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Cap au nord !

Roman de gare estival - chapitre 4
L'idylle teutonique s'était brisée net, les partenaires de jeu étaient mariées... à des Turcs. On faisait plus simple au théâtre. Alf et Med avaient repris la route du nord par le plateau de l'Aubrac afin de saluer un pote vétérinaire de l'AEF qui sévissait chez les eskimos de Nasbinals. Absent, leur avait répondu une femme revêche se prétendant de Marvejols, qui pouvait être son épouse, sa secrétaire ou la bonne du curé, leur précisant le dos tourné que le mardi il était souvent au casino de Chaudes-Aigues. Contact !

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Chaudes-Aigues donc, son casino où l'on mange bien, servis par des filles de salle pas farouches, les flèches noires de Chain Flour et la ville triste de Clermont-Ferrand furent au menu des jours suivants... jusqu'à Vichy. Mais pas d'Obi-Wan au casino, il devait être en main lors de leur passage en salle. Vichy ! Un peu de canotage sur l'Allier, flâner le soir dans le quartier des sources à observer les élégantes, manger au kiosque en guettant la bonne fortune d'une rencontre galante avant de rejoindre le petit hôtel proche de la Maison du Missionnaire, c'était reposant. L'Hôtel du Parc affichait complet mais vous n'en saviez rien. La ville belle et blanche, l'était-elle autant jadis qu'on avait pu comprendre pourquoi l'exode du gouvernement de 40 s'y était terminé. A partir de Vichy, le retour vers Paris était tout tracé par Moulins et la nationale 7, en traction comme aux temps bénis des congés payés ! Pourquoi aviez-vous fait un détour par G... ?

Ah oui, pour acheter des cadeaux aux familles, des assiettes, des coupes, des petits sujets. Dans la première boutique de faïences sur la route avec parking, Med fut abordé par une Américaine - décidément ! - qui ne comprenait pas le ticket de caisse qu'on lui avait remis. Il faut dire qu'il comportait six lignes pour deux achats seulement. Med avait une tête à redresser les torts ? Peut-être, se dit-il flatté. Ah... la vieille chevalerie ! Il leva la tête en direction de la caissière l'air interrogateur. Elle fit non de la tête, ce qui le décida à approcher.
- Pourquoi tout ça ?
- La caisse facture hors-taxes et ajoute la TVA ligne par ligne, c'est le logiciel qui est comme ça.
- La première fois que je vois une caisse tout public débiter hors-taxes.
- C'est comme ça et je n'ai pas le temps de vous expliquer.

Med fit signe à Alf qui regardait des vases bleus, et ils suivirent l'Américaine jusqu'au rayon des articles qu'elle avait pris. Les prix étaient sur des étiquettes électroniques (modifiables à distance comme au supermarché) et correspondaient aux chiffres inscrits sur le ticket. Le magasin étant en accès libre, les prix devaient être affichés TTC. Donc la caisse faisait du beurre sur les clients étrangers, surtout extra-européens, qui n'entravaient pas les subtilités du code de commerce français et avaient pour certains l'habitude de voir s'ajouter la taxe locale comme aux Etats-Unis.

- Vous lui refaites le ticket... tout de suite, exigea Med.
- J'ai des clients, lui répondit la caissière, le nez dans ses comptes.
- Tout de suite ou j'appelle l'éléphant dans le magasin.
Elle ne comprenait pas ou ne voulait pas refaire le ticket de la touriste américaine devant les autres clients. Elle traînait.
- Bon, j'appelle la police. Vous êtes en zone "gendarmerie" ? Ça ira plus vite.
- Mais arrêtez donc ! Je vais le lui refaire son ticket, c'est une erreur due au stress de l'affluence parce qu'il faut en plus surveiller les rayons où l'on vole.
- C'est ça. Refaites-le et on part.
Il prit le ticket pour le faire annuler et décaisser le trop-perçu. Elle, n'y comprenait rien.
- Kate, dit-elle en lui tendant la main.
- Médéric, mes amis m'appellent Med et voici Alf.
Ils sortirent, eux les mains vides et elle avec un sac à la main plein de papier-bulles en plus du sac-à-dos.
- Vous voyagez seule ?
- Je monte en Hollande rejoindre des copines, répondit-elle en bon français, et je prend la nationale 7 car beaucoup de Hollandais montent par les nationales pour ne pas payer de péages. Je fais du stop sur plaques hollandaises uniquement.
Ils regardèrent le trafic, et c'était vrai que chaque dix voitures environ passait une plaque jaune hollandaise.
- Si vous voulez, on monte vers Paris par la N7 parce que la voiture est trop ancienne pour l'autoroute. Et ils arrivèrent tous les trois sur le parking pour, elle, découvrir la décapotable à l'ombre.
- Ach du liebe Zeit ! Une ancêtre Citröen comme neuve ?
- On sera ce soir au Plessis-Robinson, c'est dans le sud de Paris, mais on peut vous conduire dans Paris si vous avez un point de chute.
Et vous parlez l'allemand ?
- Je viens du Dakota du nord. C'est courant là-bas.
- Ah, mazette ! On n'en sort pas, pétaing !

Elle dit "O.K et merci" et grimpa.
Puis vous reprîtes la route jusqu'au repas du soir que vous aviez choisi de faire ensemble à Malakoff dans un petit restau d'étudiants sans prétentions ni congélateur. La passagère n'avait pas encore décidé apparemment où elle voulait être conduite et le bruit du moteur et du vent en roulant avait freiné les épanchements. C'était une fille assez carrée, en short feldgrau comme il se doit pour une Américaine qui fait la route, avec une tresse roulée et blonde country. Après une salade composée (de maïs surtout) ils eurent du carré d'agneau avec des patates couffides et des choux de Bruxelles sautés aux pommes. Le repas finit de bonne heure. Med se lança à lui proposer l'hébergement si elle n'avait pas d'autre plan. Après quelque hésitation pour la forme, elle convint que c'était gentil de sa part mais qu'elle devrait partir tôt le lendemain pour reprendre son voyage de Hollande. Alf lui proposa de la déposer demain matin à une gare d'autocars européens comme Eurolines ou Flixbus ; il y avait tous les jours des cars pour Amsterdam. Parce que, insista-t-il, il n'était pas envisageable pour des raisons de sécurité de repartir en stop depuis une porte de Paris, surtout au nord. Vendu !


Chez Med, ils se firent une soirée jazz-bourbon-minipizzes. Le dégel était en chemin. A minuit passé, les vapeurs de malt aidant, chacun sut que Kate était montée avec l'autre. Et le mystère demeura entier. A 7 heures elle était sous la douche à réveiller toute la maison en attendant que passe le café. On avait choisi le terminal de Bercy quasiment sur le trajet qu'emprunterait Alf pour remonter la Traction à Calais en rejoignant la nationale 1. Mais ça c'était une autre histoire. Les toasts remontés de la Tamarissière sautèrent dans le grille-pain, la journée était lancée.

(la suite au prochain numéro)

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