Le temps pascal, plus que le carême de souffrance, est propice à la méditation, une méditation enjouée. Dans un billet précédent, nous évoquions la légende d'une descendance du Christ pour regretter qu'elle n'ait point existé, et si oui, qu'elle ne se soit jamais manifestée même si les origines davidiques des rois de la première race ont été affirmées par le marquis de La Franquerie. Le beau roman que serait devenu l'Evangile ! Dieu s'est fait homme dans le Fils, dit le codex, pour souffrir et penser comme nous, à la superbe exception du mariage ! Dans son infinie science Jésus-Christ a certes su les difficultés, drames, tragédies ou passions de toutes sortes qui peuvent accompagner cette union fondamentale de l'espèce humaine, mais il ne les a pas connues. C'est en recevant un droit de réponse d'Olivier Véron, directeur des Provinciales, au mensuel Le Bien Commun de la Restauration nationale (on y reviendra) que j'ai découvert cette méditation sur la brique élémentaire de notre civilisation. Le texte, initialement destiné à Politique Magazine nous a été aimablement prêté par monsieur Véron. Dans sa présentation initiale on le trouve en cliquant ici en page 4 du document sous le brûlot Contre un article rétrograde publié par l’Action française.
Le Spirituel est charnel
Né au début des années soixante, dernier d’une famille de filles, j’ai pu tôt mesurer la défection à l’égard des pratiques religieuses puis l’implacable érosion du mariage au sein de la bourgeoisie de province. J’ai reçu en la matière un enseignement précoce, assidu et concordant, consciencieusement dirigé contre un sexe égoïste et brutal, sans aucun sens de la famille et inflexible aux sentiments : le mien.
Comme l’écrira beaucoup plus tard Pierre-André Taguieff : « Il faut reconnaître que le pouvoir hypermoral en place a généreusement offert une possibilité de rédemption au sexe maudit : le mariage homosexuel... La conversion à l’homosexualité devient une porte de salut pour les mâles soucieux d’échapper à la suspicion permanente... Mais cette méthode de salut ne fait pas l’unanimité dans la population, où persistent d’une façon regrettable des préjugés d’un autre âge...1 ». Je ne sais comment j’ai persisté dans une façon aussi peu recommandable et m’entêtais à me marier avec une femme et (lui) faire beaucoup d’enfants, mais lorsque après 1989 je m’insurgeai contre l’affa(d)issement de la société et commençai à vouloir identifier un ennemi et des griefs, je ne trouvai guère que cela qui me parut lourd de graves menaces : « Vous brisez les familles2 ». Par la suite, j’ai continué d’observer les ravages de cette vérité pas si naïve. Source de nombreuses névroses, dommage collatéral ou cible d’une vaste entreprise d’émancipation3, la famille, qui repose entièrement sur l’interdit de l’inceste, donc une forme originelle de chasteté4, est encore aujourd’hui davantage combattue que convoitée. Or c’est une institution fragile qui conditionne l’existence politique d’une nation5. On ne peut pas faire « l’injure aux chrétiens de penser qu’ils ne savent pas ce qu’est la Nativité », a dit Jean-Claude Milner, cependant peu de nos contemporains mesurent l’importance cardinale du mariage, institution légale qui encadre la naissance et lui donne sa portée politique.
