vendredi 26 mars 2021

Loup y es-tu ?

affiche chinoise du film Zhan Lang

Les "loups combattants" de l'Empire revenu au milieu du monde sont au front pour longtemps, depuis que le reste de la planète doute de plus en plus fort des explications fournies par les autorités sanitaires de Wuhan et Pékin. S'y ajoute la bronca mondiale contre le "traitement" de l'irrédentisme ouighour par des remèdes tout droit sortis des pires cauchemards soviétiques. Mais de tout cela le public de Royal-Artillerie est au courant et il ne sert à rien de recuire en daube l'actualité comme savent bien le faire les médiats de réinformation que nous ne citerons pas. C'est la conversion de la diplomatie chinoise qui nous intéresse ici.

Quand la Chine populaire est sortie de la nuit communiste sous la férule du Hakka malin, Deng Xiaoping, que sa longue expérience du monde avait convaincu de confier à la fièvre de l'or le relèvement de son pays ruiné par la révolution culturelle maoïste, il était de bon ton d'être efficace et discret dans les chancelleries. Et depuis cette époque, les ambassadeurs de la Chine populaire, bien que fortement secoués par le massacre de Tian An Men, avaient partout ou presque gagné la réputation de gens délicats, souvent fins lettrés, toujours de bonne compagnie. Même sous Hu Jintao, j'en témoigne. La reprise en main du peuple des Hans par le grand vociférateur Xi Jinping a renouvelé le personnel diplomatique aux fins d'hégémonie économique, et culturelle ensuite, contre l'Occident et ses alliés, le Japon ou la Corée du Sud. Le premier motif voire même le seul est la menace que représente leur soutien aux procédures démocratiques qui balaieraient le Parti. Le journal La Croix avait fait l'an dernier une analyse fouillée du phénomène "lycanthrope", que vous pouvez lire en cliquant ici.

Quoiqu'ils pensent au fond d'eux-mêmes et malgré leur éducation bien supérieure à celle de leurs prédécesseurs, les Zhan Lang modernes sont à l'offensive sur tous les fronts et avalent les remontrances officielles avec appétit. Parfois nous aimerions avoir les mêmes dans le réseau diplomatique français. Où tout cela va nous mener, va les mener ? Mais auparavant un avertissement :
Aucun gouvernement national n'a eu dans l'histoire la responsabilité de quatorze cent quarante millions d'âmes, comme l'assume à sa façon la Chine populaire actuelle ! Concevons-en une certaine humilité. Si nous pouvons nous offusquer des agendas politiques et stratégiques chinois, il est difficile de proposer le nom d'un dirigeant occidental ou nippon qui serait en capacité de remplacer les dirigeants en place.

Sans remonter aux calendes, rappelons quelques vérités. La décolonisation opérée par la République de Chine du maréchal Tchang Kai-Chek fut un succès acquis dès le moment où la Chine obtint en 1945 son siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies avec droit de veto. La honte de la période impériale mandchoue était effacée mais la guerre civile chinoise allait "retravailler" le concept au bénéfice du Parti communiste chinois victorieux. Cette période d'humiliations et de traités inégaux sera dès lors brandie de plus en plus souvent au fil des mandats présidentiels alors que normalement elle aurait dû s'estomper avec le temps. Il en va pareillement de l'hostilité grandissante envers l'empire nippon, malgré les compensations fournies par le Japon moderne à l'économie chinoise et avant tout à la construction d'une flotte marchande de classe mondiale. Tout montre que l'instrumentalisation de l'histoire coloniale est un ressort puissant pour le gouvernement des foules qui ont besoin de brandir le poing en cadence contre le mal absolu du moment. Le parti use et abuse de cette période coloniale, comme le fait à son niveau le FLN en Algérie.

Jusqu'à l'avénement de Xi Jinping, les présidents successifs de la période post-Tian An Men n'ont eu de cesse de rétablir l'empire sur ses marches historiques en refondant une puissance économique sur les vertus sonnantes et trébuchantes du libre-échange mondial. Quoi qu'il ait été jugé nécessaire d'entreprendre au plan de la souveraineté (Vietnam, Tibet extérieur), la priorité fut toujours donnée à la reconstruction industrielle et à la formation d'ingénieurs (le plus souvent dans les universités américaines). Le pouvoir chinois connaissait parfaitement les défis qu'il affrontait et que nous listons pour mémoire ci-dessous :
  • Pérennisation des pouvoirs du Parti communiste chinois (en voie de ringardisation rapide)
  • Développement des provinces côtières par les zones franches étrangères
  • Résorption de la crise agraire sur fond de jacqueries latentes
  • Assainissement des actifs bancaires plombés par les crédits douteux aux provinces et municipalités
  • Pollution généralisée de l'eau
  • Pollution généralisée de l'air
  • Géopolitique de l'énergie (qui aboutira à prioriser le nucléaire)
  • Réarmement avec les crédits disponibles
Mis à part le domaine énergétique où la ressource avait du mal à suivre la demande, tout avançait à son rythme propre sauf le premier point. Ce fut le crampon dans la falaise du pouvoir dont se saisirent les princeling aux dents longues. Bo Xilai, roi de Chongqing, faisait campagne pour remettre du rouge partout ; ce qu'il n'avait pu faire à Dalian qu'il avait quand même transformée en ville-modèle. Lui et l'équipe de Xi Jinping affrontèrent la coterie des libéraux shanghaïens de Jiang Zeming qui "vendait le pays aux étrangers", mais il n'en pouvait rester qu'un à la fin : Bo Xilaï est en prison, Xi Jinping se pavane à Zhongnanhaï.

