mardi 11 janvier 2022

Est-Ouest

T64-2017

La semaine diplomatique Est-Ouest est séquencée en quatre tiers (comme au Bar de la Marine) et bizarrement s'est engouffrée dans le défi politique intérieur russe qu'affrontera Vladimir Poutine s'il fait mine de reculer. Sa réélection truquée de 2024 est conditionnée par la gloire rapportée du Front, parce que les résultats intérieurs ne sont pas au rendez-vous du culte soviétique de la personnalité et qu'il lui faut des succès étrangers, même si l'opinion russe est assez rétive aux aventures lointaines. On résume la semaine en cours :

  • 1/3.- Négociation américano-russe à Genève sur les menaces acceptables de part et d'autres. Les Américains montent l'enchère sur les missiles.
  • 2/3.- Mise au clair des positions stratégiques réciproques entre l'OTAN et la Fédération de Russie en ressuscitant le COR à Bruxelles.
  • 3/3.- Rapport à l'OSCE de Vienne présidée par la Pologne, sur les positions acquises, en présence de l'Ukraine et des neutres.
  • 4/3.- Rapport informel au secrétariat du Conseil des Etats de l'Union européenne pour englober les institutions bruxelloises dans le schmliblick à la demande expresse d'Ursula von der Leyen et du président éphémère Macron.

Ce quatrième tiers n'est pas décidé à l'heure où nous rédigeons ce billet mais n'est pas douteux, sauf à vouloir humilier la France qui tient la masse d'arme financière pendant six mois : paye et tais-toi ! Mais Stoltenberg peut très bien rendre à Macron la monnaie de sa pièce sur la mort cérébrale du pacte atlantique et laisser l'UE de côté. D'ailleurs le format "Normandie" (France, Allemagne, Russie, Ukraine) n'a été retenu à aucun moment, la Russie voulant parler au patron et à lui-seul.

De mon point de vue, il ne sert à rien de discuter avec l'actuel pouvoir russe. Toute concession pour arrondir les angles sera vue comme une faiblesse l'autorisant à monter demain ses exigences. A l'inverse tout refus explicité de ses exigences sera traduit pour l'opinion russe comme une menace imminente appelant une réaction préventive. Ne comprenant que la force, il faut la leur montrer dans un total silence. Garder aussi à l'esprit que ces gens ne prospèrent que dans les crises qu'ils créent pour légitimer leur prise du pouvoir. Quelle aubaine pour eux que ce complexe du siège par l'Occident de la Fédération de Russie ! Qu'en pense monsieur Fillon ?

On notera que tant le Département d'Etat américain que le ministère russe des Affaires étrangères ont exclu dès le départ de la séquence diplomatique la participation de l'Union européenne institutionnelle pour ne pas perdre le temps en verbiage et consultations interminables. Tout se fait, se décide entre fondés de pouvoir participant aux réunions. On touche du doigt la complète impuissance du bloc dès qu'on sort du chapitre OMC. Pire : on voit aussi que chaque pays européen tout seul ne pèse rien en temps de crise grave. La promenade de Josef Borrell au Donbass marque notre sympathie aux autorités de Kiev mais ne leur donne aucune réassurance. L'Europe est à la croisée des chemins : Confédération lente à réagir et juste bonne à décaisser ou Fédération souveraine en diplomatie et à la guerre ? Pour des pays comme la France qui ont une "grandeur" à défendre, le dilemme est insoutenable : périr ou se rendre !

Encore une fois nous touchons du doigt la chimère d'une défense européenne qui n'ira jamais plus loin que la constitution d'un état-major sans troupes ni canons et qui de toute façon n'est conçue par son principal promoteur (la France) que comme une gendarmerie internationale, manœuvrant plus dans l'ordre humanitaire que dans l'intimidation de puissances. Nous n'avons aujourd'hui que les moyens d'intimider des pays mal armés. Plus gros, l'Allemagne se dérobera pour sauver les concessionnaires Mercedes. Mais pour revenir à la négociation Est-Ouest, qui ressemble de plus en plus à celle que l'on mène avec un preneur d'otages dans une banque, chacun s'aperçoit que le challenge, peut-être impossible à satisfaire, est de renvoyer Poutine dans ses "22" sans lui faire perdre la face ; sauf à vouloir la guerre qui pourrait le détruire à la fin. Poutine a sorti le gros braquemart, qui ne rentre plus maintenant dans le pantalon. Il faudrait un Talleyrand pour y mettre la main.