Pierre Boutang a repris en métaphysicien et mis en évidence cette vérité maurrassienne qu’il formulait ainsi dès son premier livre, La Politique, la politique considérée comme souci (1948) : « Je nais ici, et non ailleurs, fils d’une famille, héritier d’un nom. Il ne dépend pas de moi que la spiritualité humaine et la civilisation ne se manifestent pas comme un système de volontés mais comme une histoire.» Quant à cette histoire, expliquera-t-il, « il n’est pas en elle de fait qui ne prenne sa profondeur dans un sentiment. C’est l’ensemble de ces sentiments qui constitue le domaine politique proprement dit, l’horizon présent de l’homme6.» L’Évangile certes nous dit : « si vous aimez ceux qui vous aiment, quel salaire aurez-vous ? les percepteurs même n’en font-ils pas autant7 ?» En dépit ou peut-être en raison de leur tendresse naïve, l’incapacité des familles à transmettre les vraies valeurs morales semble avérée. Les philosophes au moins depuis Platon, les religieux, les révolutionnaires et les législateurs ont cherché à établir ailleurs le fondement de leur République idéale. Aimer ses ennemis peut-être ? Encore faut-il savoir comment. Les catholiques ont tenté pendant quelques siècles de sanctuariser le mariage en assénant son irréversibilité, calquée sur la Nouvelle alliance, mais ils avaient inventé d’abord le célibat monastique et sacerdotal, qui semble avoir conduit ou prétendu à une sorte de primauté sur l’acte de chair et son domaine civique, la « primauté du spirituel ». Par la suite les psychanalystes ont découvert dans les tréfonds de la filiation le soi-disant complexe d’Œdipe, mais aussi que le besoin d’absoudre et la confession pouvaient se passer de sacrement8. Dès lors les plaies ont (re)commencé de saigner, les injustices, les vices et les lâchetés sans nombre qui émanent de la famille et du couple légitime, notre première société, sont apparus à tous sans rémission pour avoir engendré des traumatismes dont on ne se libère pas. Quelques nostalgiques n’ont pu éviter le procès sans appel qui a fait du refus de l’autorité du mariage unique et de la naissance (féminisme, jeunisme, islamisme) une règle bizarre, la seule. Les campagnes de scolarisation, le code civil, les divorces, les bourses d’État, le droit du sol, les lois fiscales, les avortements, les brochures des ministères, la pornographie, les réseaux LGBT, les programmes d’études internationaux, le préservatif, le mariage pour tous, les migrations, la procréation assistée, l’euthanasie réalisent le même but : non aider les familles à tenir (pour le meilleur et pour le pire), mais aider les citoyens à s’en émanciper.
Du « familles je vous hais » du pédophile Gide9 au « refus de continuer le monde » de l’antisioniste Genet10, en passant par le philosophe René Schérer dénonçant la mainmise de la famille bourgeoise sur l’enfance par l’interdit de l’inceste11, et le dominicain Marie-Dominique Philippe qui justifiait par « l’amour d’amitié » les abus sexuels dans le clergé, tout était déjà dans Sade12, et couvait puissamment contre l’amour conjugal détesté parce qu’il est la forme légale, triviale et contraignante qui donne à la naissance et aux sentiments qui s’y rapportent leur consistance politique nationale. Pour Sade « l’amour anal » est seul égalitaire, universel et transgressif. Cependant les centaines de procès et les quelques sanctions canoniques qui ont montré l’étrange et scandaleuse incurie de l’Église bien avant Sodoma (où un ancien catholique ayant fait son coming-out s’est rêvé en Jules Isaac pour homosexuels dans l’Église) ne nous ont pas persuadés que le moment était venu de liquider le mariage, au contraire : « Politique d’abord ! » Pourquoi une guerre aussi totale a-t-elle été livrée contre un principe aussi fragile, chétif, depuis l’humiliation tragique de la famille royale13 ? Voilà une vraie question. Celui-ci relève d’un sentiment fugitif de responsabilité qui a besoin d’être soutenu. Je le définirais par l’étonnante propension à rester auprès de la femme empêchée et le souci des enfants. Mais il est plus incertain et pas aussi universel qu’on l’imagine, car la culture gréco-hébraïque qui commence avec le rapt d’Hélène à Troie s’achève peut-être avec le valeureux Albert Cohen et n’a atteint un tel degré de puissance poétique et érotique qu’avec l’ensemble des raffinements culturels liés à ce que l’on appelle l’amour en Occident. Il commence, certes, avec l’instable et surpuissant noyau humain constitué par le désir charnel, mais il se prolonge en dépassant les pièges de la passion, se purifie peut-être par les refus de céder et se transmue en s’usant dans une descendance innombrable, dont le souci lui révèle sa propre nature historique et politique : procréation, éducation, répétition, progrès. La question n’est pas de savoir si l’homme a fait son Dieu à son image, mais d’où vient la force non seulement objective mais affective et symbolique de la paternité et de la filiation, qui provoque des névroses, certes, mais structure en profondeur (pour le meilleur et pour le pire) notre société.
