dimanche 10 mai 2020

Orléans 1429

Aujourd'hui, deuxième dimanche du mois de mai, la nation française fête Jeanne d'Arc la Pucelle. L'Eglise catholique fête pour sa part la sainte Jeanne d'Arc le 30 mai. C'est l'occasion de reprendre Orléans aux Anglais comme en 1429. Les voix, les moutons, "gentil dauphin" font dix pour cent de l'affaire Jeanne d'Arc, l'essentiel est militaire dans l'esprit de ce temps, c'est à dire à la fois brutal, imprévu et mystique. Est-ce pour cela que la canonisation du capitaine Darc n'aboutira qu'en 1920 après des siècles d'obscurité ? L'Eglise ne pouvait si facilement "adorer" ce qu'elle avait brûlé.


Le plus sûr de l'histoire sont les campagnes militaires d'une part et le procès terminal dont on possède les minutes, de l'autre. Laissons la chicane à l'Université et pénétrons la tactique.

Tout commence au siège d'Orléans, euh... non ! Le Stalingrad valoisien c'est l'abbaye fortifiée du Mont Saint-Michel où le sire d'Estouville et cent vingt chevaliers tinrent tête à Lancastre au seuil du duché de Normandie pendant trois ans à partir de 1423 et demeurèrent invaincus (respect !).

Orléans, grande ville fortifiée et porte du Sud (ou du Nord selon le côté d'observation), meilleur bénéfice stratégique que le Mont, tiendrait-elle autant ? C'est ce que voulait savoir Montaigu, vétéran d'Azincourt et lieutenant-général du roi d'Angleterre en Normandie. Il mit le siège devant Orléans le 12 octobre 1428, et commença à élever des bastilles d'attaque sur les côtés ouest et nord de la ville. Le 24, il prit le châtelet dénommé Les Tourelles, qui tient le pont rive gauche, non sans mal puisqu'il y resta.

Talbot qui lui succèda s'y enferma pour assister à la coupure du pont par les Français - damned ! - et à son encerclement. Les Anglo-bourguignons comprirent qu'ils n'étaient pas assez nombreux pour l'emporter ou bien les murs français étaient-ils trop épais pour leurs bombardes, qu'importe, l'équilibre des forces s'avéra mère de l'ennui ; aussi le corps d'armée bourguignon se retira-t-il du camp au premier prétexte, ce qui donna l'idée aux capitaines français de couper le ravitaillement anglais en se l'appropriant.

Trois cents chariots étaient annoncés le 11 février 1429 sur la route de Chartres avec une forte escorte. Des tonneaux de harengs pour le Carême ! Mais ils ne le surent que plus tard. Dunois sortit de la ville avec un corps franco-écossais mais Bourbon qui devait rallier, se traînait pour une raison ignorée. Les Anglais ne se démontèrent pas et formèrent le cercle de chariots dans la plus pure tradition des pionniers de l'Ouest sauvage pour poster leurs archers protégés - on n'avait pas encore découvert l'Amérique. Devant ce "fort" impromptu, Stuart qui commandait les Ecossais voulut charger à cheval alors que Dunois préférait ses lignes d'infanterie. Pour ne froisser personne chacun n'en fit qu'à sa tête, et Bourbon ayant rejoint entretemps se lança de même, à son idée. Les Anglais récitant la maxime du maréchal Soult (la discipline faisant la force principale des armées ...) les écrasèrent ; ce fut la Pâtée de Hareng.

Les rescapés revinrent à Orléans le moral à zéro et communiquèrent leur désarroi à toute la ville. Au printemps de 1429, les vivres commencèrent à manquer, stérilisant toute initiative de la part des franco-écossais. La rumeur courut le royaume d'un siège terrible, bien pire que celui du Mont Saint-Michel. C'était compter sans le Dauphin qui rencontra à Chinon le signal d'une rupture stratégique sous la forme de Jeanne Darc, dix-huit ans, une âme incandescente chevillée au corps et surtout tenant bien en selle. La Providence rebattait les cartes et Orléans serait sauvée par l'enthousiasme. Le 29 avril, l'avant-garde du corps d'armée du Dauphin Charles de France, fort de quatre mille hommes bien équipés, levés à Blois, arrive en vue d'Orléans pour renforcer la garnison et desserrer l'étau.

