationnée à Fort Bliss (Texas). Profitons-en pour grandir en force et courage, en dépassant le plafond des deux pourcent du PIB pour les dépenses militaires. Bien sûr il nous faudrait des comptes publics à peu près en ordre pour y atteindre. Alors commençons par réparer nos finances et "en même temps" dressons les plans d'un réarmement d'ensemble avec des collaborations industrielles européennes - l'Allemagne discute avec nous du futur char de combat sous sa direction* - et la liberté de défense autonome nous sera donnée de surcroît le jour venu, même s'il est pour l'instant éloigné.
Pratiquement, pour ce qui concerne la France, il faut rénover et muscler le corps de bataille destiné à combler notre béance du nord-est en dépassant l'échantillonnage actuel, renforcer les brigades de spécialités, ajouter un second groupe naval du format CDG sur la Manche, la Mer d'Iroise et le golfe de Gascogne, écrire les plans de réactivation des missiles Hadès Nouvelle Génération tant que la Russie déploiera les mêmes dirigés vers nous (c'est l'histoire du traité abandonné récemment par Donald Trump) et mutualiser les moyens de cyberguerre sur tout le continent, ce qui logiquement pourrait être le premier état-major européen intégré sans froisser les susceptibilités. Mais il n'y aura pas ce faisant de grandes inaugurations, de grandes conférences, de grands forums médiatiques et le bénéfice politique sera au départ très mince, sinon même négatif puisqu'il faudra compter avec les agents d'influence du Kremlin que ce mouvement dévoilera, juste avant de les déporter derrière l'Oural ! Hi hi ! Royal-Artillerie tient la liste en archives :)
Reste la question de la guerre asymétrique. Elle ne sera pas affrontée par un commandement intégré classique mais par un renseignement co-opéré en continu, couplé à des unités de réaction rapide et définitive. En fait c'est d'un système classique anti-aérien qu'il s'agit: le radar de veille détecte, le radar d'acquisition et poursuite envoie la trajectoire du mobile et déclenche la contre-batterie. Ainsi tous les services européens de détection doivent être inter-opérés et les réactions appliquées par des forces mobilisées en permanence sous délai zéro. Ça se fait déjà mais on gagnerait à systématiser le procédé et à déterminer une fois pour toutes la queue de trajectoire par défaut. Dans le doute ne t'abstiens pas ! Faudra-t-il sous-traiter la question à l'intelligence artificielle et ses robots ? C'est déjà en partie le cas.
Faut-il ajouter que tout projet d'intégration devrait éviter les couloirs de Bruxelles pour avoir une chance de se réaliser sans gaver de crédits une bureaucratie insatiable ? En espérant que cet article éclairera vos discussions dans les dîners en ville... veuillez agréer, chers lecteurs, l'assurance de mon remerciement pour la distraction apportée à établir les punchlines qui feront mouche :
Certes il y a déjà des coopérations quasi-permanentes, toutes dans le cadre atlantique et ses codes d'emploi, et aussi des gesticulations comme la Brigade franco-allemande parfaitement inutilisable mais dont le financement était toléré parce qu'elle représentait les prémices d'une "prochaine" force européenne combinée. La BFA est le test-même que ça ne marche pas sauf pour les prises d'armes. Il y a coexistence, parfois cohabitation, mais les règles d'emploi restent différentes, les systèmes d'acquisition et de combat également, jusqu'à la doctrine qui interdit d'engager la brigade au complet dans un conflit impliquant une seule des deux nations participantes. Seule la logistique ou les missions de gendarmerie, neutres par définition, sont envisageables comme on le vit en Bosnie-Herzégovine lors des guerres de Yougoslavie, et un peu à Kaboul au sein de l'ISAF, mais c'était surtout pour entraîner l'état-major de Müllheim en lui faisant respirer la fine poussière afghane qui traverse les filtres des climatiseurs.
Ce n'est pas l'arrogance récente du président Macron à l'endroit de nos voisins qui mine son projet de force européenne. C'est intrinsèque aux nations auxquelles il s'adresse. Nul n'achète ! Eliminons de l'épure les orientaux. Aucun ne se fait prier pour abonder au T.E.D. NATO aussitôt que Mons le demande, et même en dehors de l'Alliance, ils ont répondu présent aux anglo-américains lors de l'affaire d'Irak. Ils n'ont aucune envie de distendre la ligne de vie qui les relient au Pentagone. Avec un voisin aussi agressif que Vladimir Poutine, ils estiment ne pas pouvoir se le permettre ; les Européens de l'Est ne diront jamais oui à une CED sauf si elle est montée par les Américains eux-mêmes. Et puis Munich 38 n'est pas si loin dans leurs esprits.
