samedi 18 décembre 2021

Le sur-bluff russe

char russe T-90

Les chancelleries occidentales sont perplexes après la publication par Moscou des exigences russes adressées au bloc de l'Ouest, préalables non-négociables à une désescalade des tensions à la frontière russo-ukrainienne. Nous résumons ces exigences :

Il y a deux destinataires distincts, les Etats-Unis et l'OTAN. Aux Etats-Unis le Kremlin demande d'exclure à l'avenir toute expansion orientale¹ de l'OTAN et la garantie qu'aucun pays de l'ancienne Union soviétique² ne sera accepté désormais au sein de l'Alliance. Aux Etats membres de l'OTAN, il est demandé de s'engager formellement à n'accepter aucun nouvel Etat dans l'Alliance, que ce soit l'Ukraine ou tout autre. Dans les deux documents, il est exigé une démilitarisation de toute la sphère d'influence soviétique existant en Europe avant mai 1997, le fameux glacis occidental. Aux yeux des Russes, cette demande aux pays membres, redoublant celle aux Etats-Unis, agit comme une réassurance au cas où un futur locataire de la Maison Blanche reviendrait sur l'accord. Pour le ministère des Affaires étrangères de Russie, le deal est bloqué, il n'est pas à la carte, c'est le texte russe ou rien (voir la note 3 en pied d'article).

Tant au Département d'Etat qu'au Foreign Office, ces exigences sont jugées inacceptables et, à la limite, bidons ; pour la simple raison que ce genre de revendications se négocient à l'abri des médiats, dans le secret des salons aux portes capitonnés. Mais ce qui les inquiète surtout, c'est que cette démarche inacceptable - et les Russes le savent - ne soit qu'un prétexte pour rameuter l'opinion intérieure en soutien d'une guerre que Vladimir Poutine déclencherait au cœur de l'hiver, afin de sauver la vieille patrie menacée de mort par le refus catégorique des Occidentaux de se tenir à distance. Il pourrait même invoquer le caractère préventif de cette nouvelle guerre à l'Ukraine pour apaiser les craintes des babouchkas de voir le sang des fils couler pour rien.

Ce qui dérange le Renseignement occidental est que la concentration de moyens militaires russes à proximité immédiate de la frontière ukrainienne se fait au vu et su de tout le monde, comme si cette manœuvre d'ampleur participait du bluff global ou, a contrario, d'un sur-bluff dans le bluff. Poutine va-t-il attaquer vraiment après avoir bluffé ? Il veut en donner toutes les apparences. Le mobile d'une otanisation prochaine de l'Ukraine tiendra-t-il ? Pour l'opinion russe sans doute, pour toutes les autres sans doute pas. Une raison très simple : l'OTAN n'incorpore pas d'Etat en guerre ouverte ou larvée avec un voisin, pour ne pas être instrumentalisée par le pays candidat (c'est le cas de Chypre et de certains Etats balkaniques). L'entrée de l'Ukraine, mais de la Géorgie tout autant, est carrément impossible. Et M. Poutine le sait, puisque une mission russe a participé à tous les travaux de l'Alliance au quartier général de Bruxelles-Haren dans le cadre d'un Conseil OTAN-Russie (COR), de 2002 à 2014.

Les réponses directes de Jens Stoltenberg, refusant de bloquer par principe aucun pays dans le futur, servent à affirmer la souveraineté pleine et entière des nations visées que ni la Russie ni aucun autre pays ne peut commander de l'extérieur. Reste à savoir la raison profonde de tout ce cirque.
- Poutine a-t-il besoin d'une guerre sur sa frontière sud ? Le front intérieur semble tenir par l'écrasement de toute opposition et l'assassinat des dissidents.
- Qu'est-il besoin de rapporter des soldats en sac depuis la frontière ?
- Les républiques-croupions du Donbass ont-elles besoin d'une guerre pour aller plus mal ?
- La péninsule de Crimée est-elle menacée par quelqu'un, surtout qu'elle est passée par pertes et profits dans toutes les chancelleries occidentales ?
- Le petit colonel du KGB (1m67) au soir de sa carrière veut-il tout simplement se payer une belle guerre à lui, montrant au monde stupéfait la résurrection de la défunte Armée rouge ?

Dernière hypothèse, l'endogamie offensive : à force de se pousser du col, de débiter en continu mensonges et provocations, de discuter entre soi, de se faire un film entre courtisans et apparatchiks, le pouvoir au Kremlin pourrait aussi se monter le bourrichon jusqu'à attaquer son voisin, se croyant un matin acculés à la guerre par un complot occidental né dans leurs cerveaux addictés à la force brute, complot facile à fabriquer, en plus pour des pros.

Ma langue au chat !