Au grand dam de la sainte qui voulait attaquer derechef les retranchements anglais de la rive Nord, l'avant-garde progressa sur la rive sud en s'écartant largement des postes anglais pour atteindre Chécy où Dunois l'attendait en amont d'Orléans. Il ne s'agissait pas de se battre mais d'abord de descendre des vivres par le fleuve vers la ville affamée, car avant de charger sous l'étendard du Christ, il fallait abriter l'approvisionnement à Orléans même, puisque le pays ne possédait aucune autre place forte qu'Orléans pour les mettre en sûreté. Dunois attaqua le soir la bastille de Saint-Jean-Le-Blanc pendant la descente des barges et les Anglais ne purent stopper le train.
L'avant-garde n'avait en fait été détachée que pour l'approvisionnement de la ville et l'escorte de la Pucelle. Jeanne et ses gens entrèrent le lendemain soir dans Orléans, toujours assiégée sur son arc "nord/ouest/sud" mais libre à l'Est, par la porte de Bourgogne (n°5 du plan). Du 30 avril au 3 mai, elle arpenta les remparts en exhortant son auditoire au courage, puis s'aventura deux fois sous escorte jusqu'au poste anglais du capitaine Glasdale pour demander des nouvelles de deux hérauts que les Anglais lui avaient pris. Le séminaire de remotivation s'acheva par une grande procession de l'Invention de la Croix le 3 mai. Les Anglais étaient hilares ; ils ne pouvaient pas connaître la suite.
On passa dès lors aux choses sérieuses.

Dunois qui était parti à Blois prendre le gros des troupes, revint par la rive nord avec Gilles de Rais le 4 mai. Ils entrèrent en ville par la Porte Parisie (n°13) avant que d'attaquer la bastille Saint-Loup toujours sur la rive droite dans une position excentrée à l'Est, afin de faire passer les barges comme on l'avait fait la première fois mais sur la rive sud. L'escarmouche dégénéra et le tumulte de la bataille réveilla Jeanne en pleine sieste. Elle s'arma, leva les miliciens de la ville et sortit en renfort vers la bastille. Talbot accourut avec un fort parti anglais pour sauver sa position orientale. A ce moment précis, Dunois tourna ses forces contre la bastille de Saint-Pouair et leurra Talbot qui perdit Saint-Loup.

L'état-major français était plutôt relevé ; outre le Bâtard d'Orléans (Dunois), héros de Montargis à deux contre un, on y trouvait Gilles de Rais, spécialiste des prises de forts et châteaux ; Loré, tanné par les victoires et spécialiste de l'éclairage et des coups de main ; La Hire du camp d'Orléans, soldat audacieux mais entier, complètement droit en ces temps de bascule, jamais en deçà de la main au rempart ; Xaintrailles, capitaine gascon de valeur reconnue au point que les Anglais qui l'avaient fait prisonnier à Cravant, l'échangèrent contre le connétable John Talbot dont le seul nom terrorisait les enfants pas sages ; et Dammartin du parti de Charles de Bourbon, qui fera même le routier pour assouvir ses impatiences de soudard.
La Pucelle n'était pas seule avec Jésus et Marie mais entourée de valeurs militaires et d'expériences croisées. On décida donc de prendre les redoutes anglaises une par une plutôt que de faire une grande et glorieuse attaque pour entrer dans les Chroniques futures.
Il est temps de sortir le plan d'état-major, à cliquer pour mieux voir.


Le verrou de l'Est, la bastille de Saint-Loup, était tombé le 4. Le fleuve était libre d'accès en amont d'Orléans. Talbot renforça les Tourelles qui bloquaient le pont rive gauche, en réduisant au minimum la garnison de la bastille de Saint-Jean-Le-Blanc qui pour lui, faisait double emploi. Jeanne et la milice passèrent sur l'île aux Toiles le 6 et, après que les sapeurs eurent jeté un pont provisoire vers la rive sud, s'emparèrent sans coup férir de St-Jean-le-Blanc déserté. La troupe fit tête vers les Tourelles qui était la position anglaise de conséquence.

Les compagnies sortant de la porte de Bourgogne continuaient de passer sur l'île aux Toiles et l'infanterie attaquait déjà le couvent fortifié de Augustins proche des Tourelles. L'objectif était de combler les fossés de fagots et de les incendier entre les assauts. La garnison anglaise qui combattait pour partie à pied sous ses murs, tint bon et au moment opportun lança sa contre-attaque. Jeanne qui commençait à prendre goût à la tactique, avait convaincu La Hire de former un escadron adossé à Saint-Jean-le-Blanc. Ceux-là chargèrent à ce moment et repoussèrent les Anglais derrière leurs murs. Les renforts français continuaient à passer le fleuve et pour la seconde fois Talbot fut leurré par Dunois qui attaqua la bastille Saint-Laurent dès que le groupe de Jeanne et La Hire monta à l'assaut du couvent. La Pucelle s'y blessa dans une chausse-trappe.

