jeudi 6 décembre 2018

L'État c'était moi Junior !


Dans la brume des gaz toxiques et en présence de nombreux gilets jaunes, la flamme du soldat inconnu a été ravivée samedi dernier à l'Arc de Triomphe par le général Moreaux. La photo est de Laure Boyer (HL). Mardi soir, toujours à 18h30, c'est le comte de Paris qui, à la demande du général Dary, a procédé à ce geste du souvenir ininterrompu depuis le 11 novembre 1923. La nation demeure, l'Etat, c'est moins sûr.

Si le président Macron s'est pratiquement bunkérisé avec sa cour dans le Château, les responsables de l'ordre se sont multipliés dans les auditions parlementaires pour nous dire finalement que des manifestations inédites (illégales) ne sont pas répertoriées dans Le Manuel du parfait préfet de police et qu'en l'absence de toute procédure réglementaire, l'intelligence de substitution convoquée dans le dispositif n'avait pas suffi. Les éventualités de samedi prochain n'étant pas plus inscrites dans ce putain de manuel, on ne peut que craindre une aggravation des auditions parlementaires.

Nous ne ferons pas la leçon à M. Castaner qui a la charge écrasante de Schrameck en 34, même s'il a fait des pieds et des mains pour entrer dans le costume de Clemenceau, et nous lui donnons acte d'avoir compris que s'il fallait sortir les fusils de la Garde pour réprimer l'émeute, les kalashnikov de la banlieue descendraient sur Paris dans les deux heures qui suivraient. Ceux qui appellent l'armée contre des pavés sont des imbéciles. Mais si le dispositif de protection des pôles institutionnels était percé, il serait coupable de ne pas s'y opposer par un feu roulant. On ne va pas refaire du Louis16, vous dit un royaliste. Souhaitons que les ordres soient clairs, sans filtres, circonvolutions ou précautions de langage. Sinon c'est Varennes !

Ceci étant dit, le ressenti de terrain fait comprendre que les revendications prosaïques des barrages avec lesquelles le gouvernement tente de ruser lamentablement, ont cédé le pas à quelque chose que les gens n'avouent pas spontanément, autrement que par des quolibets sans danger : c'est la détestation viscérale du (trop) jeune président qui se la pète et de son entourage de minions complètement hors-sol. Le bruit obtenu par le voyage éclair au Puy est un marqueur de cette dégradation. Emmanuel Macron est assez intelligent pour avoir compris que le socle de 17% du corps électoral au premier tour de l'élection présidentielle l'obligerait à conquérir la légitimité nécessaire à la mise en œuvre de réformes de fond dont le pays a besoin, même si en vérité il ne les attend pas vraiment. Mais le succès indéniable qu'il a obtenu immédiatement sur la scène internationale lui a prouvé sa légitimité au plan extérieur, poussant dans l'ombre des problèmes à résoudre plus tard, dont celui de la légitimité intérieure. Enivré de succès, il s'est laissé conseiller des gestes techniquement avisés mais politiquement désastreux, envers la haute bourgeoisie qui l'avait porté au pavois. Puis le melon n'a cessé de grossir, et les échotiers du microcosme ont répandu partout les mots assassins qu'il laissait échapper pour être "dans le coup" jusqu'à la traversée fatale de la rue pour trouver un emploi ! Mais il y avait eu bien pire avant.

(cliché Sipa Press)
Il y a autre chose qui attise la haine. C'est cette provocation permanente de prendre la pose avec de jeunes noirs à demi-nus qu'il met en scène au bénéfice de quoi, on se le demande, Têtu n'étant pas encore nationalisé. Des photos équivoques à l'Élysée lors de la Fête de la musique ont pu agacer. L'image du gamin sympathique fort en thème ayant fait un mariage d'amour peu commun a dérivé vers celle d'un narcissique pathologique qui casse les codes presque par plaisir comme un enfant ses jouets. Ce que l'on passe à un grand ancien qui, l'âge venant, relève un menton mussolinien pour compenser l'arcure de son dos, on ne le passe pas à un gamin de 39 ans qui débute en démocratie. Quoiqu'il arrive demain, je persiste à croire que c'est l'international qui l'a perdu. Et qui maintenant se venge de lui. Paris en feu sur les écrans télé du monde a eu raison de son aura. Il est devenu subitement un président français empêtré dans des difficultés insurmontables dans un pays grevé de dettes, structurellement en déficit, avec une économie atone plombée par une balance commerciale épouvantable. A quoi s'ajoute l'inanité de toute promesse de réformer demain pour adoucir ses interlocuteurs puisque l'insurrection est avérée et que la révolution menace. Réformer, quand ?

D'ici aux élections européennes, le rôle de guide suprême de l'Eurozone est terminé, les critiques à l'endroit des parlements étrangers qui ne lui plaisent pas sont terminées, le soutien des amis qui fermaient un œil sur la mauvaise gestion française est terminé. On va sauver partout les apparences parce que le séisme français pourrait connaître des répliques dans plusieurs pays malmenés et qu'il ne faut jamais insulter l'avenir, mais le donneur de leçons est mort. Mark Rutte savoure la réalisation de son pronostic. Et moi, j'avais voté Macron !

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