Mettons de côté la Scandinavie qui a une géographie spéciale et ses propres problèmes de cohésion avec trois pays dans l'Alliance (Norvège, Danemark et Estonie) et deux (Suède et Finlande) qui réactivent leur neutralité armée, au point de participer aux exercices OTAN en zone atlantique.
Le Benelux est un cas à part : c'est le carrefour chaque fois dévasté par la guerre et il ne lâchera pas la proie pour l'ombre ; outre les plus grands ports du monde au nord du tropique, il abrite en plus des commandements OTAN majeurs à Mons et à Brunssum. Donc ils renouvellent leur système d'arme aérienne par du F35 américain sans états d'âme.
Restent cinq pays, pas un de plus : l'Allemagne, le Royaume-Uni, la France, l'Italie avec le commandement naval de Naples et la Turquie qu'on oublie toujours. Le reste, c'est peanuts !
S'il fallait concrétiser l'ambition d'une force européenne active, nous devrions convaincre ces quatre pays. Oui, les quatre ! Voulez-vous les passer en revue ?
L'Allemagne héberge le commandement atlantique aérien à Ramstein et accueille pratiquement tous les stocks matériels des brigades américaines programmées pour l'Europe et stationnées aux Etats-Unis, en plus de la logistique de transport et sanitaire (Landstuhl). Après une période de transferts budgétaires vers la réforme sociale et le développement industriel, elle commence à reconstruire ses armées, ce qui lui est facile puisqu'elle dispose outre l'argent, d'usines d'armement si performantes qu'elle a ses clients dans le monde entier ; et jusqu'en France qui a choisi Heckler & Koch pour armer son infanterie. Les poilus de 14 ne le croiraient pas.
Le problème n'est pas dans ses capacités mais dans ses intentions. La fibre pacifiste vibre très bien dans l'opinion germanique qui garde encore la mémoire d'un pays complètement rasé par la dernière guerre mondiale. D'ailleurs le chancelier Schröder n'eut aucun mal à refuser d'entrer dans la querelle GW Bush-Sadam Hussein. Il n'eut pas même besoin d'invoquer la constitution fédérale qui l'empêchait alors d'exporter des troupes ; ce fut Nein !, ce qui mit en rage Condoleezza Rice, on s'en souvient. Mais tous les accès aux facilités atlantiques en Allemagne furent ouverts et sûrs, pour le plus grand bien de nos blackwaters français qui allèrent s'y faire recoudre.
Leopard 2 à gué |
Que la Chancellerie ou le Bendlerblock planchent sur des coopérations industrielles en Europe n'augure pas d'un progrès quelconque vers une force commune avec les quatre autres pays précités. Si l'Allemagne est le moteur économique de l'Union européenne, elle a une zone de chalandise qui va très loin vers l'Est et maintenant jusqu'en Chine par la nouvelle route de la Soie. Les pays est-européens sont ses clients obligés, ses sous-traitants, et la mise en valeur de la Russie post-Poutine n'attend qu'elle avec peut-être le Japon à l'autre bout.
S'impliquer dans une défense européenne puissante doit s'inscrire dans sa stratégie fondamentale qui n'est pas du tout belliqueuse. Donc, malgré les sourires et les poignées de main, le point d'interrogation est très gros ! Bien sûr si la défense intégrée faisait tourner à fond ses usines, on pourrait en rediscuter.
L'Italie héberge à Naples la 6è Flotte américaine et le commandement OTAN interarmées qui va avec. Elle est l'acteur incontournable en Méditerranée parce qu'elle y dispose d'une flotte performante et moderne et surtout de chantiers navals technologiques de grande capacité qui travaillent bien. Les armées de l'air et de terre sont au niveau OTAN depuis toujours, parfaitement réglées et intégrables rapidement dans tout dispositif. C'est l'allié sur qui compter à la mer, et c'est aussi la bévue de Sarkozy que de l'avoir méprisé dans l'affaire de Libye. Aujourd'hui encore il sera très difficile au gouvernement français d'appeler l'Italie à collaborer sur une maquette de défense européenne, surtout après les insultes de Macron et de Lemaire vis à vis de la coalition au pouvoir à Rome.