Dès la nuit, Talbot vida ses bastilles de Saint-Privie et de Charlemagne pour concentrer ses forces sur la rive nord. Ainsi les Tourelles et la barbacane qui tenait l'accès au pont, étaient-ils les seuls points d'ancrage des Anglais au sud du fleuve. Cette position dès lors isolée était destinée à tomber. Ça se passa le 7 mai. Après un bonne nuit de récupération en ville, Jeanne rejoignit aux aurores ses capitaines aux Augustins.

La barbacane située entre les Augustins et les Tourelles était une construction carrée imposante faite de quatre murs de pierre et de bois posés sur une levée de terre, le tout cerné d'un fossé en eau, sauf pour le mur du nord qui avait son pied dans le fleuve. L'accès se faisait par trois passerelles de flanc et un ponceau appuyé aux Tourelles. A 8 heures, l'infanterie teste les défenses. Il apparaît indispensable de combler le fossé de fascines et tous débris de démolition, ce à quoi la milice s'attelle pour terminer ce travail vers 1h de l'après-midi. L'assaut de la barbacane est donné aux échelles. Jeanne trop exposée prend une flèche sous la clavicule et l'assaut est brisé. Dunois envisage de remettre à demain, mais Jeanne demande de surseoir à cette décision le temps d'une prière. Sa bannière est dans les mains de Le Basque qui s'immobilise face au fossé, le pied de hampe posé au sol. Jeanne de retour saisit sa bannière de son bras valide et dans un geste naturel l'élève pour la reprendre au soldat. L'infanterie voit le signal et lance un dernier assaut, décisif celui-là puisqu'il surprit les Anglais qui croyaient en avoir fini pour la journée.

Pendant ce temps, les sapeurs français avaient construit un brûlot qu'ils lancèrent sous le ponceau des Tourelles reliant la barbacane, et l'endommagèrent à tel point que lorsque le capitaine de garnison voulut retraiter de la barbacane perdue aux Tourelles, celui-ci s'effondra sous leur poids.
Mais les choses avançaient aussi par le nord. La milice établissait des passerelles entre les bouts de pont sur la Loire et bientôt on put lancer des compagnies à l'assaut des Tourelles du côté opposé à la barbacane. Dans la tenaille, les Anglais ne surent résister et capitulèrent à la nuit tombée. Ce soir du 7 mai, Jeanne d'Arc et la troupe française rejoignirent la ville d'Orléans à pied sec, en passant par le pont sur la Loire.

Le lendemain était un dimanche. Suffolk, le commandant anglais, décida d'en découdre à la loyale et disposa ses gens en ordre de bataille à partir de ses positions de l'ouest, privilégiant ses archers gallois comme à Crécy (1346), et il attendit. Les Français, avisés de ce dispositif meurtrier, apparurent aux créneaux pour admirer la manœuvre mais ne sortirent pas. Sur les conseils de Jeanne, ils assistèrent à une grand-messe en plein air. Suffolk déçu plia bagage et retraita vers Meung où il fut pourchassé par des francs-tireurs. Le siège d'Orléans était levé le 8 mai 1429.

Le dauphin vint à Tours pour y recevoir la nouvelle de la bouche de Jeanne le 10 mai 1429. Commença alors la campagne de la vallée de Loire sous le commandement du duc d'Alençon, dont le succès permettra le sacre de Charles VII à Reims. L'épopée de Jeanne d'Arc commençait.

écus du siège d'Orléans

NB: Ce récit a déjà été proposé aux lecteurs de Royal-Artillerie en mai 2009 pour le 580è anniversaire. Il est recyclé.


Avant l'épopée johanique, c'est la campagne militaire qui commence : à Jargeau contre Suffolk le 12 juin, à Meung contre Talbot et Scales le 15, à Beaugency contre Talbot le 17, à Patay en bataille rangée le 18 où l'on prend la revanche d'Azincourt en tuant la moitié de l'armée anglaise de Talbot, plus tard, à Montépilloy contre Bedford, le régent de Lancastre, le 15 août ! Sans parler des sièges de Troyes, Paris et Compiègne, ce dernier ayant été fatal. Le capitaine Darc est certes un chef de guerre en construction mais elle sait convaincre à la caisse à sable et bénéficie d'une intuition souvent juste. Tout d'application (dira plus tard Napoléon de la guerre) son art est traversé de fulgurances à l'assaut qui lèvent l'enthousiasme des soldats. Mais tout son courage et son habileté ne seraient rien sans l'aura mystique qui l'entoure et qui finira par impressionner la troupe anglaise jusqu'à la démoraliser. La victoire de Patay est autant due à la lenteur de la mise en place du dispositif de combat de John Talbot qu'à la charge de la cavalerie blindée française.