N’est-ce pas d’abord une ruse de la nature qui implante puissamment en chaque individu le désir charnel, avec ce qu’il s’en suit pour proroger l’espèce ? On le croit, mais les plantes n’ont pas besoin d’un tel rituel pour croître et se reproduire. La puissance du désir chez l’animal et plus encore chez l’homme, dont les attentes s’augmentent des promesses de la psyché et de la culture, ne vient-elle pas alors équilibrer un autre principe structurant chez un être capable de se mouvoir et de s’enfuir, le libre arbitre ? L’égocentrisme est surtout dénoncé au préjudice du sexe mâle, mais la Bible (rédigée par des hommes) lui a confié la Loi, et c’est pourquoi elle affirme : « Ton élan sera vers ton mari et, lui, te dominera14.» Toute société reste établie sur l’attirance réciproque des contraires et ce qui en découle, la naissance, mais pour quoi ? Il semble que ce soit pour révéler par le fond de nos entrailles humaines l’acte de don gratuit qui est la manifestation même du Tout-puissant dans son geste créateur, et instituer en nous par tendresse infuse, à travers la durée des attachements terrestres, un attribut divin essentiel, l’amour. Cette capacité de se donner et de donner la vie est bien l’empreinte de Dieu en l’homme et n’est pas connaissable autrement que par les liens familiaux dont tout le monde (jusqu’ici) a l’expérience douloureuse : en se projetant et crucifiant hors de la fusion primitive, par le mariage précisément, ils deviennent le creuset de l’œuvre la plus infiniment précieuse et menacée de la Création, la seule pour laquelle nous avons un besoin impérieux de sainteté, l’enfance, don total et héritage public et absolu de Dieu.
Olivier Véron
NOTES
1. Pierre-André Taguieff, Des putes et des hommes. Tous coupables, toutes victimes chez Ring, 2016.
2. Cf. Les Provinciales (lettre) n°12, novembre 1990.
3. Cf. Pierre-André Taguieff, L’Emancipation promise au Cerf, 2019
4. L’emploi de ce terme mérite d’être développé, et nous tâcherons de nous y employer ultérieurement.
5. Cf Olivier Véron, « Le sens politique du mariage », in Dans le regard de Pierre Boutang. Babel ou Israël, chez Les Provinciales, 2019.
6. Pierre Boutang, La Politique. La politique considérée comme souci [1948], chez Les Provinciales, 2014, pp. 19 et 28.
7. Mtt V, 46.
8. « Pour le cérémonial tabou (...) la pénitence y est un élément plus originel que la purification », Sigmund Freud, Totem et tabou. Quelques concordances entre la vie psychique des sauvages et celle des névrosés, coll. « Connaissance de l’inconscient » chez Gallimard, 1993, p. 126
9. Cf. Simon Leys,« Protée : un petit abécédaire d’André Gide », in Protée et autres essais, Gallimard, 2001.
10. Cf. Olivier Véron, L’Avenir du printemps, Les Provinciales, 2014.
11. Cf « Le sens politique du mariage », art. cit.
12. Cf. Éric Marty, Pourquoi le XXe siècle a-t-il pris Sade au sérieux ? au Seuil, 2011.
13. Cf. Jean-Louis Bachelet, Sang Royal chez Ring, 2015.
14. Genèse, III, 16.
1. Pierre-André Taguieff, Des putes et des hommes. Tous coupables, toutes victimes chez Ring, 2016.
2. Cf. Les Provinciales (lettre) n°12, novembre 1990.
3. Cf. Pierre-André Taguieff, L’Emancipation promise au Cerf, 2019
4. L’emploi de ce terme mérite d’être développé, et nous tâcherons de nous y employer ultérieurement.
5. Cf Olivier Véron, « Le sens politique du mariage », in Dans le regard de Pierre Boutang. Babel ou Israël, chez Les Provinciales, 2019.
