lundi 20 septembre 2021

Aukus, et maintenant ?

La diplomatie française est chauffée à blanc par la trahison de Scott Morrison et les chancelleries occidentales et russe attendent la réaction de Paris qu'on annonce musclée. Le fait est que les propos lénifiants du Département d'Etat et de la Maison Blanche vis à vis de la France (qui, selon eux fait son caprice) a de quoi ulcérer l'Elysée, autant qu'en suinte un indéniable mépris à notre endroit. De leur point de vue, l'allié historique, difficile parfois mais toujours revenu, a besoin de deux mois pour retrouver ses esprits, après quoi on reprendra le bizness comme avant ! Ils nous considèrent comme quantité négligeable dans le grand jeu qui s'ouvre en Asie. Dit en passant, le Canada et la Nouvelle-Zélande sont remontés comme des pendules. Notre pouvoir de nuisance en Europe occidentale est surévalué, comme d'ailleurs le poids européen dans le gouvernement de la crise mondiale vers laquelle courent les Etats-Unis. Ont-ils tort ? Oui et non.

Osborne Naval shipyard
- Un des halls du chantier naval d'Osborne à Adélaïde -


La France est présente dans la zone indo-pacifique depuis très longtemps. Réunion, îles éparses du canal de Mozambique, Nouvelle Calédonie et Loyautés, îles de la Société, Marquises et Clipperton, en gros. Même avec un million six cent mille ressortissants, cela ne fait pas de la France une "puissance". A noter que le destin de la Nouvelle Calédonie va se jouer lors du troisième et dernier référendum constitutionnel de décembre prochain. Ce n'est sans doute pas sur cette zone d'intérêts que la France va pouvoir manifester sa mauvaise humeur, sauf si nous détectons des agitateurs australiens en Nouvelle Calédonie comme ce fut le cas lors des émeutes canaques des années 80. En fait, par delà les proclamations vengeresses, nous n'avons pas les moyens de ruer longtemps. La seule fente dans le mur des réalités serait d'acquérir une autonomie stratégique à quelques-uns dans une zone d'intérêts américains, où les nôtres seraient découplés de ceux des Etats-Unis. Le problème est que nous sommes seuls et sans le sou !

L'OTAN demeure et manœuvre encore sous commandement intégré mais le lien transatlantique de confiance est rompu. D'autres que nous le disent. L'esprit atlantique s'est évanoui. Je n'aurais jamais cru que pareille chose advienne du fait des Américains, même si la dérive des continents était palpable depuis Obama. C'est acté maintenant ! A défaut d'imaginer le grand renversement d'alliances qui entrerait dans l'histoire - les vieux gaullistes en frémissent d'avance - nous pourrions retrouver une place d'équilibre dans le monde non-aligné en endossant le rôle d'Etat modérateur que nous avons joué dans le passé, aussi longtemps que nous conserverons notre siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations-Unies. Résonne encore dans ma tête les applaudissements déclenchés à New-York par le discours de Dominique de Villepin devant le Conseil un certain jour de février 2003, à destination des menteurs hystériques du Département d'Etat et du Pentagone qui cherchaient par tous moyens à en découdre avec l'Irak pétrolier de Saddam Hussein. C'est sans doute plus dans cette enceinte onusienne que nous devrions réagir qu'au sein des institutions européennes, malgré le bon discours sur l'état de l'Union 2021 d'Ursula von der Leyen au parlement de Strasbourg, qui exige la prise en charge par l'Europe de son propre destin en approfondissant une Europe de la défense. Nous savons que les pays d'Europe de l'Est et quelques autres défendront bec et ongles le lien atlantique avec le primat américain aussi longtemps que la Russie nous menacera, en vrai ou dans leurs têtes. Cette course à l'indépendance polémologique européenne nous épuisera, d'autant plus que l'humiliation que nous venons de subir de la part du monde anglo-saxon amoindrit le semblant d'autorité stratégique que nous parvenions à instrumentaliser jusqu'ici, sans convaincre vraiment, même notre partenaire le plus proche, l'Allemagne. Celle-ci renouera-t-elle après le 26 septembre avec le pacifisme schrödrien qui la sortirait des embarras militaires ? Et dit plus simplement encore, une Europe guerrière sans l'Allemagne et le Royaume-Uni ne fera peur à personne. Justement, il apparaît que le "1O" a choisi le grand large au sein du concept échevelé de Global Britain. Tant que Boris Jonhson sera aux affaires, il sera inutile d'essayer, d'autant qu'avec le scoop Aukus il a éprouvé une joie rare à humilier la nation de Michel Barnier.