Comme tout satrape communiste, Xi jinping est obsédé par sa destitution voire pire. Aussi éleva-t-il (comme Poutine en Russie) la destruction de toute opposition au rang de cause nationale sous la couverture facile de la lutte contre la corruption. On a beaucoup tué légalement sur les places de marché à midi pile ! Sauf le noyau dur des Shanghaïens qui assurent leur propre protection, il n'y a plus d'opposition intérieure au régime. La voie est libre désormais pour partir à l'assaut de l'ennemi parfait dans l'emploi, les Etats Unis d'Amérique qui contestent la primauté de l'Empire Céleste sur son aire de souveraineté ; laquelle couvre la péninsule coréenne, toutes les mers entre le continent et l'Océan pacifique nord, et jusqu'aux eaux territoriales de l'archipel indonésien des Natuna. Au nord, c'est plus flou, mais le projet de reconquête de la Mongolie extérieure se voit comme le nez au milieu de la figure (on les achète) et ne restera dès lors à reprendre que la rive droite de l'Amour arrachée par les Russes. La projection hors de la zone impériale se fait par les Routes de la Soie. C'est de la logistique, de l'expansion culturelle et la prise de comptoirs (avec ou sans garnison).

Les ambassadeurs ont reçu pour mission d'avancer sur la zone d'effort au rythme que le gouvernement central imprime aux routes de l'hégémonie sans même attendre d'instructions. Tout y passe jusqu'à l'hyène folle Bondaz Antoine, qui a déplu sur l'affaire sénatoriale de Taïwan. Il y a plus de cent cinquante ambassadeurs chinois en réseau dans le monde. Avec leurs attaches culturelles et militaires, ce sont des acteurs efficaces de la déstabilisation politique des pays-hôtes et de l'acquisition de données utiles par tous les biais collaboratifs ou d'échanges. Tout sujet fait ventre pour asséner la supériorité chinoise. Exemple : la nouvelle guerre du coton ramassé par des esclaves musulmans est déjà planétaire, à tel point que les manufacturiers de vêtements se couchent tous l'un après l'autre après s'être fait gronder. Le dernier, Hugo Boss qui a assis sa réputation sur le feldgrau de la Schutzstaffel confectionné dans des camps de travail forcé, a assuré sa clientèle chinoise de n'utiliser que du coton de première qualité, celui du Xinjiang.

What next ? Si l'on se noie dans les chiffres, autant faire les bourgeois de Calais ! Mais c'est (à mon humble avis) tout autant une question de mental ! Résister à la poussée chinoise en attendant que le balancier revienne (il le fait toujours) demande une conviction intime de sa propre valeur. Il y a six nations au monde qui résistent ouvertement : le Japon, l'Australie, l'Inde, la Grande Bretagne, les Etats-Unis d'Amérique et le Canada. L'Allemagne collabore déjà et aucun autre pays européen n'est de taille. L'Union européenne risque d'être happée, un pays après l'autre. La France a testé ses limites à Lang Son (ou Cao Bang) en 1950. Au plan de la force (la seule valeur respectée quand tout a échoué), nous ne sommes que l'ombre de ce que nous fûmes, mais nous pouvons encore faire mal dans des enceintes diplomatiques comme l'Assemblée générale des Nations Unies où nous sommes écoutés par la francophonie et le monde arabe. Faudrait-il quand même avoir quelques idées et la volonté d'en découdre. En symbiose avec les six pays précités, nous devrions participer à un coup d'arrêt de l'arrogance chinoise et le meilleur axe de contention de l'hégémonie est la question de Taïwan.
Que ferait la Chine populaire si une douzaine de pays majeurs déclaraient que la République de Chine est souveraine à Formose et que la légitimité de ses dirigeants découle de la volonté populaire exprimée dans des élections démocratiques ? Taïwan n'a jamais appartenu et d'aucune façon à la République populaire de Chine. C'est le point d'appui du levier. Il ne m'étonnerait en rien que le Congrès américain objecte un jour dans ce sens pour marquer son mépris de l'attitude belliqueuse chinoise en Mer de Chine méridionale. La Chine populaire romprait-elle les relations diplomatiques avec tous ces pays ? Impensable, son économie en mourrait et des millions d'ouvriers pauvres envahiraient les rues des mégapoles industrielles ! Mais la leçon porterait, c'est sûr, quand cesseraient les hurlements des loups combattants.

un loup, des lunes

1 commentaire:

  1. Complément sur la feuille de route diplomatique chinoise dans le Guardian du 28 mars 2021 :

    Like the old imperial powers that tormented it, China plays divide and rule. It is an influential investor in southern EU countries, notably Italy, Greece and Portugal, that are poor relations to the wealthier north. It has cultivated recalcitrant EU members, such as Hungary, and EU wannabes such as Serbia. It dangles trade and investment carrots in return for a blind eye. This appeals to the self-described “fervent Sinophile” Boris Johnson who, as always, wants to have his cake and eat it. Johnson seeks the freedom to increase trade with China and simultaneously strike a noble pose on human rights. As a result, he achieves neither. Johnson, the man who gave up Hong Kong without a fight, risks becoming Beijing’s useful idiot. By adding British MPs and organisations to its sanctions list, China shows how unimpressed it is by his feeble, Brexit-warped balancing act. While last week’s chastening events reminded Europe that it lives in a reborn age of unequal treaties, it also seems clear Xi seriously overplayed his hand. Antony Blinken, Joe Biden’s secretary of state, making a first visit to Nato and the EU, took full advantage.

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