Disons que l'Italie sera à convaincre quand nous en aurons fini avec tous les autres. Mais de but en blanc, ils vont nous envoyer "siffler là-haut sur la colline"... ! On terminera par le Royaume-Uni.
La Turquie d'Erdogan est le mouton noir de l'Alliance, mais outre que le sultan n'est pas éternel, la fondation stratégique de la coopération turco-américaine est solide. Les armées turques doivent tout aux Américains qui leur ont appris la guerre moderne et leur ont donné accès aux états-majors les plus avancés au monde. Même si Donald Trump a fait fuiter le retrait des soixante ogives nucléaires de la base d'Incirlik près d'Adana pour menacer de débrancher la Turquie du poumon d'acier américain si elle exagérait en Syrie, les relations restent normales car le Pentagone, sur site depuis 2003, sait combien est ingérable la situation régionale et comprend les obsessions d'Ankara. Il se souvient aussi que la chasse turque a descendu un Soukhoï russe en 2015 pour préciser de quel côté se battaient les Turcs. Rappelons aux étourdis que la Turquie contrôle le Bosphore et les détroits des Dardanelles et de ce fait la sortie de la flotte russe de la Mer noire sous le régime de la Convention de Montreux de 1936. Elle tient en plus deux milles kilomètres de côte face au nord, autant dire qu'elle partage avec la Russie à Sébastopol le contrôle de la mer.
Si l'adversaire à surveiller avant qu'il ne devienne un ennemi en vrai est la Russie - qui d'autre sinon pour l'instant - une défense européenne ne peut faire l'économie de la Turquie qui tiendrait le sas de protection du front sud d'Europe occidentale. Avec les deux riverains européens (Roumanie et Bulgarie) elle boucle l'arc d'écoute et de renseignement, le dispositif d'alerte. Qu'il y ait des questions à résoudre avant que de l'inviter à rejoindre n'étonnera personne mais est-ce indispensable d'être dans l'Union européenne pour participer à la défense européenne ? La Norvège et demain le Royaume-Uni nous prouveront un jour le contraire. Quant à ceux de nos stratèges qui pensent qu'inclure la Turquie est mettre un pied dans l'Orient compliqué, nous leur signalerons que nous n'avons pas eu besoin d'elle pour nous mettre tout seuls dans les embarras.
Le Royaume-Uni après avoir été l'ennemi héréditaire est devenu l'allié héréditaire. Son format équivaut le nôtre tant dans les capacités d'armement que dans celles d'entrer en premier sur un théâtre désigné. Elle est l'alliée privilégiée des Etats-Unis pour qui elle contrôle la mer de Norvège et le détroit de Danemark. Sa force nucléaire est sous double clé, elle met en œuvre une missilerie américaine et maintenant des avions américains. S'il n'est pas question de la détacher des liens spéciaux anglo-américains, le Royaume Uni peut être un renfort de poids comme l'élément atlantique le plus avancé des Etats-Unis vers l'Est. Sans mouiller l'Oncle Sam, elle peut réaliser ses vues en participant à des actions militaires ou de guerre avec nous. C'est une vieille nation guerrière invaincue depuis 1781 (Yorktown).
Elle dispose d'une industrie d'armement performante qui collabore déjà avec les missiliers français et reste très forte en aéronautique et en sous-marins. Au sol c'est un renfort apprécié, tellement qu'il lui échoit souvent la partie difficile des opérations (le Chatt-el-Arab en Irak, le Helmand en Afghanistan). Si une défense européenne intégrée n'exige pas de rompre avec les Etats-Unis - pourquoi le faudrait-il - le Royaume Uni est le contributeur décisif, mais à ses conditions bien sûr, comme toujours.
Groupe naval de la Royal Navy |
On fera grand profit du dossier publié par l'Institut Montaigne en appui du groupe de travail Cazeneuve-Robertson et que l'on peut consulter in extenso (100p.) ou dans un simple résumé en cliquant ici.
OK. On voit bien jusqu'ici les atouts des pays composant une hypothétique défense intégrée mais on ne sent pas l'élan ni l'écho du projet français chez aucun d'eux. Tout le monde a la coopération en tête mais les interdits et arrière-pensées sont nombreux, et finalement la convergence est faible. Alors que faire pour défendre l'Europe ?