Postscriptum
Sur le même sujet en plus développé sur Telos : Ukraine, la guerre annoncée de Vladimir Poutine par Gilles Andréani
Sur le même sujet chez Royal-Artillerie : Le sur-bluff russe du 18.12.2021

6 commentaires:

  1. A Genève, dans le style du biker de la grande steppe, Sergueï Ryabkov a prié l'OTAN de prendre ses cliques et ses claques pour revenir à sa frontière de 1997. C'est faire bon marché des angoisses parfaitement fondées et reconfirmées des pays d'Europe orientale sur la menace permanente russe à courte portée de missile. Seul le pacte atlantique est susceptible de les rassurer, à découvrir jour après jour les manoeuvres insidieuses du Kremlin destinées à leur nuire.
    Comme par un fait exprès, la Norvège vient de découvrir qu'un câble sous-marin en eau profonde vers les Lofoten a été coupé. Le même "accident" est arrivé à celui du Svalbard (source OPEX360). Il n'y a que les Russes à disposer sur la zone arctique de submersibles capables d'opérer à ces profondeurs. Mais comme pour les fantômes du Donbass, les Wagner de Crimée ou du Mali, la réponse de Moscou est "moi pas savoir !".
    Jusqu'à quand cette voyoucratie post-soviétique va nous tenir la dragée haute ?
    Les Etats-Unis sont au pied du mur.

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  2. Il n'est pas besoin de relire Vladimir Volkoff pour mesurer combien la désinformation fonctionne bien sur les esprits réputés les plus vifs de nos élites. La fable selon laquelle l'OTAN aurait trompé le Kremlin et avancé sa frontière orientale jusqu'au contact de la Fédération de Russie est devenue une acception commune.
    Même Eric Zemmour achète ce conte poutinien les yeux fermés, sans prendre la peine de consulter ses amis dans les pays d'Europe centrale et orientale qui lui donneraient la vraie version de leur otanisation.
    Mais l'anti-américanisme primaire c'est tellement plus facile ! Et puis, les agents d'influence du Kremlin en France bénéficient d'un prestige certain. Dommage.

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  3. Le tropisme de certains Français pour Poutine s'explique très simplement et ce, pour des raisons très basiques: quand ici, depuis 40 ans l'incarnation du pouvoir se présente sous la forme d'une grande chiffe molle à géométrie variable, d'un petit excité émotif, d'un chamalow-man tout visqueux et d'un ado capricieux, vous enviez les Russes d'avoir un mec un peu burné comme président. Le coté "torse nu dans le lac Baïkal avec un bébé tigre dans les bras et un fusil à lunette" a plus de gueule qu'un Darmanin qui zozotte ou que Larcher couperosé en sortie de table! Les Français savent qu'ils partagent deux choses avec les Russes: un pays béni par la géographie (paysage pour les uns, pétrole pour les autres) et une classe d'apparatchiks indéboulonnables (ENA vs FSB). A défaut du fond, les Russes gardent la forme. Nous on n'a rien et surtout pas le respect à l'international. Ils font peur, nous on nous méprise. C'est bien pour ça que chez les 18-30 ans les Papacito et toute sa clique protéinée ont plus de succès que les Yann Barthes et autres Pablo Mira et leurs pantalons cintrés de bobos. Que Zemmour prenne de la masse et soulève un peu de fonte et il aura enfin une chance d'aller au second tour!

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    1. Le dernier chef d'Etat mâle français fut Georges Pompidou, un auvergnat de haute culture. Lui ont succédé la Division 2 : le pharaon priapique obsédé de modernité, le florentin bigame et cancéreux puis le jars technocratique à courir derrière sa queue, puis la Division 3 : Zébulon des fortifs, François Normal de la rue du Cirque et maintenant, Miquet à la Houppe dont on ne sait le mode de propulsion.
      Lors de la crise Aukus, personne n'a bronché au Département d'Etat quand Macron a rappelé son ambassadeur à Washington parce que tout le monde s'en fout de Macron dans les services. Biden a ressorti sa compassion de vieux politicard visitant un building effondré qui vient serrer des mains et faire une vidéo, mais sans rien donner en échange. La France n'est pas fiable pour les Américains.

      Dans la position éphémère de la France à Bruxelles, personne n'écoute Macron parce qu'il est établi, maintenant que les élections fédérales sont terminées, que le patron de l'Europe s'appelle Scholz.

      Bon courage à qui prendra la succession de ce petit marquis en avril prochain dans un pays en banqueroute, moqué pour sa gestion et déconsidéré à l'international. Si les taux d'emprunt remontent, il est mort.
      Effectivement EZ manque d'épaisseur, mais dans le quadrige électoral, il n'y a personne de convaincant.

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  4. Dans l'affaire d'Ukraine, l'Allemagne compte d'abord ses sous, selon le Spiegel du 21/01/2022.

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  5. Dans Defense One, Tom Nichols parle aujourd'hui de la paranoïa de l'homo sovieticus Poutine. C'est assez bien analysé :

    Only Putin Knows What Happens Next (clic). He alone can make the choice to bring Europe back from the brink of a major war.
    A lire !

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