mercredi 18 décembre 2019

L'Empire de Mr Xi déborde du Milieu

Ce mardi soir sur la chaîne parlementaire (LCP), Jean-Pierre Gratien proposait un débat sur la Chine de Xi Jinping avec des invités excellents, mais c'est souvent le cas dans ce format DébatDoc : Philippe Le Corre (Harvard Kennedy School), Jean-Philippe Béja (CNRS), Camille Chen (Mandarin TV) seule contre tous qui s'en sortit avec les honneurs et Alice Ekman (EUISS). On retiendra deux axes majeurs, les dites-nouvelles routes de la soie (OBOR - One Belt One Road en mandarin) et la surveillance électronique généralisée de la population chinoise dans le projet orwellien de "Crédit social" ; un axe mineur dans la discussion mais combien important pour la suite : l'hégémonie écrasante et renforcée du Parti communiste sur la société chinoise.

Les pratiquants du commerce extérieur n'ont jamais douté que le projet OBOR débordait largement les marches du China Dream et que l'ouverture de longues routes commerciales venaient en écho à l'impérialisme victorien du XIXè siècle, les canonnières en moins pour l'instant. On pense aussi à l'incroyable expansion commerciale portugaise en Orient. Les accords obtenus si loin de ses bases sont des grappins sur lesquels la Chine va tirer pour imposer sa marque dans tous les domaines, commerciaux certes mais aussi normatifs et numériques. Le désarroi européen conjugué au moindre intérêt américain pour les complications internationales, ont ouvert une fenêtre d'opportunité à un acteur mondial disposant de capacités financières qu'il juge mieux placées dans des infrastructures et des matières premières que dans les coffres d'une banque centrale. Et en cela, la Chine a raison. Anticipe-t-elle déjà les demandes de réciprocité des grandes nations qui ne vont pas tarder à émerger pour compenser l'avantage pris ? Cette résistance à prévoir n'entamera pas l'utilité des implantations qui ont toutes les caractéristiques d'établissements pérennes. J'y suis, j'y reste... jusqu'au retour de balancier qui peut attendre cent ans ! D'ici là, Mr Xi aura des statues partout dans le monde.


Le second axe majeur du DébatDoc est ce projet de Crédit Social, une sorte de permis civique individuel à points avec bonus-malus appliqués tout au long de la vie apparente du citoyen chinois. On finira d'équiper l'an prochain les villes grandes et moyennes, puis on descendra au niveau pertinent. Le flicage sera général grâce à la puissance informatique que les dictatures du passé n'ont pas connue. Pour le moment le projet est vendu sur l'avantage de tranquillité procurée aux gens honnêtes et il est accepté par les masses. Mais le caractère frondeur des Hans ne manquera pas de se réveiller si la Connerie perce trop ostensiblement le manteau sécuritaire. Dans son hubris impérial, Xi Jinping semble ne plus voir le danger de la coercition globale appliquée à un peuple qui a ouvert ses fenêtres pendant un long moment pour respirer des effluves de libertés inconnues. Déjà la dissidence donne de la voix, c'est facile hors de Chine, et une forme de déstabilisation cherche ses marques pour enrayer le processus. L'insurrection hongkongaise est tout à fait sur cet axe de résistance au flicage populaire que les gens du territoire rattaché sentent venir chaque jour par d'infimes détails, sans parler du logement systématique des immigrants continentaux alors que la population de souche affronte une crise du logement qui pourrait bien prendre le relais de l'insurrection démocratique et emporter le gouvernement de Hong Kong plus sûrement que les revendications libertaires. D'ailleurs lors de sa dernière visite à Pékin, Carrie Lam s'est vue signifier la mission de résoudre la crise sociale qui déstabilise dangereusement la société chez elle.