Commençons par le plus évident, le plus simple à définir, le plus petit dénominateur commun : REARMONS !
Un état-major intégré, comme il est très facile d'en monter un, c'est prouvé, ne servira pas à grand chose s'il faut téléphoner chaque jour aux Etats-Unis pour enrôler des moyens de logistique, communications, cyberguerre, couverture aérienne ou satellitaire etc...
Le président Trump a les idées simples et favorisera le réarmement européen dès lors qu'il allège le fardeau transatlantique américain et évite de traverser l'océan au moindre pet de travers de l'ours russe. Exemple concret: la déstabilisation des Etats baltes et de la Pologne aurait dû être contrée par les armées résidentes en Europe et ne pas appeler la 3è Brigade blindée américaine stationnée à Fort Bliss (Texas). Profitons-en pour grandir en force et courage, en dépassant le plafond des deux pourcent du PIB pour les dépenses militaires. Bien sûr il nous faudrait des comptes publics à peu près en ordre pour y atteindre. Alors commençons par réparer nos finances et "en même temps" dressons les plans d'un réarmement d'ensemble avec des collaborations industrielles européennes - l'Allemagne discute avec nous du futur char de combat sous sa direction* - et la liberté de défense autonome nous sera donnée de surcroît le jour venu, même s'il est pour l'instant éloigné.
(*) à Eurosatory 2018, KNDS (Krauss Maffei Wegmann & Nexter Systems) a présenté un prototype d'Euro Main Battle Tank franco-allemand, conçu sur le châssis du Leopard 2A7 portant la tourelle du Leclerc, destiné à tenir son rang avec le M1A2 contre l'Armata
Pratiquement, pour ce qui concerne la France, il faut rénover et muscler le corps de bataille destiné à combler notre béance du nord-est en dépassant l'échantillonnage actuel, renforcer les brigades de spécialités, ajouter un second groupe naval du format CDG sur la Manche, la Mer d'Iroise et le golfe de Gascogne, écrire les plans de réactivation des missiles Hadès Nouvelle Génération tant que la Russie déploiera les mêmes dirigés vers nous (c'est l'histoire du traité abandonné récemment par Donald Trump) et mutualiser les moyens de cyberguerre sur tout le continent, ce qui logiquement pourrait être le premier état-major européen intégré sans froisser les susceptibilités. Mais il n'y aura pas ce faisant de grandes inaugurations, de grandes conférences, de grands forums médiatiques et le bénéfice politique sera au départ très mince, sinon même négatif puisqu'il faudra compter avec les agents d'influence du Kremlin que ce mouvement dévoilera, juste avant de les déporter derrière l'Oural ! Hi hi ! Royal-Artillerie tient la liste en archives :)
Projet d'avion multi-rôle franco-allemand |
Reste la question de la guerre asymétrique. Elle ne sera pas affrontée par un commandement intégré classique mais par un renseignement co-opéré en continu, couplé à des unités de réaction rapide et définitive. En fait c'est d'un système classique anti-aérien qu'il s'agit: le radar de veille détecte, le radar d'acquisition et poursuite envoie la trajectoire du mobile et déclenche la contre-batterie. Ainsi tous les services européens de détection doivent être inter-opérés et les réactions appliquées par des forces mobilisées en permanence sous délai zéro. Ça se fait déjà mais on gagnerait à systématiser le procédé et à déterminer une fois pour toutes la queue de trajectoire par défaut. Dans le doute ne t'abstiens pas ! Faudra-t-il sous-traiter la question à l'intelligence artificielle et ses robots ? C'est déjà en partie le cas.
Faut-il ajouter que tout projet d'intégration devrait éviter les couloirs de Bruxelles pour avoir une chance de se réaliser sans gaver de crédits une bureaucratie insatiable ? En espérant que cet article éclairera vos discussions dans les dîners en ville... veuillez agréer, chers lecteurs, l'assurance de mon remerciement pour la distraction apportée à établir les punchlines qui feront mouche :
- La réticence historique des évadés du Pacte de Varsovie
- Le raidissement scandinave aux gesticulations russes
- L'absence d'alternative au Bénélux
- Le pacifisme allemand vs. la santé insolente de leur industrie d'armement
- La marine italienne décisive en Méditerranée
- Les 60 ogives atomiques d'Adana
- La double-clé de la dissuasion nucléaire anglaise
- La sous-traitance de la guerre asymétrique aux robots