mercredi 14 novembre 2018

Pablo de Almocita

Le répertoire royaliste est fourni de chansons de tradition mais il est plutôt rare de le voir s'enrichir de "nouveautés" puisque le but de l'exercice est plus souvent d'exalter le passé et ce qui fut composé jadis. Aussi je mâche mon plaisir à fredonner Espoir légitime avec le duo Adamanta, en attendant que sonnent les cuivres sous la canonnade de la restauration qui vient :



Luis-Alfonso de Borbón y Martinez-Bordiu, un prince monté sur boules qui se bat !


Paul Prieto est un vieux routard de la musique traditionnelle qui a écumé le répertoire latino-américain au gré de ses rencontres pour faire partout des tournées très courues. Assagi, il est revenu sur le filon français du folklore français avec un bonheur certain pour son public (son press book est assez impressionnant).
Comme nous le montrent ci-dessous ses Confidences musicales d'une exquise finesse, il explore une transcendance de la musique que d'autres appellent "inspiration" mais qu'il décèle comme un souffle de l'Esprit.

On notera la mise page par incrustations dans ce petit concert de vingt minutes. Sa vie, son œuvre comme on dit, sont reprises sur un site perso que je vous engage à découvrir à la fin de ce billet. Notez qu'il diffuse sa production sur CDs, même en période de fêtes.




D'ascendance andalouse, Prieto ne se quitte pas sans une contribution flamenca, et c'est une buleria que nous avons choisie en version acoustique :




Compléments

Mais comme chacun sait sur ce blogue, le Piéton du roi a ses préférences et ne les cache pas. Le tempo lent du répertoire médiéval peut se discuter. Pourquoi tous les chants de troubadours et tous ceux de la ménestrandie sont-ils lents aujourd'hui, languibouls, dirait-on chez moi. Quelles sont les bases d'interprétation ? la longueur de la note ? Langue au chat !

On sait d'expérience que lorsqu'un air est dansé il est plus rapide que simplement chanté, surtout dans les danses piquées comme la polka ou la bourrée. Mais cela touche aussi la grande musique, jusqu'à ce que l'on découvre dans des archives royales les chorégraphies jouées à Versailles chez Louis XIV : le morceau joué à la vitesse d'exécution classique actuelle obligeait les danseurs à stationner en l'air en attendant la note. Dans le répertoire régional (je ne connais vraiment que celui du Rouergue) tous les airs sont chantés par la plupart des groupes comme des complaintes - le comble est de chanter "Au Pont de Mirabel" en polyphonie bigourdane alors que c'est un air de lavandière et diantre pas l'évanouissement d'une damoiselle languissant au donjon de ne jamais voir la clef ; ou comme Le grand Pierrou qui se hâte de bon matin pour aller voir son béguin et qu'on fait marcher au pas de la Légion ! Sauf à bourrée, tous les airs sont ralentis et mêmes des chant à tuer comme l'hymne du Rouergue*, où s'entendent nettement les coups de talon dans la mélodie, ce qui est regrettable pour la transmission.

Si on revient au Moyen Âge, il est utile de rappeler que le tempérament des gens de l'époque diffère énormément du nôtre. On les représente enténébrés et désespérés, balancés entre l'hystérie de la violence (canalisée par la guerre) et les conditions sanitaires précaires qui abrégeaient les vies et les amours, mais les chroniques qui narrent la bravoure et la sauvagerie des assauts ne s'accommodent pas de soirées lancinantes à entendre de la musique ennuyeuse. On y mangeait, buvait, dansait et faisait tourner les femmes au son de tous ces instruments que l'on a retrouvés. Alors pourquoi chanter lent ?
(*) Premier couplet avec talons :
Du Rouergue nous sommes
Et nous nous en vantons,
Car nous sommes des hommes
Qu'ont du poil au menton,
Qui s'y frotte s'y pique,
Le Maure ou le Sarrazin
...

