samedi 14 août 2021

La nuit islamiste s'étend sur l'Afghanistan

Taliban


On ne connaît pas encore le fin mot de l'histoire mais pour le moment, la liquéfaction de l'Armée nationale afghane au contact des katibas talibanes (quand il y a contact) ne laisse d'impressionner et rappelle furieusement deux précédents :
En 2003, à l'exception de la Garde Républicaine qui montra le drapeau, les armées de Saddam Hussein disparurent du champ de bataille, chacun rentrant chez soi, emportant son fusil. On sut que le mouvement fut initié par les commandants d'opérations sur le terrain qui cessèrent leurs ordres comme le leur conseillaient les Américains. Furent-ils achetés ? Sans doute, tant qu'ils n'étaient pas dans le Jeu de cartes*.

La deuxième fois fut en 2014 la liquéfaction de la garnison de Mossoul encerclée par l'Etat islamique en Irak et au Levant. Les deux divisions irakiennes qui y stationnaient fourniront le plus gros des armes lourdes dont se prévaudra l'ISIL** dans sa capitale syrienne de Raqqa. L'ISIL militaire était commandée par les officiers irakiens qui avaient fait défection devant les Américains en 2003. Où sont-ils aujourd'hui ?

Dans les deux cas, c'est une armée démotivée qui se couche, quelle que soit la puissance de feu installée. Ces armées sont trop souvent recrutées parmi des catégories laissées pour compte qui y trouvent une solde et trois repas quotidiens. Pas plus que l'Irakien saddamite, l'Afghan militaire n'a signé pour mourir mais survivre, en attendant que s'ouvre une opportunité d'amélioration de son sort... dans le civil. Face à eux, des guérilleros dépenaillés, armés que de fusils d'assaut et de lance-roquettes mais motivés par la victoire à portée de main, piétinent les savants dispositifs de la caisse à sable. Tous les conseillers occidentaux se sont repliés laissant voir l'impuissance du commandement autochtone qui n'est pas toujours obéi.

Dans The Atlantic, le colonel Mike Jason revient sur toutes ses années d'instruction des troupes irakiennes puis afghanes. Les procédures sont tout à fait celles utilisées autrefois pour former les harkas algériennes au temps béni des colonies. L'enrôlé obéit parce qu'il y trouve un intérêt matériel et, à de rares exceptions près, aucun esprit de corps n'est insufflé à la troupe, docile, obéissante et qui regarde l'heure. Son témoignage en forme d'autocritique est à lire en cliquant ici. Et on a tout compris : les unités que le colonel américain a formées se couchent. Il sait pourquoi, maintenant !

Dans un communiqué lu par la porte-parole de la Maison Blanche mercredi 11 août, parlant de l'ANA***, Jen Psaki a répété une fois encore : « Ils ont tout ce dont ils ont besoin. Ce qu'ils doivent décider est de savoir s'ils ont la volonté politique de se défendre et, s'ils en ont la capacité, de s'unir entre dirigeants pour se défendre. Nous continuerons à fournir un appui aérien au plus près. Nous continuerons à les ravitailler en vivres et matériel, et nous paierons les soldes.»
On voit que l'Administration Biden s'en tient au TED****, qu'elle laisse la motivation du combat à la partie afghane, et que le niveau de doute est élevé du coté américain ; ce qui explique la réaction du président disant, au vu des premiers revers, qu'il ne regrettait rien. Les Etats-Unis ne vont pas se battre vingt ans de plus en lieu et place des Afghans !

Il n'empêche que le retour de la charia stricte terrorise surtout les femmes et les jeunes filles qui ont goûté à la liberté de s'épanouir et d'apprendre, avant de redevenir demain matin du bétail qu'on trafique. Quoiqu'il en soit... d'horrible déjà, la guerre civile afghane ne fait que commencer. Il existe des unités régulières de choc qui sont capables de prendre à leur tour le maquis et mèneront la vie dure aux Talibans revenus au pouvoir comme ceux-ci le firent après qu'ils furent chassés de Kaboul en 2001. Les ethnies du nord, Ouzbeks de Dostum et Tadjiks de Massoud (le fils) reconstituent des unités combattantes pour conserver leurs fiefs hors des griffes pachtounes. Si Mazar-e-Charif tombe, les assiégeants seront à leur tour assiégés et plus vulnérables que lorsqu'ils étaient planqués dans les montagnes. Evidemment la population civile paiera le prix fort comme dans toute théocratie brutale quand les dieux ont soif. La dernière ère de paix afghane fut le règne de Mohammad Zaher Shah (1933-1973). Ça date.

mosquee bleue


Postscriptum du 15 août : le rapport d'un Lt-colonel de l'US Army, déployé quatre fois en zone Moyen-Orient confirme l'analyse du Colonel Jason, y ajoutant la dénonciation des mensonges de généraux carriéristes qui flouèrent le Pentagone et la Maison Blanche. On le lira avec profit en cliquant ici.

Note * le Jeu de cartes était le trombinoscope des dirigeants politiques et militaires du régime irakien que les alliés pourchassaient et que tout chef de groupe avait dans la poche de poitrine
Note ** ISIL : Islamic State of Iraq and the Levant
Note *** ANA : Armée nationale afghane, mais aujourd'hui ils ont pris un nom plus ronflant
Note **** TED : tableau des effectifs et dotations de l'unité de combat considérée

3 commentaires:

  1. Dans cette affaire, il y a quatre parties impliquées, les Talibans, le gouvernement, l'Armée nationale afghane et la population. Aucun des trois premiers ne semble s'inquiéter du quatrième, sinon n'est en mesure de le faire.

    La crise humanitaire imminente justifie à elle-seule une intervention occidentale lourde pour sanctuariser un espace défendable autour de Kaboul et ouvrir une ou deux routes d'accès en sus de l'aéroport. Sur cet espace serait organisé le soutien aux populations déplacées. On décomptera les responsabilités plus tard.

    Je pense que le Royaume Uni devrait prendre la tête de colonne à l'ONU et sur place.

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    1. Un leader travailliste va ce matin dans votre sens. Le RU ne peut rester indifférent au malheur afghan et doit prendre l'initiative.

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  2. Les Américains parlaient en mois (>31 octobre) puis en semaines à compter de lundi dernier. Hier en jours, aujourd'hui en heures. L'avancée fulgurante des groupes talibans s'expliquent par l'absence d'aucune entrave à leur progression. Le reportage d'Al Jézira ce soir au palais présidentiel de Kaboul était saisissant. Il est plus beau qu'il y a vingt ans quand ils durent en fuir. mais aucune joie n'est exprimée par les vainqueurs, peut-être intimidés par leur succès. Sous l'oeil de la caméra, ils ont plié le drapeau de la République afghane avec soin pour le poser sur une cheminée au fond de la salle ; ils n'ont pas prévu d'apporter le leur !
    La ville est calme et l'éclairage public fonctionne.
    Ashraf Ghani est parti précipitamment pour Sigmaringen !
    A suivre...

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