S'il fallait une conclusion, nous pourrions dire que l'opération de libération de la place forte d'Orléans obéit au raisonnement tactique moderne qui commence toujours par : un vrai chef, des moyens adaptés. Le Dauphin Charles de Ponthieu disposait de moyens, de capitaines aguerris et féaux, mais il ne savait pas utiliser la dotation sur l'épure stratégique d'une reconquête de ses terres. Il faudra qu'une fille forte de dix-huit ans - on ne saura jamais vraiment son âge ni ses origines - vienne lui faire honte pour qu'il daigne gagner la guerre de Cent Ans. On notera qu'après la capture du capitaine Darc, les choses se hâtèrent bien plus lentement. Il n'en demeure pas moins qu'il fut un grand roi malgré son ingratitude envers la Pucelle qu'il laissa brûler. Il régna quarante ans pour relever le pays. Sa page Wikipedia est bien faite.

2 commentaires:

  1. Une théorie l'a dit fille de Louis d'Orléans, frère du roi fou, Charles VI, et d'Isabeau de Bavière (reine consort du roi Charles VI) et elle serait le douzième enfant de celle-ci , née dans son hôtel particulier de la Barbette et non pas à l'Hôtel Saint-Pôl, lieu des naissances royales à l'époque. Un petit Philippe naît et meurt le même jour. Il disparaît de la circulation. Le nom de Philippe se trouve indiqué dans l'Histoire de France de l'abbé Claude Villaret, édition de 1764, mais dans l'édition suivante une correction apparaît : la naissance ne concerne plus un garçon mais une fille appelée Jeanne, prénom déjà indiqué dans une édition antérieure de 1763. Il faut savoir que Louis d'Orléans rendait souvent visite à l'Hôtel de la Barbette à sa belle-sœur qu'il consolait de son roi de mari, fou. Il fut assassiné à la sortie de cet hôtel de la Barbette, treize jours après la naissance de l'enfant.
    Jeanne, dans sa vie, ne s'est jamais fait appeler Jeanne d'Arc, mais Jeanne la Pucelle. Elle serait née en 1408 ou 1409 et non pas en 1412 (morte à 23 ans et non pas à 19 ans). Hauviette de Syna, épouse de Gérard de Sionne, amie d'enfance de Jeanne, dit au procès en réhabilitation que celle-ci avait deux ou trois ans de plus qu'elle, elle-même ayant 45 ans en 1456. Jeanne, quant à elle, est évasive sur sa date de naissance et c'est peut-être voulu.
    Elle aurait été confiée, bébé, à Jacques d'Arc dont la famille originaire d'Arc en Barrois est à deux lieues (moins de 10 km) de Courcelles-sur-Aujon et celui-ci avait une parenté certaine avec Guillaume d'Arc, seigneur de Guillon-sur-Trièves, gouverneur du Dauphiné en 1415 et qui a habité lui aussi en 1358 à Courcelles-sur-Aujon.
    Jean d'Orléans, comte de Dunois, le Bâtard d'Orléans, serait donc le demi-frère de Jeanne, Pucelle d'Orléans, appelée ainsi non pas à cause de la ville mais en référence à son père Louis d'Orléans
    Cette théorie n'est pas sans fondement et il faut reconnaître que Jeanne avait quand même beaucoup d'aplomb et d'intelligence pour une "bergère" lors de son procès, se sentant et se montrant en tous points supérieure à ceux qui l'interrogeaient.
    Voir ci-dessous Jeanne, petite et trapue engoncée dans son armure, seule sculpture faite de son vivant .
    Lien image statue : https://2.bp.blogspot.com/-qBzITLvXQGo/XrqcncZgC6I/AAAAAAAAZ6E/YSr329oyEsofSb4A7DbN-fzm0A671Yg7ACPcBGAYYCw/s1600/jeannedarc_statue.png
    Les compagnons d'arme dirent qu'elle avait une forte poitrine…
    A prendre ou à laisser...

    Léa P.


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    1. Merci de vos précisions fondées sur des recherches historiques et non sur un roman historique à la mode d'aujourd'hui. Il est évident qu'au début du XVè siècle, les bergères ne chargeaient pas à cheval, même si leur papa les plaçaient enfant sur le dos des bœufs de labour pour qu'elles ne courent pas autour du soc ou de la herse en charge. Quant à manier la rapière de Charles Martel, on peut s'interroger.
      Les faits réels sont explicités dans les chroniques du temps et les deux procès. Il est souhaitable, pour qui veut promouvoir le sacrifice de la Pucelle d'Orléans, de coller de près à la vérité pour éviter d'être contré. Le message patriotique en est bien plus fort. Merci encore.

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