Tous les dix ans ou presque je relis Montesquieu, non par esprit de contradiction à l'endroit des royalistes qui disent pis que pendre des Lumières, que pour le double plaisir de la langue classique dans ses tournures propres à l'esprit français disparu. Le monarchiste, lui, est libre de droits, de l'homme aussi, et remise la transcendance au rayon des accessoires indispensables au bon déroulement de la pièce, ce qui lui ouvre l'Encyclopédie. Les Lettres persanes, bien sûr. A force, on les sait toutes et rit d'avance à celle du casuiste épilé (57), celle des féministes (107) sinon à la plus féroce contre le régime, la 124 sur la question fiscale qu'elle attaque de biais, en ironisant sur le pillage des contributions par le roi afin de récompenser ses courtisans "avides et insatiables". L'injustice flagrante de la fiscalité d'Ancien régime avait été analysée par les plus grands penseurs du moment derrière Vauban. Les princes de ce temps ne la jugèrent jamais mortelle au point de braquer la cohorte des privilégiés ; elle les tuera pourtant ! Mais en période estivale, celle des cocus complaisants (55) fera l'affaire ; elle est savoureuse et courte, et les temps ont bien changé, hein ?
[...]
Les Français ne parlent presque jamais de leurs femmes : c’est qu’ils ont peur d’en parler devant des gens qui les connaissent mieux qu’eux.
Il y a parmi eux des hommes très malheureux que personne ne console : ce sont les maris jaloux ; il y en a que tout le monde hait : ce sont les maris jaloux ; il y en a que tous les hommes méprisent : ce sont encore les maris jaloux.
Aussi n’y a-t-il point de pays où ils soient en si petit nombre que chez les Français. Leur tranquillité n’est pas fondée sur la confiance qu’ils ont en leurs femmes ; c’est, au contraire, sur la mauvaise opinion qu’ils en ont : toutes les sages précautions des Asiatiques, les voiles qui les couvrent, les prisons où elles sont détenues, la vigilance des eunuques, leur paraissent des moyens plus propres à exercer l’industrie du sexe qu’à la lasser. Ici les maris prennent leur parti de bonne grâce, et regardent les infidélités comme des coups d’une étoile inévitable. Un mari qui voudrait seul posséder sa femme serait regardé comme un perturbateur de la joie publique, et comme un insensé qui voudrait jouir de la lumière du soleil à l’exclusion des autres hommes.
Ici un mari qui aime sa femme est un homme qui n’a pas assez de mérite pour se faire aimer d’une autre ; qui abuse de la nécessité de la loi pour suppléer aux agréments qui lui manquent ; qui se sert de tous ses avantages au préjudice d’une société entière ; qui s’approprie ce qui ne lui avait été donné qu’en engagement, et qui agit autant qu’il est en lui pour renverser une convention tacite qui fait le bonheur de l’un et de l’autre sexe. Ce titre de mari d’une jolie femme, qui se cache en Asie avec tant de soin, se porte ici sans inquiétude : on se sent en état de faire diversion partout. Un prince se console de la perte d’une place par la prise d’une autre : dans le temps que le Turc nous prenait Bagdad, n’enlevions-nous pas au Mogol la forteresse de Candahar ?
Un homme qui, en général, souffre les infidélités de sa femme n’est point désapprouvé ; au contraire, on le loue de sa prudence : il n’y a que les cas particuliers qui déshonorent.
Ce n’est pas qu’il n’y ait des dames vertueuses, et on peut dire qu’elles sont distinguées ; mon conducteur me les faisait toujours remarquer : Mais elles étaient toutes si laides, qu’il faut être un saint pour ne pas haïr la vertu.
Après ce que je t’ai dit des mœurs de ce pays-ci, tu t’imagines facilement que les Français ne s’y piquent guère de constance : ils croient qu’il est aussi ridicule de jurer à une femme qu’on l’aimera toujours, que de soutenir qu’on se portera toujours bien, ou qu’on sera toujours heureux. Quand ils promettent à une femme qu’ils l’aimeront toujours, ils supposent qu’elle, de son côté, leur promet d’être toujours aimable ; et si elle manque à sa parole, ils ne se croient plus engagés à la leur.
Il y a parmi eux des hommes très malheureux que personne ne console : ce sont les maris jaloux ; il y en a que tout le monde hait : ce sont les maris jaloux ; il y en a que tous les hommes méprisent : ce sont encore les maris jaloux.
Aussi n’y a-t-il point de pays où ils soient en si petit nombre que chez les Français. Leur tranquillité n’est pas fondée sur la confiance qu’ils ont en leurs femmes ; c’est, au contraire, sur la mauvaise opinion qu’ils en ont : toutes les sages précautions des Asiatiques, les voiles qui les couvrent, les prisons où elles sont détenues, la vigilance des eunuques, leur paraissent des moyens plus propres à exercer l’industrie du sexe qu’à la lasser. Ici les maris prennent leur parti de bonne grâce, et regardent les infidélités comme des coups d’une étoile inévitable. Un mari qui voudrait seul posséder sa femme serait regardé comme un perturbateur de la joie publique, et comme un insensé qui voudrait jouir de la lumière du soleil à l’exclusion des autres hommes.
Ici un mari qui aime sa femme est un homme qui n’a pas assez de mérite pour se faire aimer d’une autre ; qui abuse de la nécessité de la loi pour suppléer aux agréments qui lui manquent ; qui se sert de tous ses avantages au préjudice d’une société entière ; qui s’approprie ce qui ne lui avait été donné qu’en engagement, et qui agit autant qu’il est en lui pour renverser une convention tacite qui fait le bonheur de l’un et de l’autre sexe. Ce titre de mari d’une jolie femme, qui se cache en Asie avec tant de soin, se porte ici sans inquiétude : on se sent en état de faire diversion partout. Un prince se console de la perte d’une place par la prise d’une autre : dans le temps que le Turc nous prenait Bagdad, n’enlevions-nous pas au Mogol la forteresse de Candahar ?
Un homme qui, en général, souffre les infidélités de sa femme n’est point désapprouvé ; au contraire, on le loue de sa prudence : il n’y a que les cas particuliers qui déshonorent.
Ce n’est pas qu’il n’y ait des dames vertueuses, et on peut dire qu’elles sont distinguées ; mon conducteur me les faisait toujours remarquer : Mais elles étaient toutes si laides, qu’il faut être un saint pour ne pas haïr la vertu.
Après ce que je t’ai dit des mœurs de ce pays-ci, tu t’imagines facilement que les Français ne s’y piquent guère de constance : ils croient qu’il est aussi ridicule de jurer à une femme qu’on l’aimera toujours, que de soutenir qu’on se portera toujours bien, ou qu’on sera toujours heureux. Quand ils promettent à une femme qu’ils l’aimeront toujours, ils supposent qu’elle, de son côté, leur promet d’être toujours aimable ; et si elle manque à sa parole, ils ne se croient plus engagés à la leur.
Paris, le 7 de la lune de Zilcadé, 1714
Je me suis offert cette année L'Esprit des lois en tirage limité, sur papier bible ivoire relié cuir, pour augmenter le plaisir de lire. En format poche, c'est aussi un livre de plage.
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