mardi 13 septembre 2022

Au-delà du Dniepr

Les agents français d'influence du Kremlin (la liste en pied d'article) qui appelaient à négocier il y a deux mois la sanctuarisation de la Crimée éternellement russe et l'abandon à Poutine des deux oblasts russophones du Donbass, ne savent plus où donner de la tête depuis que le capharnaüm soviétique reflue vers sa frontière sous les coups répétés de l'artillerie de précision dont dispose l'Ukraine désormais et au milieu d'une débandade de son infanterie mal commandée, formée à la schlague et mal payée (les commandants d'unité encaissent les primes destinés aux soldats - on ne se refait pas). C'est triste pour MM. Schröder et Fillon.

Au moment où nous mettons sous presse (12/09/22-soir) Kiev revendique six cent mille hectares récupérés sur l'occupant et des milliers de tonnes d'acier à fondre ou regraisser comme les blindés abandonnés à gué ci-dessous. Au jour de la lecture de ce billet ils en auront peut-être repris un million. Pas plus que le Kremlin nous ne connaissons les plans de l'état-major ukrainien, Kiev ayant lessivé tous les espions russes de l'intérieur, mais il apparaît une certitude : il y a plus d'intelligence là qu'en face ! Plutôt que de gloser sur les succès attendus à la guerre - des experts comme Michel Goya s'en chargent - jetons un coup de projecteur géopolitique aux alentours.

Transports de troupe russes à gué

A jeun de victoire sur le front occidental, Poutine cherche à élargir le conflit en enrôlant des pays tiers dans sa juste cause mais les derniers insuccès vont sûrement refroidir les ardeurs de rapprochement comme nous le montre sa plus proche potentialité de soutien, le Kazakhstan. Kassym Tokaïev a dès le début refusé de reconnaître les deux républiques-croupions du Donbass et a appliqué (avec plus ou moins de célérité) les sanctions. Il tient le territoire où passeront les tuyaux. Malgré les visites répétées des dictateurs de la région, il travaille à réformer sa constitution en la démocratisant, et il ne va certainement pas s'embarquer sur un navire qui prend l'eau avant que d'être coulé par la mutinerie de son équipage. Il connaît à fond ces guignols remontés de la vase soviétique.
Des quatre soutiens avérés ou possibles, Chine populaire, Turquie, Corée du Nord et Biélorussie, le plus déterminant, la Chine, ne s'engage pas plus qu'en paroles car elle doit sauver ses canaux d'exportation vers l'Occident qui font vivre toute son industrie. Ainsi Poutine est-il contraint de la sauter pour demander aux Coréens de déstocker leurs obus de merde qui n'ont que l'avantage du calibre russe. De ce côté-ci on peut imaginer la tempête sous le crâne de Loukachenko (qui avait condamné la capture de la Crimée en 2014) si la Russie recule comme vont le lui signaler ses garde-frontières au sud-est. Tous les autres pays serrent la main du satrape, l'encourage (à crever) mais sans plus. Maintenus jusqu'ici sous la coupe des babouins du KGB, que vont faire les généraux professionnels russes devant la rupture des lignes qu'ils ne peuvent plus tenir. Se battre comme des lions ? mais avec qui ? Il y a désertion des troupes à pied et les blindés en panne sèche sont abandonnés au bord du chemin. Suivez mon regard : Choïgou ! Sergueï Koujouguétovitch Choïgou, diplômé de béton à Krasnoïarsk, déguisé en maréchal d'empire décoré sans avoir jamais commandé une unité militaire, attire la lumière. Il suffirait d'y ajouter la chaleur de la valise de Stauffenberg. Même si ce ne sont pas des Chinois à la face fragile, la question est bien de savoir s'ils vont se laisser ridiculiser par l'exécution bornée des plans de Poutine et du Tatar Guerassimov.

A traquer les réseaux sociaux russes, on sent poindre au niveau des étoiles des inquiétudes renouvelées sur l'issue fatale de l'opération militaire spéciale. Une armée peut se liquéfier du jour au lendemain si le moral des hommes et de leurs cadres s'effondre. On l'a vu en juin 40 en France chez les régiments d'appelés, en mars 2003 à Bagdad chez la Garde républicaine. La psychologie des combattants est très importante et à l'enthousiasme des sections ukrainiennes qui libèrent leur sol répond le doute et le réflexe de survie du contingent russe qui se demande ce qu'il fout là, depuis qu'on a épuisé les troupes d'active. Nous n'en sommes pas encore à la débâcle, mais ceux chez les gouvernements étrangers qui sont payés pour la prospective, intègrent maintenant l'éventualité d'une défaite fragilisant sérieusement le pouvoir de qui les appelle à signer des accords de soutien. Ce que l'on pourra détecter des actions chinoises au-delà des grandes embrassades sino-russes, décidera de la suite. A mon avis - c'est aussi un pari - les Chinois vont prendre leur avantage comme on dit aux cartes et se garderont bien de précariser leurs exportations avant le XXè Congrès parce qu'elles sont un gage de paix sociale. Dans l'expression "usine du monde" il y a "monde" et ils en dépendent. Reste la Turquie dont le sultan se croit très malin à jouer l'intermédiaire obligé parce qu'il contrôle les Détroits. Il pense prendre des points dans la guerre des grains et dans la guerre de Syrie. Il oublie qu'il est surveillé comme le lait sur le feu par les Américains et par le Congrès surtout. Son problème est de devoir entrer en période électorale quand son économie est presque ruinée - à sa décharge, il n'y connaît rien de plus que ce qu'il a lu dans le coran. S'ajoute à l'inflation démente (81%), la descente aux enfers de la livre turque qui a perdu la moitié de sa valeur contre euro en un an (clic), et la menace imminente de pogroms contre les réfugiés syriens (3760000) à qui bien sûr on impute tous les maux. Alors pour Erdogan, s'engager plus avant dans le camp du perdant annoncé serait un pari osé. Tout ceci dans l'hypothèse où le reflux russe continue sous la poussée des brigades ukrainiennes au sud et à l'est. On est d'accord, hein ?