Alors essayons autre chose. Ruser un peu. Les Etats-Unis ont des alliés que nous serions bien inspirés de ne pas ménager systématiquement désormais, et des adversaires qui pourraient profiter parfois de notre indulgence. Si à l'occasion nous entraînons quelques autres pays derrière nous, Canada, Afrique de l'Ouest, Amérique latine, pays arabes, Indonésie, voire Nouvelle Zélande, Russie etc... l'effet pourrait être notable et même parfois bloquant par le jeu des majorités. Mais attention, nous n'arriverons à rien si nous ne réparons pas notre valeureux pays criblé de dettes et de déficits qui nous entravent. Pour être pugnaces, il faut être sérieux et le montrer. De fait, notre faiblesse est structurelle, en nous-mêmes, et il ne sert à rien de tonner contre lui ou l'autre si nous n'avons plus les moyens d'être craints. Commençons demain matin à réformer notre système de prestations sociales et la gabegie incroyable de nos dépenses publiques. Alors pourrions-nous par exemple commencer l'exploitation de nodules polymétalliques dans notre zone économique exclusive et construire une flotte du Pacifique de pêche et de guerre pour sécuriser les routes maritimes, réguler les mines profondes et la pêche industrielle, afin qu'on commence à nous voir ! Une "puissance" doit se voir. On me dit dans l'oreillette que M. Macron a sorti l'arrosoir des campagnes électorales et que la dépense publique etc... faut oublier ! Faut oublier aussi le satellite de renseignement américain au Sahel.

Entretemps le gouvernement australien s'échigne à dénoncer des insuffisances dans le programme "Attack" sans qu'il soit possible de savoir précisément lesquelles. L'éternelle histoire de la rage et du chien ! Et la presse australienne est déjà passée à autre chose, même dans l'Advertiser d'Adélaïde !

Il n'y a plus qu'à tirer l'échelle !



Ce matin en Australie...

Dans la presse australienne de ce lundi 20 septembre 2021, le coulage du contrat français avec Naval Group ne fait plus les gros titres même si quelques éditoriaux et commentaires persistent ci et là. Outre le saut technologique que représente le pacte Aukus, c'est l'explosion du prix du programme Attack qui fut le plus souvent mentionné la semaine passée. Signé en fanfare pour 50 milliards de dollars australiens en 2016, le prix avait atteint 89 milliards de dollars australiens au printemps 2021 ; mais nul ne fait semblant d'ignorer que le programme nucléaire sera bien plus cher encore, même s'il entre dans une augmentation du pourcentage de Pib dédié au réarmement du pays décidé par le cabinet Morrison.
Peu d'informations factuelles sur les conséquences locales de la rupture de contrat mais 7News.com informe que 350 ouvriers enrôlés dans le programme Attack vont être réembauchés dans d'autres chantiers navals de l'Etat (ASC) et plus spécialement dans la mise à niveau des vieux sous-marins de la classe Collins et celle des destroyers de la classe Hobart.

Voici une courte revue :

The Sydney Morning Herald :
Australia has already sunk $2.4 billion into the Naval Group agreement to supply 12 conventionally powered submarines. On top of the construction cost, the boats were expected to cost $145 billion for maintenance over their life cycle. It would have been Australia’s largest military acquisition, but the move to nuclear-powered submarines will be even more expensive. (la suite)

The Canberra Times :
C'est fini: can the Australia-France relationship be salvaged after scrapping the sub deal ? (la suite)

The Advertiser :
Massive story submarines deal hid. Opinion: The subs deal was a momentous – but what it overshadowed was huge too. (la suite)

The Age :
This time France and President Macron – dudded by Morrison, US President Joe Biden and British PM Boris Johnson – have a much more clear-cut reason to feel aggrieved. Emmanuel Macron has good reason to feel angry and deceived by Australia And the French President’s fury has to be taken seriously. With the imminent retirement of German Chancellor Angela Merkel and Britain’s Brexit departure, the putative leadership of Europe is about to pass to Macron and France. The European Union is among the world’s largest trading blocs and represents one of the world’s largest economies. The bloc is also Australia’s second-largest trading partner and second-largest source of investment. (la suite)