6. Pierre Boutang, La Politique. La politique considérée comme souci [1948], chez Les Provinciales, 2014, pp. 19 et 28.
7. Mtt V, 46.
8. « Pour le cérémonial tabou (...) la pénitence y est un élément plus originel que la purification », Sigmund Freud, Totem et tabou. Quelques concordances entre la vie psychique des sauvages et celle des névrosés, coll. « Connaissance de l’inconscient » chez Gallimard, 1993, p. 126
9. Cf. Simon Leys,« Protée : un petit abécédaire d’André Gide », in Protée et autres essais, Gallimard, 2001.
10. Cf. Olivier Véron, L’Avenir du printemps, Les Provinciales, 2014.
11. Cf « Le sens politique du mariage », art. cit.
12. Cf. Éric Marty, Pourquoi le XXe siècle a-t-il pris Sade au sérieux ? au Seuil, 2011.
13. Cf. Jean-Louis Bachelet, Sang Royal chez Ring, 2015.
14. Genèse, III, 16.
Mini postface. L'époque est au confinement international pour cause de pandémie. Les prosélytes de la famille sur-mesure, montable et démontable comme un meuble IKEA, qui demain marieront des bêtes, affrontent aujourd'hui les affres de la mondialisation du Lebensborn 2.0 : que faire des productions parvenues à terme si les clients où leurs mandataires ne peuvent plus venir en prendre livraison ? qui va payer les frais de garde et de nourrissement ? les gynécées tropicaux et les mères-maquerelles qui les gèrent, subiront-ils un délai de rétractation comme pour les ventes en ligne ? que faire du stock malade ? Autant de questions que les affranchis du mariage traditionnel se posent ! Et les adeptes du vieux principes de conception dans la joie d'en rire !
Vous avez écrit;"Dieu s'est fait homme dans le Fils, dit le codex, pour souffrir et penser comme nous, à la superbe exception du mariage"
RépondreSupprimerBien au contraire, c'est bien le mariage la pièce centrale du message évangélique puisqu'il préfigure l'union entre Christ("l'Epoux") et son Eglise (L"Epouse", la communauté invisible des Chrétiens) . Or l'Eglise est un "Mystère" de la Foi . Ce n'est donc pas le Christ qui ne connait rien au mariage, c'est plutôt l'homme cette petite chose, qui n'y comprend rien. Quant à la descendance de Jésus, sachez que pour un Protestant qui ne croit pas à la virginité perpétuelle de Marie (mais seulement aux conception et naissance virginales de Jésus) le monde est peuplé des arrières petits neveux de Jésus, puisqu'il a eu des frères et sœurs. Comme quoi, c'est ça qui est beau dans les légendes: c'est parce qu'elles n'existent pas car trop belles, qu'elles nous font rêver: tout le monde sait bien que Marie Madeleine n'a jamais terminé sa vie dans la banlieue marseillaise.
La famille de Joseph de Nazareth provenait des harems du roi David. Joseph avait un frère aîné, Alphée, qui eut lui-même quatre fils, Jacques, Jude, Simon et Iosseph. Deux étaient mariés. Cette fratrie devint les "frères et soeurs" du Seigneur.
SupprimerPlus par ici : https://royalartillerie.blogspot.com/2019/12/joseph-de-nazareth.html
Oups! J'ai oublié de signer mon commentaire! Cher ami, discuter de Marie avec un Catholique, pour moi, c'est comme discuter des bienfaits de la peine de mort avec un socialiste à un comptoir de bistrot; Chacun repartira bourré sans avoir changé d'avis! Mais tant que la bière est fraîche, c'est bien là l'essentiel! A la bonne votre.
SupprimerL'agnostique maurrassien que je suis devenu au spectacle du monde a quand même besoin d'une belle histoire de temps en temps, même si sa probabilité est de l'ordre de la décimale cosmique.
SupprimerLaissez-moi le rêve des fois qu'il n'y ait personne en-haut.
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RépondreSupprimerL'analyse étant un art difficile à manier avec précautions, le blogmestre réserve les bénéfices de l'écriture thérapeutique sur ce site au redressement de ses propres imperfections .
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