On termine par l'hégémonie du Parti communiste chinois. Elle n'a jamais été aussi forte (90 millions d'encartés) et qui pis est, caporalisée depuis que Mr. Xi se prend pour le nouveau Marx. Il a fait constitutionnaliser ses pensées et lever toute limite à son mandant présidentiel. C'est cette négation du génie humain qui peut précipiter la Chine populaire dans le mur. Quand Deng Xiaoping libéra les énergies individuelles, il faisait le pari que le génie propre à la race pour faire de l'argent remettrait le pays à flot. C'est exactement ce qu'il se passa, avec tous les excès imaginables, une corruption géantissime, un développement industriel débridé poussé par les banques aux mains de la nouvelle oligarchie, ce qui généra un cash flow monstrueux qui finit par irriguer tout le pays. Ce fut, et demeure encore pour quelque temps, l'effet le plus spectaculaire de la liberté de faire, appliquée à un peuple sinon cupide, au moins très intéressé à la fortune. Certains plaident en France pour libérer les énergies mais en Socialie le message ne passe pas. Fermons la parenthèse. Dès le départ de l'ouverture, le luxe le plus tapageur s'étala à la une de tous les médiats. Je me souviens que la première Ferrari achetée à Pékin a donné lieu à une cérémonie de remise des clés par l'importateur en présence du maire de la ville, un personnage dont l'importance politique est sans commune mesure avec celle d'un maire européen.

Mais aujourd'hui, les rangs du succès ont été décimés par les équipes de Mr. Xi à cause de l'ombre portée sur ses propres réalisations. Bo Xilai, qui avait inauguré à Chongqing la nouvelle culture rouge (exactement ce que Xi Jinping fait aujourd'hui) a été pris dans les rets du scandale et sorti du jeu comme tous les cadres de sa mouvance, pour que la gloire de cette régénération communiste reste au crédit du Parti et du nouveau Secrétaire général Xi. Dans le monde capitaliste, Jack Ma, le fondateur d'Alibaba, se retire précautionneusement avant de devenir un soleil. On voit réapparaitre dans certains domaines une brutalité qui rappelle la Révolution culturelle, le culte obligatoire du Parti dans tous les compartiments du jeu économique, la captation de tous les médiats et comme chez le petit voisin, un culte de la personnalité qui confine au grotesque. La réaction des gens ayant du bien est ancestrale : prendre des gages à l'étranger. Tous les hauts fonctionnaires chinois ont leur enfant installé à l'étranger dans un appartement dont la famille est propriétaire, des épouses qui vont et viennent mais y sont établies. "On" se méfie de la suite. Quand dans les centres de recherche-développement l'avis du commissaire politique (car il existe toujours) sera préalable aux décisions techniques, l'affaissement de la puissance chinoise sera en marche, malgré tous les crédits militaires débondés pour tenir tête à l'Amérique. Outre qu'ils ponctionnent trop de PIB (le vrai), ils tétanisent certains voisins et la conséquence la plus évidente de ce surarmement sera de faire naître chez eux une hostilité sourde à de futures coopérations. Ne resteront amis que les pays vendus comme le Cambodge.

Signalons en partant, un livre intéressant paru chez l'Harmattan en 2017 sur Le Big bang des Nouvelles routes de la soie, par deux pratiquants, Pierre Dhomps et Henri Tsiang. On y apprend beaucoup.

2 commentaires:

  1. Très intéressant article, mais inquiétant aussi... Se débarrasser de la chape de plomb va être impossible pour les Chinois...

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    1. Je ne miserai pas là-dessus. L'hubris de Xi Jinping est tel que les universités commencent à fermenter et on y parle de "liberté de pensée". La Fudan University de Shanghaï commence à bouger ; des étudiants de Nankin revendiquent au même moment la liberté de pensée. A Wuhan ça bouge aussi, surtout dans le camp des 30000 étudiants étrangers (majoritairement sud-coréens) dont on resserre le système de notations .
      En fait il est demandé par les commissaires politiques locaux que le PCC soit évoqué dans tous les travaux universitaires et bien sûr dans les copies d'examen. N'oublions pas que la pensée de Xi Jingping a été constitutionnalisée et que donc sa critique est juridiquement attenter à la constitution de 1948 et ce faisant à la sûreté de l'Etat. Mais les Chinois n'avalent pas ça. Et les Hongkongais sont exactement dans ce même schéma de résistance qui se résume en un mot, honni du communisme partout à la surface du globe : liberté.
      Malgré tous les efforts de brouillage, les évènements de Hong Kong atteignent les étudiants chinois et la résilience inouïe comme la déconfiture électorale laissent croire que faire entrer la lumière est possible malgré le flicage total.

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