Pour finir, nous allons écouter trois versions d'un chant argentin que j'ai chanté dans mon jeune temps, la Arribeña de Atahualpa_Yupanqui, et ces trois interprétations font référence :
- celle de Leda Valladares & María Elena Walsh en 1955 (mp3 sur Archive.org)
- celle de Mercedes Sosa en 1977 (page de Musicme)
- celle du duo Talvikki (Prieto) dans les années 80 en vidéo ci-dessous :


C'est la troisième qui est la meilleure, pas seulement pour le tempo juste mais aussi parce qu'une émotion trop débordante de l'interprète peut gâcher le plaisir ; l'interprétation cristalline des Talvikki séduit.
Zambita arribeña,
¿De dónde vendrás?
Quién sabe qué ausencias
Y qué nostalgias llorarás
Quién sabe qué ausencias
Y qué nostalgias llorarás.

Allá en las quebradas
Y en el pajonal
Se estira tu canto
Como un lamento del piedral
Se estira tu canto
Como un lamento del piedral.

Por esos cerros se llevan los vientos
Los tristes acentos de mi soledad.
Y a veces el llanto se vuelve canto
En el andar
Y a veces el llanto se vuelve canto
En el andar.

Zambita arribeña,
Tal vez un amor
Te dio la tristeza
Que en estos tiempos sufro yo
Te dio la tristeza
Que en estos tiempos sufro yo.

Caminos andando
quién sabe por qué,
Igual que la zamba,
Con un recuerdo viviré
Igual que la zamba,
Con un recuerdo viviré.

Por esos cerros se llevan los vientos
Los tristes acentos de mi soledad.
Y a veces el llanto se vuelve canto
En el andar
Y a veces el llanto se vuelve canto
En el andar.


Paul Prieto

Epilogue

Ayant soumis par courtoisie le présent billet au nihil obstat de l'auteur, j'en ai reçu l'imprimatur et divers commentaires dont voici un extrait ciblé :
« Pour développer un peu sur cette observation exacte que vous avez faite sur la lenteur de certaines pièces anciennes réinterprétées par la plupart des groupes, j'ajouterai que bien souvent le problème est lié à plusieurs éléments :

- L'idée d'une longue note bourdon avec une mélodie éthérée et planante est liée à une sorte d'irréel médiéval influencé entre autre par l'utilisation outrancière du synthétiseur dans des films « médiévalisants » plus surnaturels qu'historiques.
- L'utilisation par les producteurs de disques de chanteurs ou chanteuses qui sortent d'une formation classique où la voix est traitée très différemment de ce qui pouvait exister dans le passé.
- Le fait que le musicien et le chanteur dans le temps étaient bien souvent la même personne et le rythme des instruments d'accompagnement entraînait le chanteur qui s'accompagnait lui même tandis que les chanteurs actuels ont tendance à étaler leur voix et le musicien leur fabrique un lit musical qui devient en quelque sorte comme le lit des fumeurs d'opium où l'on est invité à des rêves hallucinatoires plus qu'à des réalités dansantes. Il est amusant de noter qu'à notre époque on appelle chanteur lyrique le chanteur d'opéra qui ne s'accompagne jamais de la lyre ou d'un autre instrument à cordes alors que le chanteur lyrique était par définition à l'origine un chanteur qui s'accompagnait lui même à la lyre.
- Enfin les chorales suivent en général le même chemin que leur chef de chœur sorti d'une école de chant académique et qui va forcément avoir tendance à tout « classiciser », transformant la voix naturelle en ce lyrique Wagnérien qui a succédé au style Rossinien tellement plus fluide, mettant les piano-forte du classique là où ils n'ont rien à y faire, comme dans les chansons anciennes et transformant des airs médiévaux en une espèce invertébrée mutante qui comme vous le remarquez fort justement provoque un inévitable ennui.

Il est intéressant de remarquer que même une pièce lente qui conserve une base rythmique solide peut être fort agréable à l'écoute et ne pas lasser. Puisque vous semblez être un connaisseur de la musique d'Argentine, vous devez connaître les Vidalas, qui bien que possédant un tempo lent ont une vigueur poignante en plus de leur paroles poétiques sur le thème de la vie et la mort.»

Les plus consultés sur 12 mois