Brisbane Times :
Australia may have trashed a relationship it honours every Anzac Day on the Somme. For the rest of the world, it was a little like watching an old war movie. The Anglo bloc, standing together, resolute: the US, with junior partners Britain and Australia. No matter that Australia had just binned a multibillion-dollar defence contract with a major regional ally which happens also to be one of the world’s leading democracies. And deigned to give them scarcely a word of warning. The world’s cameras later caught the stupefaction, fury and depth of emotion of the French, feeling “stabbed in the back” by the Aussies. As a result, for Australia, a bilateral relationship of trust and confidence, paid homage to every year on Anzac Day in the Somme and northern France, may have been durably compromised. (la suite)

The New Daily :
View From The Hill: For Morrison, AUKUS is all about the deal, never mind the niceties. Scott Morrison, whose COVID face masks have the Australian flag emblazoned on them, likes to talk about “the Australian way” of doing things and Australian values. But it is not “the Australian way” to secretly plan, over a very long time, to deceive a close friend of this country, and then to treat them in a most humiliating and disdainful manner. That does not align with “Australian values” of honesty and fair dealing. (la suite)

6 commentaires:

  1. Vous écrivez: "Mais attention, nous n'arriverons à rien si nous ne réparons pas notre valeureux pays criblé de dettes et de déficits qui nous entravent. Pour être pugnaces, il faut être sérieux et le montrer. De fait, notre faiblesse est structurelle, en nous-mêmes, et il ne sert à rien de tonner contre lui ou l'autre si nous n'avons plus les moyens d'être craints. Commençons demain matin à réformer notre système de prestations sociales et la gabegie incroyable de nos dépenses publiques"

    C'est bien pour ça qu' ON EST MORT!

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    1. Sans changement drastique de paradigme, effectivement on est morts ! La France ne pourra pas vivre longtemps sur l'argent de l'Europe et la vente de bons du Trésor aux émirats. Un pays qui ne gagne pas sa vie (gros déficit commercial) se fait une réputation de mendiant et nous allons passer pour la Reine des Gitans aussitôt que la nouvelle coalition prendra ses marques à Berlin. Scholz est le ministre des finances de Merkel ; il nous connaît à fond.

      Le général Lecointre a dit en quittant les Invalides qu'il nous fallait rehausser notre effort militaire à 4% du PIB pour être crédibles. Soit doubler le budget de la Défense. On n'y arrivera pas sans sabrer dans le pognon de dingue des prestations sociales. Je vous laisse dérouler le film.

      Je pense que la procédure sournoise choisie par le trio infernal pour couler nos sous-marins jauge la considération que nous suscitons dans le monde anglo-saxon.

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  2. J'ai trouvé ça dans The National Interest. Loin d'être idiot.

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  3. Sur la vanité de Boris Johnson et le tropisme impérial des deux anciennes puissances européennes, lire Simon Jenkins en cliquant ici. Une approche bien différente de toutes celles que nous lisons ces temps-ci.

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  4. Il aura suffi d'une demi-heure de téléphone entre Papy Joe et Manu the Kid pour que celui-ci renvoie l'ambassadeur à Washington avec pour tout bagage son pouce dans le cul !
    Ludo

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  5. *Postcriptum du 29/09/21*

    Comme l'indique le Guardian d'aujourd'hui, la communication entre le cabinet de Scott Morrison et l'Elysée avant l'annonce du pacte AUKUS par Joe Biden, s'est avérée impossible. Il suggère qu'il est laborieux d'atteindre l'Olympe de la rue du Faubourg-Saint-Honoré depuis l'autre bout du monde. Mais, et c'est là qu'il faut chercher l'intrus, cette communication aurait été immédiate entre les Five Eyes qui ont l'habitude de se parler sans chichis. Notre Grandeur hotrs d'atteinte nous a coûté l'humiliation de l'année !

    Extrait de l'article :
    As the diplomatic brinkmanship continued, an Élysée official suggested Morrison’s office had made half-hearted efforts to inform Macron of its decision beforehand.
    Morrison’s office had called the president on 13 September asking to speak to him the following day at 10am, but was informed the president would not be available as he would be hosting the weekly council of ministers, the source said.
    The Élysée suggested a call on Thursday 15 September at 9am, but “the Australian side did not want this call to take place”. Instead, Morrison’s office reiterated the request for a call on 14 September.
    When the Élysée asked what the prime minister wanted to talk about there was no reply, the official said. On 15 September, “at noon”, Macron received a letter from Morrison informing him the submarine contract with the French company Naval Group was being terminated and and that a new security pact would be announced by Morrison and the US president, Joe Biden, later that day.
    The Élysée said it had received a further request to speak to Macron “a few days ago”, but had postponed any exchange until the French ambassador returned to his post.

    (source)

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