(1) Les pays "orientaux" non-OTAN susceptibles d'entrer dans l'Alliance sont la Suède, la Finlande, l'Autriche et la Serbie.
(2) Les anciens pays soviétiques "interdits" sont, outre l'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie et l'Ossétie du Sud, l'Arménie, l'Azerbaidjan, la Biélorussie voire la Transnistrie, sans aller jusqu'en Asie centrale en zone turcique
(3) Mise au point du ministère russe des AE :
Both texts are not formulated as a menu, where it is possible to pick and choose, they reinforce one another and must be evaluated in their totality. Various aspects of the alarming situation in Europe, the Euro-atlantic, and Eurasia are covered in of themselves. We regard as important this integrated, comprehensive approach to problems in the sphere of security and the integrated, comprehensive nature of the security guarantees to the Russian Federation must be preserved (Sergei Ryabkov).


[1998°]

7 commentaires:

  1. Et si il ne faisait pas tout ça pour rendre acceptable une prochaine incorporation de la Bielorussie qui ferait plaisir aux Russes et ne provoquerait pas beaucoup de pleurs -vu que tout le monde s'en fout - à l'Ouest. Au final, il resterait chez lui celui qui a récupéré la Crimée et la Russie Blanche, les voisins n'y verraient aucun changement (le psychopathe de Minsk est déjà dressé au rappel et au mordant par le Kremlin) et tout le monde serait content qu'on en reste la!

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    1. Trop d'hypothèses pour mon champ de conscience :)
      Je crois bien que personne n'a percé les intentions de Poutine, qui d'ailleurs peuvent évoluer au fil des réactions occidentales et celles du peuple russe.
      Les rétorsions euro-américaines sont annoncées insupportables pour le Kremlin mais jusqu'à quel point gèneront-elles les apparatchiks du KGB aux manettes est un mystère. On l'a vu en Iran. La caste des mollahs et les chefs pasdaran survivent aux dépens du peuple.
      Peut-être que la dispute jettera la Russie dans les bras de la Chine qui est capable de combler le gap technologique, mais au prix d'une influence grandissante en Sibérie orientale.
      On verra dans quel sens tourne cette confrontation dès que les chemins creux auront gelé pour laisser passer les chars et le charroi.

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  2. Vladimir Poutine est cornérisé par sa propre logorrhée d'encerclement.
    Comment sortir de cette situation corne-cul d'un corps d'armée l'arme au pied sous la neige attendant les Tartares, sinon en inventant des menaces occidentales directes qui justifieraient aux yeux de ses généraux qu'ils fassent mouvement.
    Sauf que la tentation est sans doute grande au Pentagone d'agiter le miroir aux alouettes pour provoquer le faux pas du Jars russe, qui le ridiculiserait dans le monde diplomatique.
    (source)

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    1. Je me demande jusqu'à quel point la menace russe est plus un fantasme qu'une réalité. Leur PIB est entre celui de l'Allemagne et de l'Indonésie, leurs dépenses militaires les placent au niveau de l'Arabie Saoudite , ce qui fait 1/10°,de celles des USA. Et leur "fameux" groupe Wagner plein de mercenaires anciens combattants me semble aussi mythifié ; les anciens combattants russes vraiment aguerris, ceux qui ont été au feu datent de la Tchétchénie et de l'Afghanistan. Plus proches de la retraite que des écoles de cadets. Ca impressionne peut être devant les boites de nuits -un peu comme les yougos dans les années 90/2000 ou ils étaient tous autoproclamés anciens tchetniks ou oustachis- mais on n'a pas le niveau d'expériences des ex de l'IDF ou des "paratroops" boers de la grande époque. Ceux qui ont "fait" la Syrie représentent quoi ? Quelques centaines? un ou deux milliers tout au plus? Y a t il vraiment raisons d'avoir peur ? je ne mésestime pas le pouvoir de nuisances des Russes mais il semble plus lié à la géopolitique des hydrocarbures qu'à ses moyens militaires?!

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    2. Qu'a fait cette grande armée poutinienne en Syrie ?
      Bombardements aériens (autant sur cibles civiles que militaires) .
      Combats au sol ? J'attends toujours.
      Supériorité aérienne ? Il se sont fait taper un Sukhoï 24 par un F-16 turc. Réaction ? blablabla...

      Leur dernière guerre fut celle de Tchétchénie. Ils ont rasé les agglomérations sous les roquettes en buvant de la vodka. Qui se souvient des photos de Grosny après la "victoire" russe ?

      On comprend que Poutine et ses minions aient besoin de surmotiver l'armée de terre pour mettre la baïonnette au bout du canon. Ils en boiront pas mal avant !

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  3. Il y a des précédents encourageants, comme la Winter War de Finlande en 1939.
    Clic sur Foreign Policy !

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    1. Il semnlerait d'après le journal Le Monde que l'érection russe tombe un peu, le Kremlin commençant à débander. Les menaces explicites n'étaient finalement que des manoeuvres, et la troupe gelée va rentrer au chaud des casernes (clic).
      On dit comment en russe "bander mou" ?

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