Si donc les choses vont moins bien, c'est le front intérieur qui peut céder le premier. Déjà, les propagandistes appointés de la télévision d'Etat ont mis un bémol à leur vantardise allant même jusqu'à comparer le commandant ukrainien du corps d'armée oriental au général Souvarov, le Turenne russe. Les revers militaires commencent à suinter parmi la population des grandes villes qui a retrouvé l'accès à l'information internationale et communique avec leurs proches exilés, et en campagne par le canal des récits de soldats engagés au front à tel point que le pouvoir a coupé l'intranet qui permettait aux conscrits d'atteindre leurs familles.
Dernière remarque : les agences des Nations Unies ont abandonné leur frilosité à enquêter chez un membre permanent du Conseil de sécurité et documentent des rapports sur le sort fait aux prisonniers de guerre, sur le rapt d'orphelins ukrainiens, sur les déportations de population et tous crimes faciles à attribuer, sans oublier la répression féroce des opposants à la guerre en Russie. Pour finir, la centrale atomique est stoppée avec le danger que représentent les réacteurs sur circuit de secours. C'est beaucoup pour un seul homme qui veut tout faire par lui-même. Vladimir Poutine quittera-t-il la protection du Kremlin demain mercredi pour Samarcande et faire le paon au Sommet de Shanghaï ? Je prends le pari que non.

Terminons sur une inquiétude française. Je reprends l'info du Figaro daté du 11 mars dernier. Dans un courrier adressé aux officiers généraux daté du 9 mars, le chef d'état-major des armées (ndlr: Burkhard) livre une brève appréciation de situation sur la guerre en Ukraine : « Pour ce qui concerne la suite des événements, je considère qu'en dépit de la remarquable résistance dont elles font preuve, les forces ukrainiennes, confrontées à la difficulté de tenir un dispositif étiré, sans réserve opérative, pourraient connaître un effondrement subit », écrit-il. La multiplication des fronts épuise aussi l'armée ukrainienne, et sa chaîne de commandement est soumise à rude épreuve. « La défense civile – ou territoriale – ne prendra pas pour autant fin, notamment dans les localités assiégées », ajoute cependant le général en annonçant le basculement inéluctable de la guerre en guérilla. Sauf qu'au bout de deux cents jours, rien ne s'est passé comme il le pensait alors, à faire douter de ses capacités d'anticipation, capacités indispensables pour un CEMA.

Note d'ordre : les agents d'influence du Kremlin les plus connus en France sont, pour ceux qui ont manifesté publiquement leur tropisme poutinien : François Fillon, Mireille Mathieu, Eric Zemmour, Marine Le Pen et son politburo, Nicolas Dhuicq, Jacques Myard, Bruno Odent, Florian Philippot, Olivier Berruyer, Thierry Mariani, Gérard Depardieu, Jean-Luc Mélenchon, Eric Dénécé, Nicolas Sarkozy, Philippe de Villiers, Richard Boutry, Claude Goasgen, Patrice Verchère, Sauveur Gandolfi-Scheit, Marek Halter, Marie-Christine Dalloz, Philippe Grasset, Xavier Moreau, Jérôme Lambert, Emmanuel Quidet, Yves Pozzo di Borgo, Jean-Claude Bouchet, René Danesi, Régis de Castelnau, Jean-Luc Reitzer, Michel Terrot, Antoine Cuttitta, Michel Voisin et sans rien y comprendre, Jean Lassalle. Pour eux, le passé impérial prime, la Sainte Russie se défend et les sanctions occidentales sont sans effets. Inutile de vouloir raisonner !

5 commentaires:

  1. Pari perdu. Poutine a quitté le Kremlin pour Sotchi après avoir annulé son conseil de guerre.

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  2. Parmi les soutiens de Poutine vous oubliez l'Iran.

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    1. Oui et non.
      L'Iran vend ce qu'on lui achète et des drones simple usage. Mais y a-t-il un partenariat entre Iran et Russie ? A tout le moins en Syrie pas vraiment. On a l'impression que chaque fois que l'aviation israélienne tape une installation des Gardiens en Syrie, elle a déposé le plan de vol au contrôle aérien russe.
      Ebrahim Raïssi va participer au Sommet de Shanghaï à Samarcande, mais est-ce pour la Russie ou pour la Chine ?

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  3. Le prédécesseur de Burkhard avait prévu et beaucoup écrit, il avait agacé des politiques et quelques officiers, on ne l'a pas retenu à son poste.
    Burkhard occupe sans doute son temps utilement à la tête de l'armée d'un pays où certains n'ont cessé depuis le 24 février d'être surpris par l'évolution des fronts en Ukraine.


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    1. Le général Lecointre (celui que vous évoquez) a peut-être déplu au Château quand il a dit publiquement que pour faire sérieux il fallait doubler le budget de la Défense.
      Ceci, dans un Etat en faillite, obligerait à sabrer les prestations sociales de la population en hamac. Pas très vendeur en année électorale.

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